Pour bien déléguer, connaissez vos subordonnés. Mais surtout, connaissez-vous d'abord!

La délégation est présentée comme l'une des manières les plus efficaces d'assumer son leadership et d'impliquer les employés dans le développement progressif de leurs compétences et de leur autonomie. Que de bonnes raisons de déléguer, en somme. Toutefois, et tous les gestionnaires en exercice qui ont eu un jour ou l'autre à s'en remettre à leurs subordonnés vous le diront, trouver le point d'équilibre à la délégation est loin d'être une sinécure. Car déléguer requiert de se poser une série de questions auxquelles les réponses ne viennent pas immédiatement à l'esprit. Quand déléguer? À qui déléguer? Quelles tâches doit-on déléguer? Telles sont les quelques interrogations qui se bousculeront immanquablement à l'esprit du gestionnaire à l'égard de cet exercice difficile.

Certes, la connaissance fine de ses employés peut déjà contribuer à apporter quelques réponses aux questions ci-haut posées. Mais, dans la mesure où le gestionnaire est également partie prenante de ce processus de délégation, et souvent le principal obstacle à ce dernier, une connaissance tout aussi fine de sa personnalité et de ses réactions peut venir aide. Car en matière de délégation, bien des choses se passent essentiellement entre nos deux oreilles!

S'en laver les mains...

À cet effet, une étude¹ menée par les professeures Mary Steffel, Elanor F. Williams et Jaclyn Perrmann-Graham a cherché à savoir dans quelles circonstances une personne était plus sujette à déléguer et, à l'inverse, dans quelles situations elle l'était moins. En invitant les participants à l'étude à faire des choix, ou à s'en remettre à d'autres quant à cette tâche, dans une série de situations les impliquant personnellement ou impliquant une autre personne (choisir un hôtel pour un congrès auquel soi-même ou son patron assiste, établir le menu pour un buffet auquel ils participeront, ou leur patron, etc.), les universitaires ont démontré que, ceteris paribus, les décideurs étaient plus enclins à laisser le fardeau de la décision à d'autres quand celle-ci ne les concernait pas, et tout particulièrement lorsqu'il existe de potentielles conséquences fâcheuses à la décision. Quelles raisons peuvent justifier un tel comportement? Ce n'est pas le manque de courage décisionnel ni le manque de considération pour ces conséquences fâcheuses, mais davantage le fait de ne pas vouloir porter le chapeau de la mauvaise décision ou d'en être in fine blâmé. Les professeures Steffel, Williams et Perrmann-Graham en sont aussi parvenues à la conclusion qu'un délégant était très à l'aise à refiler le poids d'une décision donnée à une personne sans expertise, du moment que le premier savait que la seconde en assumerait la pleine responsabilité. Et dans le même ordre d'idée, une décision était déléguée encore plus rapidement vers le supérieur hiérarchique, sachant que le dernier en assumera pleinement les retombées...

En matière de délégation, donc, les auteurs signalent au final que les décideurs sont davantage motivés par la négative dans leur processus de délégation. De fait, il serait plus important pour un gestionnaire d'éviter les volées de bois vert suite à une mauvaise prise de décision déléguée que de prendre le crédit d'une décision déléguée avec succès... Sommes-nous vraiment étonnés de la chose?


Note

1. Steffel, M., Williams, E. F., & Perrmann-Graham, J. (2016). Passing the buck: Delegating choices to others to avoid responsibility and blame. Organizational Behavior and Human Decision Processes, 135, 32-44.