Le deuil organisationnel existe, parlons-en!
2025-01-29

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2025-01-22
Le deuil organisationnel existe, parlons-en!
Ressources humaines , Stratégie

L’humain est avant tout un être d’émotions. Se le rappeler régulièrement permet une meilleure compréhension des écueils possibles dans le quotidien du gestionnaire, surtout lorsqu’un changement bouscule l’environnement de travail. Peu évoqué, le deuil organisationnel entre en scène lors d’un départ d’un collègue, de l’abandon d’un projet, d’une restructuration quelconque. À une époque où les transformations s’enchaînent à grande vitesse, on gagne à réfléchir à cette réaction normale face à une perte.
Inhérent au changement, le deuil organisationnel se manifeste de manière différente selon l’individu. C’est un processus d’acceptation d’une perte, de privilèges, d’habitudes ou d’un sentiment de compétence. Une acquisition, avec son lot de bouleversements profonds, va par exemple certainement perturber la majorité des employés. Dans un autre contexte, le départ d’un gestionnaire apprécié, qui a bâti une cohésion d’équipe, ne doit pas non plus être sous-estimé.
Selon Sandrine Vergracht, CCMP, présidente d’Évoluance, firme spécialisée en gestion de changement et design organisationnel, peu de cadres sont conscients du deuil organisationnel parce qu’un changement vogue généralement sur une vague d’optimisme. «Celui qui mène le changement est convaincu et assure que tout va bien aller. On pousse en ce sens. C’est presque un slogan de marketing, “wow, on s’en va vers le futur!” Mais tout le monde ne le vit pas comme ça. Le deuil organisationnel, lui, est perçu comme le côté négatif du changement, on aimerait passer par-dessus.» Pourtant, aborder le deuil, c’est une manière de se tourner vers ses équipes pour prendre le pouls et mettre en place des stratégies pour traverser cette étape qui, qu’on l’évoque ou la nie, est bien réelle.
La résistance à la perte
Lors d’un changement, l’humain cherche à défendre ce qu’il perd. Pour Kevin Johnson, professeur titulaire au Département de management de HEC Montréal et directeur du Centre d’études en transformation des organisations, certaines étapes classiques du deuil (choc, déni, colère, tristesse, résignation, acceptation) se reconnaissent dans le deuil organisationnel. Mais il aime apporter certaines particularités à ce dernier. «Devant une grande transformation, prenons l’exemple du passage à la numérisation d’une entreprise, on demande aux gens de s’engager envers quelque chose qui va devenir. Il faut prendre conscience que c’est à la fois leur demander de se désidentifier d’une organisation existante, pour laquelle ils ont travaillé fort. Nous étions ceci, et parce que ça ne fonctionne plus dans l’environnement actuel, il faut devenir cela. Je peux comprendre que la solution est bonne, mais moi, j’y croyais, je trouvais que nous étions bons. C’est difficile de se réengager.»
Pour le chercheur, nier le processus du deuil organisationnel lié au changement, c’est risquer de se faire rattraper par la vague. «Il faut prendre le temps. On le répète, les dirigeants le savent, le comprennent peut-être, mais on ne le fait pas.» Et plus tard, inévitablement, le manque de mobilisation se fera sentir. Kevin Johnson suggère de mener le changement en tenant compte de ces lieux où l’on se sent en sécurité. «Il y a d’abord le refuge social, l’appartenance à un groupe. Ensuite, il y a les routines, ces manières de faire qui n’ajoutent pas au stress. Finalement, il y a le sentiment de compétence, là où on se sent performant. Lorsqu’une organisation prévoit une transformation, elle devrait s’assurer de la séquencer de manière à ne pas atteindre tout à la fois ces trois formes de repère.»
Il souligne également la fréquence des changements qui pourront mener à une saturation. Les employés qui vivent une série de deuils finiront par adopter une attitude de résignation acquise, d’épuisement et de désengagement.
La compétence d’accompagnement transversale
La reconnaissance de ce qui est vécu est déjà un pas vers celui qui vit un deuil organisationnel. Puis, cette empathie, dont on parle tant. «Il est important de comprendre qu’il y a une perte et, aussi, de nommer le passé, ne pas l’oublier. Souvent, lors d’un changement, on demande de repartir à zéro. Le passé nous enracine, ce sont nos archives, il ne s’agit pas de faire table rase», précise Sandrine Vergracht. Cette écoute sensible donnera la possibilité d’un échange et permettra d’expliquer le changement dans une autre perspective. C’est en saisissant les raisons qui poussent à la transformation que les gens trouveront un sens. On accepte mal ce qu’on ne comprend pas.
«Tout cela implique une compétence d’accompagnement qui devrait être transversale. Tous devraient y être formés dans une organisation. Il ne s’agit pas d’être psychologue! Simplement de savoir accompagner, à une époque où tout va très vite et où le changement est continuel. On connaît les enjeux de santé mentale et le poids de la détresse psychologique, ayons le courage de réellement reconnaître à quel point les ressources humaines sont précieuses», insiste la consultante.
Sachant qu’un humain résistant au changement est un employé dont la performance est freinée, Sandrine Vergracht évoque l’appui d’un indicateur financier pour inciter les entreprises à prendre en considération le deuil organisationnel. «Ce n’est pas la meilleure raison, mais elle semble efficace pour réaliser l’importance de prendre soin de ses employés et de reconnaître la perte liée aux changements multiples. La meilleure raison, évidemment, c’est de se montrer humain.»
Ressources humaines , Stratégie