Point de vue publié dans l'édition Printemps 2019 de Gestion

Géraldine Martin

Géraldine Martin est directrice de l'entrepreneuriat au Service du développement économique de la Ville de Montréal.


Elle est arrivée sur scène en sautant de joie. Elle n’avait pas encore ouvert la bouche que, déjà, la salle pouvait ressentir toute son excitation d’avoir gagné. Imaginez quand elle a commencé son discours ! C’est une bourrasque de passion qui a alors déferlé sur les 400 invités du 28e Gala des prix Innovation de l’Association pour le développement de la recherche et de l’innovation du Québec, qui a eu lieu le 22 novembre dernier au Palais des congrès de Montréal.

« Il y en a qui ont du love money ; nous, on a du love community ! » a-t-elle lancé à la salle déjà conquise.

Elle, c’est Isabelle Lopez, fondatrice de la jeune firme My Smart Journey, lauréate du prix de l’entreprise en démarrage. Elle a ensuite raconté son aventure au sein des incubateurs de Montréal : « Ce sont eux qui m’ont poussée », a-t-elle expliqué en faisant allusion à la force de la communauté au sein du MT Lab et du Centech, un incubateur et un accélérateur d’entreprises tous deux basés à Montréal.

« Ça prend un village pour réussir », a-t-elle conclu en reprenant ainsi le point de vue de Brad Feld, un investisseur, entrepreneur et auteur américain qui a notamment publié l’ouvrage Startup Communities – Entrepreneurial Ecosystem en 2012. Selon lui, le succès des entreprises naissantes s’appuie avant tout sur l’entraide et sur l’échange d’information entre entrepreneurs. À l’instar des métropoles, des communautés de start-ups peuvent voir le jour dans des communautés de plus petite taille, note-t-il : « Les communautés de start-ups peuvent être construites dans des villes de 50 000 habitants ou plus. »

Le niveau de financement n’est pas davantage un gage de succès, souligne Startup Genome, qui mesure la performance des écosystèmes de start-ups dans 55 villes du monde. Selon cet organisme américain, le financement est assez bien réparti d’une ville à l’autre. Pourtant, certains écosystèmes – celui de la ville de Stockholm, par exemple – performent beaucoup mieux que d’autres. Pourquoi ? Tout dépend de la latitude des entrepreneurs et de la dynamique de l’écosystème.


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Toujours selon Startup Genome, une des clés du succès réside dans ce qu’on appelle la « connectivité locale », qui se mesure en fonction de trois critères principaux :

1-     L’entraide parmi les entrepreneurs (autrement dit, il faut savoir donner sans attendre quoi que ce soit en retour);

2-     Les relations amicales et la solidité du réseau;

3-     Les possibilités de « collisions », c’est-à-dire le nombre d’activités organisées par et pour les start-ups qui favorisent le partage de connaissances.

Le résultat est sans équivoque : « Les start-ups avec un taux de connectivité locale élevé grandissent deux fois plus vite que les start-ups avec un taux de connectivité plus faible », explique Startup Genome.

Qu’en est-il à Montréal ? Aucun doute que l’effervescence et les intentions y foisonnent. Selon le Portrait du dynamisme entrepreneurial de Montréal 2017, 26 % des Montréalais songeraient à se lancer en affaires. Toutefois, Montréal se situe encore sous la moyenne des autres villes évaluées par Startup Genome : les jeunes pousses montréalaises n’interagissent pas assez et ont moins tendance à partager leurs connaissances et à s’entraider que les start-ups des écosystèmes plus performants. Pour s’améliorer, il n’y a pas de recette miracle : l’ensemble de l’écosystème doit se retrousser les manches. Les entrepreneurs doivent passer plus de temps à rencontrer d’autres entrepreneurs pour transmettre et recevoir de l’information. De leur côté, les organismes de soutien à l’entrepreneuriat doivent organiser davantage de rencontres destinées à favoriser les échanges parmi les entrepreneurs. Mais attention : ces rencontres doivent absolument réunir des entrepreneurs.

Bien que nous ayons avant tout parlé de start-ups depuis le début de cette chronique, le raisonnement autour de la notion de communauté est tout aussi valable pour les entreprises établies de longue date. Les « collisions » ne doivent pas se limiter à l’écosystème des start-ups : il doit s’en produire à tous les stades de croissance des entreprises. En fait, l’esprit de communauté doit exister à tous les maillons de la chaîne entrepreneuriale. Selon Nathaly Riverin, fondatrice de la firme Rouge Canari et cofondatrice de l’École d’entrepreneurship de Beauce, « la communauté entrepreneuriale fait en sorte que les individus, les intrapreneurs et les entrepreneurs profitent d’un environnement de valorisation, d’éducation, de formation, de référencement, de soutien et de financement pour s’orienter plus efficacement dans la création de leur activité nouvelle ».


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Finalement, ce raisonnement autour de la communauté part du principe selon lequel l’entrepreneur est influencé par tout ce qui l’entoure, ce qui n’est pas sans rappeler les familles en affaires composées d’entrepreneurs d’une génération à l’autre. « Cette notion de communauté peut même paraître comme une extension naturelle du concept de la famille en affaires », relève d’ailleurs l’Indice entrepreneurial québécois 2018. Rappelons ici tout le bénéfice d’une expérience familiale : le taux d’intention entrepreneuriale de ceux qui profitent d’un tel bagage (32,2 %) est nettement supérieur à celui des personnes sans acquis familiaux en entrepreneuriat (16,5 %). De plus, les projets des entrepreneurs qui ont profité d’une expérience familiale sont généralement plus ambitieux et davantage tournés vers l’international.

Dans ce contexte, imaginons que la famille s’agrandisse, que l’ensemble de notre communauté – et pas seulement les familles en affaires – soit constamment exposée à une culture entrepreneuriale forte... Aucun doute quant au résultat !

Avec la collaboration d’Amélie Desrochers , consultante, stratégie et commercialisation