Article publié dans l'édition Automne 2020 de Gestion

Annie Veilleux est directrice de Familles en affaires HEC Montréal.

Quand on accompagne des familles en affaires, et plus particulièrement de jeunes repreneurs, on prend vite conscience de la souffrance occasionnée par l’absence de communication entre les parents et les enfants, les frères et les sœurs, les oncles et les tantes, etc.

À plusieurs occasions au cours de la dernière année, j’ai été interpellée par de jeunes repreneurs talentueux et ambitieux mais incapables de dire à leurs parents à quel point ils souhaitent être intégrés davantage dans l’entreprise familiale, et ce, dans le but de la reprendre un jour. J’ai eu l’occasion d’animer plusieurs ateliers thématiques d’accompagnement, tant à Montréal qu’en région, où ces jeunes de la relève ont jeté le masque et ont confié, souvent en pleurs, leur besoin d’être entendus. Toutefois, en cette ère de communication effrénée et constante, comment faire pour être à l’écoute de ces entrepreneurs qui sont aussi des membres de la famille?

Un véritable dialogue

La communication au sein d’une famille en affaires, c’est « l’affaire » de tous. Chacun des membres de la famille est responsable de sa prise de parole et de son apport à la conversation. Pour ce faire, nul besoin d’être un orateur hors pair ou d’avoir un diplôme d’études supérieures en communication : il s’agit de s’accorder le droit de parler et d’amorcer les échanges.

Voici, en rafale, quelques idées pour favoriser le dialogue et pour passer à l’action1 :

  • Réfléchissez, planifiez vos interventions, exprimez vos idées et mettez-les en pratique. Vous avez le droit de le faire!
  • Démontrez votre intérêt et investissez du temps dans ce processus.
  • Posez davantage de questions ouvertes et écoutez bien les réponses de vos interlocuteurs.
  • Écoutez d’abord avec votre cœur puis avec votre tête.
  • Faites des essais en parlant à des personnes de confiance.
  • Commencez à dialoguer plus sérieusement.
  • Prenez votre temps, allez-y lentement et respectez le principe des petits pas.
  • Attardez-vous davantage aux sujets importants plutôt qu’aux questions urgentes.
  • Mesurez régulièrement vos progrès et faites-en part dans votre entourage.
  • Apprenez à connaître vos interlocuteurs (personnalité, besoins, intérêts, etc.).
  • Demeurez souple, soyez ouvert d’esprit et suivez l’énergie là où elle circule.
  • Mettez votre ego de côté. Adoptez un langage accessible à tous.
  • Respectez le degré de compréhension de chacun de vos interlocuteurs, quitte à les prendre à part et à les faire cheminer.
  • Et, idéalement, parlez des bons sujets aux bons endroits (conseils, comités, forums, etc.).

Il est important de prendre conscience du fait qu’une entreprise familiale évolue au sein d’un système où trois sous-systèmes s’entrecoupent et interagissent : l’entreprise elle-même, la famille et le patrimoine (c’est-à-dire la propriété). Le chevauchement des trois sous-systèmes donne sept territoires distincts occupés par des individus aux besoins différents, ce qui crée toute l’unicité et toute la complexité associées aux entreprises familiales (voir le graphique ci-dessous).

 


Pour maîtriser cette complexité et pour donner une voix à tous les membres de la famille, il importe de mettre en place des structures2.

Le conseil de famille est par exemple la structure de communication à privilégier. Il permet aux membres du clan de parler de leurs aspirations personnelles et professionnelles, de discuter de l’implication (ou non) de la famille dans l’entreprise et d’amorcer des échanges sur les projets de transfert du patrimoine familial.

Au fil des rencontres, le conseil de famille permet de consolider les liens familiaux, d’assurer la stabilité et la continuité de l’entreprise, de transmettre et de préserver les valeurs familiales, de renforcer le sentiment d’appartenance des membres de la famille à l’organisation et de jeter des ponts entre les trois sous-systèmes.

La littérature scientifique et la pratique ont démontré qu’il existe de nombreux avantages à organiser des rencontres familiales. En favorisant la discussion, celles-ci permettent de créer une famille forte et unie ainsi qu’une entreprise pérenne. Ces rencontres permettent également de planifier le rôle de chacun au sein de l’entreprise et d’engager des discussions sur le processus de succession. Finalement, elles aident à circonscrire, à gérer et à résoudre les conflits.

Avoir des conversations fructueuses avec les bons interlocuteurs aux bons endroits (comités, forums, etc.) est indéniablement un facteur de succès crucial pour l’harmonie d’une famille en affaires. Mais le principal conseil qu’on peut prodiguer à ces familles consiste à planifier et à préparer toute communication si on veut qu’elle ait les résultats escomptés, notamment en se posant les questions suivantes :

  • Quels sont les objectifs de cette communication? Souhaitez-vous informer, rassurer, convaincre, recevoir un avis, vous faire guider?
  • Quel sera le grand message à retenir de votre communication? Souhaitez-vous par exemple que votre père et votre mère sachent que vous rêvez de reprendre l’entreprise un jour? Ou alors aimeriez-vous tout simplement qu’on vous transmette des informations au sujet de la vision de l’entreprise?

Le vieux proverbe selon lequel il faut tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler est plus vrai que jamais. Ainsi, avant d’entamer des discussions d’affaires en famille, il vaut toujours mieux bien réfléchir. Est-ce vrai? Est-ce utile? Est-ce inspirant? Est-ce nécessaire? Est-ce respectueux? Les réponses que vous apporterez à ces cinq questions vous permettront de mieux vous préparer et d’établir ce que vous souhaitez dire ou ne pas dire.



1 Legler, S., Shift your family Business – Stop Working in your family Business – Start Working on your Business family, Victoria (C.-B), Friesen Press, 2014, 64 pages.

2 Beaucage, C. S., et Paré Julien, D., Le Petit Guide de la famille en affaires – Le conseil de famille, Montréal, Familles en affaires HEC Montréal, 2017, 40 pages.