Le premier paragraphe d’un article de journal1 résumait le message d’une recherche2 sur la désertion professionnelle des jeunes enseignants : « Près du quart des jeunes enseignants québécois décrochent parce qu’ils sont débordés et héritent des classes les plus difficiles… » Sans vouloir nier l’effet potentiel du transfert du fardeau vers les jeunes enseignants, ce texte se concentre sur les difficultés de prédire la performance future dans certains domaines ou circonstances.

Le problème de quart-arrière

Auteur de livres à grand succès s’appuyant sur des travaux en sciences sociales, le journaliste canadien Malcolm Gladwell a publié, il y a déjà quelques années, un texte sur le problème de quart-arrière en l’appliquant au secteur de l’éducation et aussi à celui des conseillers financiers. Quel est ce problème selon lui ? Pour certains emplois, presque rien que vous pouvez apprendre sur les candidats avant qu’ils ne commencent ne prédit comment ils perfermeront  une fois qu’ils sont embauchés. Alors, comment savons-nous qui choisir dans des cas comme ça ? Au cours des dernières années, un certain nombre de domaines ont commencé à se débattre avec ce problème, mais aucun avec de si profondes conséquences sociales que celles de la profession d’enseignant. Mais pourquoi l’auteur se réfère-t-il au poste de quart-arrière au football ? Aux dires d’un dépisteur d’expérience qui évalue annuellement de 800 à 1 200 joueurs, une excellente performance d’un quart-arrière au niveau collégial n’aide pas à prédire le résultat au niveau professionnel où le jeu est beaucoup plus rapide et aussi plus compliqué. Ce n’est pas la situation pour les autres postes de l’équipe où la différence avec le niveau professionnel y est moins grande. Une étude empirique le confirme : « Nous trouvons qu’une faible corrélation entre les évaluations des équipes le jour du repêchage et la performance ultérieure du quart dans la NFL. En outre, bon nombre des facteurs qui améliorent la position d’un quart au repêchage ne sont pas liés à sa performance future dans la NFL3 ».

L’application à l’éducation

Un problème de quart-arrière s’applique-t-il vraiment au secteur de l’éducation? Ce serait le cas : « Selon des données récentes, la certification des enseignants a peu de rapport avec l’efficacité des enseignants (mesurée par les impacts sur le rendement des élèves). […] Les différences entre les enseignants plus forts et les enseignants plus faibles ne deviendront évidentes qu’une fois que les enseignants auront été dans la salle de classe pour une couple d’années. »4 . Les difficultés d’identifier qui seront les bons professeurs ne sont pas sans conséquence. L’économiste américain Eric Hanushek a évalué l’impact de la qualité du professeur sur la performance des étudiants. En voici deux estimés : « La différence dans la performance d’un étudiant pour une seule année scolaire du fait d’avoir un bon à l’opposé d’un mauvais enseignant peut être estimée à plus d’une année complète de niveau standardisé.5 Un bon, mais non un excellent enseignant [l’un au 69e percentile de tous les enseignants plutôt qu’au 50e percentile], augmente les gains à vie de chaque élève de 10 600 $. Compte tenu d’une classe de 20 élèves, il va augmenter leurs revenus globaux de 212 000 $.6

Comment affronter le problème de quart-arrière ?

Si un problème de quart-arrière existe, comment peut-on l’affronter ou en diminuer les conséquences? Il ne s’agit sûrement pas d’augmenter les exigences ou les barrières à l’entrée puisqu’on ne peut prédire la performance ultérieure des candidats. Les indicateurs ne sont pas disponibles. La réponse est plutôt le contraire, c’est-à-dire ouvrir très grande la porte aux carrières où le problème de quart-arrière est présent. Pour la carrière d’enseignant, c’est la conclusion qu’expriment Gordon, Kane et Stigler. « En réponse à cette constatation, notre proposition vise à améliorer l’efficacité moyenne des enseignants en augmentant l’afflux de nouveaux enseignants et en exigeant un minimum de compétence manifesté au travail (plutôt que de compter uniquement sur les exigences au moment de l’embauche).»7 On obtiendrait alors une forme d’entonnoir avec une grande ouverture à l’entrée et beaucoup de départs au cours des premières années. Cela s’apparente à un tournoi avec la nécessité d’adopter une structure salariale attrayante pour les gagnants. Dans cet environnement, le décrochage des récents enseignants ne serait plus perçu comme un problème, mais plutôt comme un gage d’un bon système d’éducation tourné vers la réussite des étudiants. Toutefois, une telle réforme et ouverture susciteraient l’opposition des facultés des sciences de l’éducation qui perdraient alors leur monopole.


1. Daphnée Dion-Viens. « 25 % des jeunes enseignants décrochent ». Le Journal de Montréal, 13 octobre 2015.

2. Thierry P. Karsenti (2015). « Analyse des facteurs explicatifs et des pistes de solution au phénomène du décrochage chez les nouveaux enseignants, et de son impact sur la réussite scolaire des élèves ».

3. Berri, D. J., & Simmons, R. (2011). « Catching a draft: On the process of selecting quarterbacks in the National Football League amateur draft » . Journal of Productivity Analysis, 35(1), p. 37. 

4. Gordon, R. J., Kane, T. J., & Staiger, D. (2006). Identifying effective teachers using performance on the job. Washington, DC: Brookings Institution, p. 5

5. Hanushek, E. A. (1992). « The trade-off between child quantity and quality ». Journal of political economy, 100(1), p. 113
Hanushek, E. A. (2011). « Valuing teachers ». Education next, 11(3), p. 43 Gordon, R. J., Kane, T. J., & Staiger, D. (2006). Op. cit., p. 5