Loin d’être une faiblesse, le doute demeure tout de même un sujet délicat, voire tabou auprès des dirigeants. Comment peut-on alors manifester nos incertitudes? Comment ne pas laisser le doute nous submerger et nous paralyser? Nadine Renaud-Tinker, présidente, direction du Québec, de RBC Banque Royale, se confie sur sa manière d’apprivoiser cet état d’esprit.

L’authenticité est une caractéristique valorisée. Dans le monde des organisations, on souhaite que le leader sache se montrer vulnérable. Pourtant, on aborde peu le rapport au doute, intimement lié à la vulnérabilité et à l’authenticité, croit Nadine Renaud-Tinker. Le modèle du leader fort qui ne dévoile pas ses faiblesses persiste.

Le doute est un sujet qui intéresse particulièrement la dirigeante, parce qu’il demande le courage de se remettre en question. «Le doute, on en parle très peu ; je suis rarement interrogée à ce propos. Or, c’est important d’avoir des doutes. Sans ça, comment pourrait-on se poser les bonnes questions, évaluer les stratégies à mettre en place, s’ajuster?»

On recherche l’authenticité, insiste-t-elle, convenant par ailleurs que de manifester ses doutes amène à s’exposer, au risque de laisser transparaître ses failles et, peut-être, de donner une fausse impression d’un manque de confiance. «On veut des leaders authentiques, on les veut aussi confiants. Il y a un équilibre à trouver quand on exprime le doute : il faut montrer sa vulnérabilité, de la bonne façon. Lorsque tu exerces un rôle d’autorité, tu auras une meilleure influence si tu es accessible. Mais ton équipe s’attend aussi à ce que tu les inspires.»

Nadine Renaud-Tinker raconte que lorsqu’elle a obtenu ses premiers postes de cadre, révéler sa vulnérabilité n’allait pas de soi. Leader accomplie et aujourd’hui à l’aise avec le doute, elle a appris de ses premières erreurs de jeune gestionnaire : ne pas solliciter de l’aide ou s’abstenir de poser davantage de questions devant l’incertitude ne sont jamais de bonnes choses à faire.

Elle évoque également les différences qui existent dans la manière d’asseoir sa crédibilité et d’exprimer sa vulnérabilité selon les cultures. De retour au Québec depuis quelques années après avoir passé 17 ans à Toronto, toujours à la RBC où elle a gravi les échelons, elle a dû s’ajuster. «Ce sont réellement deux cultures et deux façons de se dévoiler, admet-elle. Quand j’ai demandé de la rétroaction à des personnes de confiance, j’ai été étonnée qu’on me dise que mon approche trop professionnelle ne me permettait pas d’établir un véritable contact avec mes équipes. C’était surprenant pour une femme comme moi ayant travaillé pendant des années à améliorer ma communication! Afficher une certaine réserve résonnait dans l’environnement anglophone, mais au Québec, les gens avaient l’impression que j’étais distante.»

Des questions, beaucoup de questions!

Durant cette période charnière où elle réalise que les gens ne la connaissent pas, Nadine Renaud-Tinker réfléchit à la manière de se révéler tout en respectant ce qu’elle est. Elle s’implique alors dans plusieurs groupes et fondations dont les missions la passionnent, ce qui l’amène à aider les autres en contribuant autrement que dans son rôle à la RBC. «C’était une excellente voie pour faire connaître qui je suis. Et puis, j’ai pris conscience de l’importance de la vulnérabilité, qui est liée à l’expression du doute. Lorsque je parcourais les régions de la province, on me demandait souvent : “Qu’est-ce qui te garde éveillée la nuit?” Et je répondais avec transparence, partageant ce qui me préoccupait.» La dirigeante ajoute que l’effet a été immédiat : cela lui a permis de se rapprocher de ses employés, puisqu’elle avait fait preuve d’humanité et démontré qu’elle croyait aux possibilités de trouver des solutions ensemble.

Pour Nadine Renaud-Tinker, sa manière personnelle de gérer le doute est de poser des questions, beaucoup de questions. Devant une situation complexe où il est difficile de prendre une décision, elle creuse! Elle explique toutefois que le réflexe de poser beaucoup de questions aux membres de ses équipes comporte néanmoins un risque, celui de les déstabiliser, et de les insécuriser. Ils peuvent alors douter d’eux-mêmes, se sentir attaqués, voire découragés, avoir le sentiment que leur leader ne croit pas en eux, en leur travail ou en leurs compétences. « À mon avis, avant de prendre une décision, c’est fondamental de poser des questions afin d’explorer tous les angles. Mais j’ai réalisé que cette approche pouvait être intimidante pour mes équipes. C’est donc essentiel d’expliquer clairement pourquoi j’ai besoin de comprendre et qu’il ne s’agit pas d’un manque de confiance envers eux ou leur travail.» Tout est dans la manière d’exprimer le doute. La communication gagne à être limpide.

Évidemment, on ne peut poser des questions éternellement! Le doute peut être un formidable levier de transformation, mais il faut savoir trancher. Quand on se questionne trop longtemps, on risque de perdre l’impulsion du moment. Comment savoir alors quand il faut aller au-delà du doute? «Ça dépend du contexte. Moi, par exemple, je me fixe toujours une certaine limite : quelques jours, quelques semaines, quelques mois. Il faut se donner le temps de douter. Le danger, c’est de ne pas le faire de la bonne façon ou d’y passer trop de temps. Certaines personnes peuvent juger que tu n’as pas confiance en toi ou en elles. Et j’en reviens à l’importance d’expliquer pourquoi tu poses des questions.»

Un ajustement constant

Pour savoir avec qui elle doit partager ses doutes, Nadine Renaud-Tinker évalue la situation : parfois, c’est avec sa garde rapprochée, parfois avec toute l’équipe de direction. «Je suis entourée de personnes qui pensent différemment. Chacune apporte son bagage diversifié et alimente la réflexion. Ça peut bousculer les idées reçues, c’est vrai !» s’exclame-t-elle en riant.

Elle peut également se tourner vers un solide réseau de gens d’affaires, notamment des dirigeants qui vivent eux aussi des dilemmes et des moments d’incertitude. «Je fais partie d’un groupe restreint de présidents et, sans être dans les mêmes industries, nous affrontons tous des défis communs. C’est un immense soutien, et ça me donne le sentiment de ne pas être seule. Devant les sujets qui me tiennent éveillée la nuit, je réalise que le fait d’en parler avec la bonne personne de confiance, que nous ayons la même perspective ou que nous exprimions un point de vue différent, favorise l’entraide.»

Le dosage entre la réflexion, la période de doute et l’action demeure un jeu d’équilibriste qui s’apprend avec l’expérience. «Parfois on fonce trop vite, parfois on tarde trop !» Mais douter procure l’éclairage nécessaire aux décisions nombreuses dans un monde en perpétuelle mouvance. Avec sagesse, Nadine Renaud-Tinker conclut que c’est un ajustement constant. «Mais il ne faut jamais avoir peur de poser des questions, de se remettre en question. De douter.»

Article publié dans l'édition Été 2023 de Gestion