Illustration : Sébastien Thibault

L’anxiété est un sujet tabou qui représente pourtant un défi réel pour les gestionnaires, car elle influence leurs décisions et leurs interactions, parfois de manière inconsciente. Or, le coaching offre un espace unique pour explorer ces mécanismes et s’en libérer. À l’aide d’exemples de situations vécues par deux gestionnaires, voyez comment cette démarche peut transformer les tensions individuelles en leviers de croissance.

Lors d’une première séance de coaching, il est peu fréquent qu’une personne coachée exprime directement le souhait de mieux comprendre les origines de son anxiété ou d’explorer les mécanismes de défense que cet état émotionnel génère. De même, il est rare qu’elle reconnaisse ouvertement que son anxiété influe sur ses décisions ou la pousse à instaurer des procédures susceptibles de démotiver ses collaborateurs.

Comme Freud l’a démontré il y a longtemps, l’anxiété déclenche souvent des mécanismes de défense inconscients qui visent à réduire les tensions ressenties. Cependant, dans un contexte professionnel, ces mécanismes peuvent avoir des conséquences néfastes, tant sur les relations entre un gestionnaire et ses collaborateurs que sur l’organisation dans son ensemble.

Le coaching peut alors aider les gestionnaires à cerner leurs «angoisses privilégiées». Il offre un espace qui leur permet de s’éloigner de solutions immédiates, afin d’envisager des possibilités plus constructives pour leurs collaborateurs et pour l’entreprise

Comment le coaching redéfinit les interactions humaines

Comment l’anxiété se manifeste-t-elle?

Pour illustrer comment l’anxiété peut influer sur les comportements et les décisions des gestionnaires, nous examinerons deux cas précis. Ces exemples, tirés de situations réelles, mettent en lumière deux formes distinctes d’anxiété qui, bien que différentes dans leur expression, génèrent chacune des mécanismes de défense aux conséquences potentiellement négatives. Cette démarche permet d’analyser comment ces réactions individuelles, souvent inconscientes, peuvent avoir des effets non seulement sur le leadership exercé par le gestionnaire, mais aussi sur le fonctionnement global de l’organisation.

Les deux cas présentés, celui de Stéphanie et celui de Marie1, émergent d’une même situation : la décision d’autoriser ou non le télétravail à partir des lieux de vacances. Cette question, qui a donné lieu à une réflexion collective au sein de l’organisation où évoluent les deux gestionnaires, a mené à la mise en place d’une règle générale interdisant cette pratique. Cependant, ce n’est pas la règle elle-même qui nous intéresse ici, mais les réactions divergentes des deux gestionnaires face à cette décision. Ces réactions, que nous qualifierons d’opposées, illustrent les différentes formes d’anxiété qu’un gestionnaire peut éprouver dans le cadre de ses fonctions et la manière dont ces émotions peuvent influer sur ses choix et sur son comportement.

1er cas – Stéphanie ou l’anxiété obsessionnelle névrotique

Comme gestionnaire, Stéphanie était très favorable à la décision d’interdire le télétravail sur les lieux de vacances, estimant que cette règle permettait d’éviter les négociations individuelles avec les employés sur des modalités de travail personnalisées. Pour elle, une règle claire et rigide était essentielle : «Nous évitons ainsi les discussions complexes avec les employés. Tout est bien défini, on sait ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas», affirmait-elle.

Cependant, cette position allait au-delà d’un simple choix managérial (accepter ou non le télétravail sur les lieux de vacances). Après plusieurs observations, il est apparu que l’attitude de Stéphanie traduisait une forme d’anxiété obsessionnelle névrotique, telle que décrite par Freud. Nourrie par la crainte de devoir mener des discussions difficiles avec des employés peu autonomes à qui il faudrait certainement interdire le télétravail, l’anxiété de Stéphanie était apaisée par l’application d’une règle stricte.

Au bout du compte, cette rigidité a aussi engendré des effets négatifs. Les employés les plus performants et autonomes, qui avaient déjà démontré leur efficacité en télétravail, ont contesté cette décision, ce qui a exacerbé les tensions internes. Une fois de plus, Stéphanie a pu utiliser la règle établie comme un bouclier, pour couper court à des discussions difficiles.

2e cas –  Marie ou l’angoisse de castration

Marie, à l’inverse, était très réticente à l’idée d’adopter une règle générale, estimant que celle-ci aurait pour effet de réduire son autonomie managériale : «Une fois que nous avons instauré une règle, nous devons nous y tenir», répétait-elle. Cette résistance à un cadre fixe ne se limitait pas à une simple question d’équité. Elle révélait une autre forme d’anxiété : l’angoisse de castration. Pour Freud, ce désarroi reflète la peur de perdre sa liberté : si elle devait avoir un entretien difficile avec un employé, Marie serait «enfermée» dans une position contraignante qui lui laisserait peu ou pas de marge de manœuvre, ce qu’elle cherchait à éviter à tout prix.

Cette attitude a rapidement généré elle aussi des frustrations chez les collaborateurs de Marie. Établies au gré des situations, les règles changeantes ont créé confusion et frustration au sein de l’équipe. Ainsi, si Marie peut combattre l’angoisse de castration en évitant les règles ou les cadres clairs, cela ne satisfait ni ses collaborateurs ni l’organisation.

Le rôle du coaching

Les comportements de Stéphanie et de Marie montrent que les décisions managériales peuvent être influencées par des mécanismes inconscients visant à réduire une forme d’angoisse personnelle. Pour Freud, l’anxiété désigne un état où l’on s’attend à un danger, connu ou inconnu, auquel on est éventuellement préparé à faire face. En résultent différents mécanismes de défense pour éviter à l’ego de se retrouver dans des situations inconfortables qui menacent une vision positive ou préférée que l’on a de soi. Ces mécanismes de défense sont les symptômes mêmes de l’anxiété.

Les réactions de Stéphanie et de Marie aux règles – l’une optant pour l’établissement d’une politique stricte, l’autre cherchant à éviter son application – semblent davantage être des réactions à une forme d’anxiété, qu’elle soit inconsciente ou subconsciente, qu’à une véritable analyse du problème en question. Ces attitudes, si elles peuvent soulager leur anxiété, peuvent aussi donner lieu à des prises de position inadéquates et à de mauvaises décisions. D’où l’importance, pour les gestionnaires, de prendre conscience de ces mécanismes afin de mieux les comprendre et les réguler.

C’est ici que le coaching prend tout son sens. Il offre aux gestionnaires un cadre professionnel, sûr et confidentiel où ils peuvent explorer leurs mécanismes de défense et réfléchir aux «situations d’évitement», ces moments où nous avons tendance à fuir ce qui nous cause de l’anxiété.

Cette démarche permet à la personne coachée de comprendre des facettes de sa personnalité qu’elle n’aborde que rarement, voire jamais, mais qui peuvent pourtant avoir une influence sur ses choix et sur ses attitudes managériales. En accédant à un niveau de conscience plus profond, elle est alors mieux à même de prendre du recul et d’éviter certains comportements susceptibles d’affecter ses relations avec les autres ou de l’amener à prendre des décisions inappropriées.


Note

1 - Bien que les situations décrites soient réelles, les prénoms employés sont fictifs, pour préserver l’anonymat des gestionnaires concernées.

Article publié dans l’édition Printemps 2025 de Gestion