Article publié dans l'édition Hiver 2021 de Gestion

Dans un récent rapport sur les tendances mondiales en matière de capital humain, la firme Deloitte indiquait que la transformation des façons d’apprendre en milieu de travail se situe au sommet des préoccupations des dirigeants d’entreprise1. Au moment où les organisations tentent d’accroître leur agilité, cette transformation gagnerait-elle à s’accélérer et à s’articuler autour d’une plus grande autonomie des employés?

Le capital humain, c’est-à-dire l’ensemble des connaissances, des habiletés, des compétences et des caractéristiques individuelles des membres du personnel d’une organisation, joue un rôle central dans la performance au travail et constitue une ressource essentielle au succès des entreprises.


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Traditionnellement, les employés demeurent à l’écart de la gestion du capital humain : cette responsabilité est donc essentiellement réservée aux gestionnaires. Selon cette perspective, les activités de formation (en classe ou virtuelles) et de développement professionnel (exemples : coaching et mentorat) possèdent un caractère formel en ce sens qu’elles sont offertes à l’initiative de l’employeur, qu’elles découlent d’objectifs qu’il a lui-même fixés et que la participation des employés est généralement obligatoire2. Bien entendu, il est dans l’intérêt des organisations d’assurer l’adéquation entre les savoirs de leurs employés et les exigences des tâches qu’ils doivent accomplir. De nombreuses études montrent d’ailleurs les bénéfices associés aux activités formelles de formation et de développement professionnel, tant pour les travailleurs et pour les entreprises que pour la société dans son ensemble3.

Toutefois, on observe que les employés sont de plus en plus impliqués dans le développement de leur capital humain. Que ce soit en raison de l’effritement des relations d’emploi, de la diversité des ressources éducatives offertes en ligne ou de la complexification du travail, les gestionnaires sont aujourd’hui plus nombreux à inciter leurs employés à jouer un rôle actif dans la gestion de leurs apprentissages4. Ils comptent donc sur eux afin qu’ils définissent leurs propres besoins et anticipent les savoirs à acquérir pour l’accomplissement de leur travail, qu’ils saisissent les occasions d’apprendre et qu’ils mettent en œuvre les stratégies devant leur permettre d’acquérir ces nouveaux savoirs. Après tout, étant donné leur bagage intellectuel et leur connaissance approfondie des tâches et des procédures liées à leur travail, les employés aptes à prendre des décisions éclairées en ce qui concerne la gestion de leur capital humain sont nombreux.

L’apprentissage informel

La plupart des apprentissages amorcés par les employés s’inscrivent dans un cadre informel. Les savoirs acquis ne sont donc ni déterminés par l’employeur ni uniformes parmi l’ensemble du personnel. Au contraire, ces apprentissages sont parfois réalisés de façon impromptue et ont pour but de répondre aux besoins spécifiques de chaque apprenant. En plus d’être moins onéreux que les activités formelles de formation et de développement professionnel5, les apprentissages informels constitueraient à eux seuls entre 70 % et 90 % de l’ensemble des apprentissages réalisés en contexte de travail6.

Les stratégies d’apprentissage informel sont variées et peuvent être regroupées dans quatre catégories distinctes7. Tout d’abord, il arrive fréquemment que des employés prennent des initiatives originales et constructives durant l’exécution de leurs tâches quotidiennes. Par exemple, lorsqu’ils se heurtent à un problème ou à des difficultés d’ordre technique, certains employés expérimentent de nouvelles idées pour ensuite retenir celles qui se sont avérées les plus efficaces. Il arrive aussi que des employés enrichissent leur travail en prenant part à des projets innovateurs ou en assumant de nouvelles responsabilités.

Une autre approche consiste à tirer des leçons du travail accompli. C’est le cas lorsque des employés sollicitent de la rétroaction au sujet de leur performance et lorsqu’ils analysent les raisons de leurs succès ou de leurs échecs. À cela s’ajoute un certain nombre de pratiques d’apprentissage informel destinées à exploiter les savoirs accessibles dans l’environnement social. On pense entre autres aux employés qui observent et questionnent leurs collègues afin de mieux comprendre pourquoi et comment ceux-ci accomplissent certaines tâches. Il en va de même des employés qui investissent leur communauté de pratiques en participant à des activités de nature éducative (séminaires, conférences TED et midis-formation) ou qui vont à la rencontre d’experts d’autres domaines afin de s’ouvrir à de nouvelles perspectives.

Enfin, un nombre grandissant d’employés explorent des ressources éducatives de nature matérielle ou virtuelle : livres spécialisés et revues professionnelles, formations en ligne ouvertes à tous, webinaires, applications mobiles, wikis, blogues et sites Internet. Ces ressources éducatives proposent des expériences d’apprentissage variées et personnalisées en plus d’offrir la possibilité aux employés de contrôler le rythme de leurs apprentissages.

Le gestionnaire pédagogue

La promotion d’une plus grande autonomie des employés dans la gestion de leur capital humain doit être accompagnée d’un soutien adéquat de la part des gestionnaires. À l’instar de pédagogues chevronnés, ceux-ci sont appelés à agir sur un certain nombre de facteurs qui favorisent la capacité des employés à gérer leurs propres apprentissages.

Sans compromettre l’autonomie des employés, les gestionnaires ont bien sûr intérêt à ce que les objectifs d’apprentissage répondent aux besoins de leur organisation. Pour ce faire, ils gagnent à discuter des changements en cours ou à venir avec les membres de leur équipe et du rôle que ceux-ci pourraient jouer dans ce sens, de même qu’à cerner les habiletés et les compétences jugées déterminantes à cet égard. Une façon additionnelle d’orienter les démarches d’apprentissage des employés consiste à promouvoir certaines ressources éducatives pertinentes et de qualité (des webinaires, par exemple). Enfin, si l’occasion s’y prête, les gestionnaires sont invités à recadrer les objectifs d’apprentissage de leurs employés lorsqu’ils sont jugés irréalistes ou inatteignables à l’intérieur d’un délai raisonnable.

Les gestionnaires exercent aussi une influence décisive sur la motivation à apprendre de leurs employés. Il est donc de bon aloi de les encourager à sortir des sentiers battus et à envisager des manières originales d’accomplir leur travail. Il est également utile de garder à l’esprit que l’apprentissage peut être une source d’anxiété pour certains d’entre eux. Conséquemment, les gestionnaires gagnent à les rassurer quant à leur capacité d’apprentissage ainsi qu’à reconnaître leur persévérance dans l’acquisition de nouvelles habiletés et de nouvelles compétences.

En outre, comme le dit l’adage, les actes sont souvent plus éloquents que les paroles. Pour cette raison, les gestionnaires sont appelés à devenir de véritables modèles d’apprenants et à faire preuve d’humilité, que ce soit en admettant leurs propres besoins d’apprentissage, en démontrant un intérêt sincère pour les nouveaux savoirs de leurs employés ou en sollicitant l’expertise de ces derniers lors de la prise de décisions.

Les gestionnaires ont aussi intérêt à intervenir directement sur les processus d’apprentissage de leurs employés. Quelques moyens simples mais efficaces peuvent être déployés. Par exemple, il est avantageux de questionner les employés sur les manières dont ils envisagent d’utiliser leurs nouveaux savoirs en contexte de travail. Il est aussi recommandé de leur offrir une rétroaction constructive en ce qui concerne la progression de leurs apprentissages et de souligner les aspects qui requièrent une attention plus soutenue. Enfin, en incitant leurs employés à enseigner à leurs collègues ce qu’ils ont appris, les gestionnaires facilitent la consolidation de leurs apprentissages. En outre, l’environnement d’apprentissage est un levier grâce auquel les gestionnaires peuvent faciliter les initiatives de leurs employés en matière de capital humain. Tout d’abord, il convient de leur offrir un certain degré d’autonomie dans les manières d’accomplir leur travail et de leur laisser du temps pour réfléchir à leurs pratiques, pour expérimenter et pour explorer de nouveaux savoirs. Lorsque la situation le permet, il peut s’avérer très judicieux d’enrichir le travail des employés en leur confiant de nouvelles responsabilités et en diversifiant la nature de leurs tâches. En plus d’influer sur l’organisation du travail, il arrive que des gestionnaires jouent les entremetteurs et mobilisent certains membres de leur réseau de contacts au bénéfice de leurs employés. Une fois sélectionnées en raison de leur expertise, de leur disponibilité et de leur talent en matière de pédagogie, ces personnes sont mises à profit pour aider les membres de leur équipe à atteindre leurs objectifs d’apprentissage.


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Plus que jamais, les employés sont appelés à jouer un rôle décisif dans la gestion de leur capital humain. Les savoirs qu’ils choisiront d’acquérir et de développer seront à la base de leur performance au travail et seront déterminants pour la résilience de leur organisation. C’est dans ce contexte que les gestionnaires sont invités à agir comme des pédagogues et à soutenir les projets d’apprentissage de leurs employés.


Notes

1 Volini, E., Schwartz, J., Roy, I., Hauptmann, M., Van Durme, Y., Denny, B., et Bersin, J., « Leading the social enterprise: Reinvent with a human focus » (rapport en ligne), Deloitte Insights, 2019.

2 Chen, G., et Klimoski, R. J., « Training and development of human resources at work: Is the state of our science strong? », Human Resource Management Review, vol. 17, n° 2, juin 2007, p. 180-190.

3 Aguinis, H., et Kraiger, K., « Benefits of training and development for individuals and teams, organizations, and society », Annual Review of Psychology, vol. 60, 2009, p. 451-474.

4 Ployhart, R. E., Call, M. L., et McFarland, L. A., « Autonomous learning, human capital resources, and value capture », dans Ellingson, J. E., et Noe, R. A. (dir.), Autonomous Learning in the Workplace, New York, Routledge, 2017, p. 287-303.

5 Wolfson, M. A., Tannenbaum, S. I., Mathieu, J. E., et Maynard, M. T., « A cross-level investigation of informal field-based learning and performance improvements », Journal of Applied Psychology, vol. 103, n° 1, janvier 2017, p. 14-36.

6 Voir notamment : Cseh, M., Watkins, K. E., et Marsick, V. J., « Informal and incidental learning in the workplace », dans Straka, G. A. (dir.), Conceptions of Self-Directed Learning – Theoretical and Conceptual Considerations, Münster (Allemagne), Waxmann, 2000, p. 59-74 ; Bear, D. J., Tompson, H. B., Morrison, C. L., Vickers, M., Paradise, A., Czarnowsky, M., et King, K., Tapping the Potential of Informal Learning, Alexandria (Virginie), American Society for Training and Development, 2008.

7 Dachner, A. M., Ellingson, J. E., Noe, R. A., et Saxton, B. M., « The future of employee development » (article en ligne), Human Resource Management Review, novembre 2019.