Article publié dans l'édition Automne 2021 de Gestion

Charismatiques et visionnaires, des leaders nous marquent souvent en raison de leur personnalité flamboyante, de leur éloquence et de leur assurance. Faut-il alors s’étonner que plusieurs gestionnaires soient réticents à se comporter avec humilité? Et pourtant, une majorité d’employés apprécient les dirigeants qui osent en faire preuve.

Comment concilier la crainte de paraître plus ou moins vulnérable et la préférence d’un grand nombre d’employés pour les gestionnaires qui exercent un leadership empreint d’humilité? Afin d’y voir plus clair, tâchons d’expliquer en quoi consiste ce style de leadership.

Le mot humilité tire son origine du latin humus, qui signifie «terre», et d’humilis, c’est-à-dire «près du sol». Autrement dit, l’humilité désigne le fait d’être ancré dans son environnement et de reconnaître l’existence de quelque chose de plus grand que soi. Depuis des millénaires, les grandes religions du monde considèrent l’humilité comme une des vertus sur lesquelles reposent le développement et la croissance des êtres humains, ce que de nombreux philosophes ont eux aussi affirmé au fil des siècles. Parfois confondue avec la modestie, l’humilité n’implique pas de se rabaisser soi-même ou de réduire l’importance de ses propres réalisations. Au contraire, l’humilité consiste à porter un regard juste sur soi et sur les autres ainsi qu’à vouloir sans cesse approfondir ses connaissances.

La plupart des auteurs qui étudient l’humilité sous l’angle du leadership adoptent une perspective relationnelle, selon laquelle l’humilité s’exprime dans un contexte social donné. Par leurs actions, les gestionnaires humbles incarnent la quête d’un idéal en légitimant l’acquisition de nouvelles compétences, l’expérimentation et la prise de risques.

On reconnaît les leaders humbles en fonction de trois caractéristiques1. Tout d’abord, ils portent un jugement éclairé sur leurs propres forces et faiblesses. Lorsqu’ils interviennent auprès de leur équipe, ces gestionnaires ont le courage d’admettre leurs erreurs et d’exprimer leur méconnaissance de certains aspects des tâches à réaliser. Ensuite, ils savent apprécier les qualités et la contribution des membres de leur équipe: en plus de leur attribuer le mérite pour l’originalité et la pertinence de leurs idées, ces gestionnaires veillent à ce que celles-ci soient diffusées afin que tous puissent en bénéficier. Enfin, les leaders qui font preuve d’humilité accueillent favorablement la rétroaction et font connaître leur désir d’apprendre auprès des membres de leur équipe. Avides de connaissances, ces gestionnaires éprouvent peu de réticence à demander conseil à leur entourage.

Le leadership d’humilité: toujours bénéfique?

Les bienfaits du leadership d’humilité sont nombreux. Les gestionnaires humbles renforcent l’efficacité de leurs équipes (performance, innovation et créativité) en influant sur des aspects clés de leur fonctionnement, notamment l'émergence d'un climat de sécurité psychologique et l'adoption de comportements d'apprentissage2. À l’échelle individuelle, le leadership d’humilité accroît la performance des employés et réduit les risques d’épuisement professionnel3. Par ailleurs, les entreprises dirigées par des PDG humbles seraient généralement plus performantes que leurs rivales4.

Toutefois, certains milieux sont plus propices au leadership d’humilité. Là où la hiérarchie est moins stricte, les équipes réagissent favorablement aux comportements humbles du leader, notamment en partageant davantage d’information et en étant plus créatives5. Or, là où une culture hiérarchique domine, l’humilité est perçue comme un signe de faiblesse ou d’incompétence, ce qui peut nuire à l’engagement des équipes à apprendre et à se dépasser.

Il semble aussi que les équipes formées de membres hautement proactifs savent mieux tirer profit de l’humilité de leur gestionnaire6. En effet, à la différence des gens qui attendent de recevoir des consignes claires avant de se mettre au travail, les personnes plus dynamiques voient dans l’humilité de leur gestionnaire l’occasion d’assumer de nouvelles responsabilités.

Évidemment, encore faut-il que l’humilité soit perçue comme étant authentique. En effet, les équipes ne sont pas dupes: elles savent déceler l’humilité de façade7. Il ne s’agit donc pas de se comporter humblement une journée pour retourner à une approche autoritaire le lendemain. Démontrer de l’humilité se fait à travers le temps, et seuls les gestionnaires qui le font de manière authentique parviennent à atténuer le sentiment de vulnérabilité des employés à leur endroit et à en tirer des bénéfices. D’ailleurs, cela se vérifie tout particulièrement au sommet de la hiérarchie: plus les gestionnaires sont perçus comme étant influents au sein de leur organisation, plus leurs comportements humbles sont susceptibles de porter fruit.

Comment cultiver l’humilité?

Il est plus naturel pour certains gestionnaires de faire preuve d’humilité. Toutefois, dans la mesure où ce style de leadership repose sur l’adoption de comportements spécifiques, il est possible d’en favoriser l’apprentissage.

Des exercices et des activités relativement simples permettent de cultiver l’humilité chez les gestionnaires. Par exemple, il est judicieux de réserver des moments consacrés à la pratique réflexive. Lors de ces séances, les gestionnaires sont invités à analyser leurs plus récentes interactions au travail et à répondre par écrit à certaines questions, par exemple celles-ci: «Qui était présent?»; «Ai-je adopté des comportements humbles? Si oui, lesquels? Si non, pour quelles raisons?»; «Comment pourrais-je agir différemment la prochaine fois?»

Pour faire preuve d’humilité, les gestionnaires doivent s’intéresser aux gens qui les entourent et savoir se mettre à leur place. Afin d’y parvenir, ils peuvent – lorsque faire se peut – exécuter eux-mêmes un certain nombre de tâches habituellement accomplies par les membres de leur équipe. Cette démarche va donc au-delà du simple fait de s’informer au sujet des contraintes inhérentes à leur travail. À terme, ces gestionnaires seront en mesure de répondre aux questions suivantes: «Cette expérience me permet-elle de porter un regard neuf sur mes forces et sur mes faiblesses à titre de gestionnaire?»; «Quels sont les savoirs nécessaires à l’exécution de ces tâches que j’ignorais auparavant?»; «Par le passé, ai-je réussi à répondre convenablement aux besoins de mon équipe?»; «Si ce n’est pas le cas, quelles sont les leçons à tirer de cette expérience qui feront de moi un meilleur gestionnaire?»

Il vaut parfois la peine d’intervenir auprès des gestionnaires qui demeurent réticents à agir avec humilité. Du coaching lors duquel ils sont invités à jouer le rôle d’un subordonné peut alors aider. Le coach – préférablement externe – est quant à lui appelé à agir de façon autoritaire, à faire fi des idées et de l’expertise du gestionnaire et à se comporter avec arrogance. En inversant les rôles de la sorte, les gestionnaires prennent plus facilement conscience des effets de leurs comportements sur les membres de leur équipe et saisissent mieux les bienfaits du leadership d’humilité.

Au final, l’état actuel des connaissances justifie l’enthousiasme envers le leadership d’humilité. Plusieurs études mettent en lumière les avantages inhérents à ce style de leadership, particulièrement pour les équipes et pour les employés. Toutefois, avant d’agir avec humilité, les gestionnaires ont intérêt à tenir compte de leur milieu (notamment de la culture de leur organisation ainsi que du degré de proactivité des membres de leur équipe). Parions qu’avec les tendances actuelles liées à la multiplication des expertises, à la complexification du travail et à l’aplanissement des structures organisationnelles, le leadership d’humilité est voué à un bel avenir.


Notes

1. Owens, B. P., Johnson, M. D., et Mitchell, T. R., «Expressed humility in organizations: Implications for performance, teams, and leadership», Organization Science, vol. 24, n° 5, septembre-octobre 2013, p. 1517-1538.

2. Edmondson, A. C., et Harvey, J.-F., extreme teaming – Lessons in Complex, Cross-Sector Leadership, Bingley (Royaume-Uni), Emerald Group Publishing, 2017, 224 pages.

3. Wang, L., Owens, B. P., Li, J. J., et Shi, L., «Exploring the affective impact, boundary conditions, and antecedents of leader humility», Journal of Applied Psychology, vol. 103, n° 9, septembre 2018, p. 1019-1038.

4. Ou, A. Y., Waldman, D. A., et Peterson, S. J., «Do humble CEOs matter? An examination of CEO humility and firm outcomes», Journal of Management, vol. 44, n° 3, mars 2018, p. 1147-1173.

5. Hu, J., Erdogan, B., Jiang, K., Bauer, T. N., et Liu, S., «Leader humility and team creativity: The role of team information sharing, psychological safety, and power distance», Journal of Applied Psychology, vol. 103, n° 3, mars 2018, p. 313-323.

6. Leblanc, P.-M., Rousseau, V., et Harvey, J.-F., «Leader humility and team innovation: The role of team reflexivity, team potency, and team proactive personality», communication présentée à la quinzième conférence annuelle de l’Interdisciplinary Network for Group Research (INGRoup), Whova Conference Platform, 2020.

7. Oc, B., Daniels, M. A., Diefendorff, J. M., Bashshur, M. R., et Greguras, G. J., «Humility breeds authenticity: How authentic leader humility shapes follower vulnerability and felt authenticity», Organizational Behavior and Human Decision Processes, vol. 158, mai 2020, p. 112-125.