Sur quelle base faire le choix des indicateurs logistiques?

L’automne dernier en assistant à une conférence traitant du déploiement de la salle de pilotage stratégique dans un centre intégré de santé et des services sociaux (CISSS), nous entendions une PDG souligner que la prochaine étape de maturité de ce système de gestion serait de trouver un moyen d’engager les directions de soutien dans la démarche, afin qu’elles deviennent des acteurs tout aussi concernés que les directions cliniques dans l'animation de la salle. Parmi les directions de soutien, on retrouve celle de la logistique (et/ou de la gestion des approvisionnements). Même si le plan stratégique du ministère de la Santé et des Services sociaux comporte 22 objectifs, aucun ne porte précisément sur les activités logistiques. Dans ces conditions, plusieurs de ces directeurs peuvent avoir le sentiment que leurs actions ne contribuent que marginalement à la performance globale de l’établissement, n’étant pas mises en valeur dans la salle de pilotage du comité de direction. Aussi, ce déséquilibre fait en sorte que la direction logistique devient souvent à la remorque des initiatives développées par les autres directions ayant peu de leviers pour promouvoir ses propres projets.


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Une façon de corriger ce déséquilibre serait d’amener des indicateurs de performance logistique à l’intérieur de la salle de pilotage stratégique. Le réseau québécois de la santé ne manque déjà pas d’indicateurs de performance : les 22 objectifs stratégiques du MSSS s’accompagnent déjà de près d’une cinquantaine d’indicateurs. La salle de pilotage impose de faire des choix d’indicateurs qui seront passés en revue1. Il serait donc illusoire que le directeur logistique suggère plusieurs indicateurs alors que les autres membres du comité de direction auront fait un exercice de sélection et renoncé à y suivre certains indicateurs qui les touchent directement. Alors compte tenu de nos propos précédents, sur quelle base faire le choix des indicateurs logistiques? D’abord, nous aurions tendance à éviter de mettre en avant-plan un indicateur portant sur les économies dégagées par la direction logistique. La pression pour atteindre ou maintenir l’équilibre budgétaire est telle dans la très grande majorité des établissements québécois qu’une forme de reddition de compte doit déjà être réalisée à cet effet. Un indicateur logistique traitant de cette dimension serait donc en partie redondant. Aussi, un tel indicateur tendrait à entretenir la perception chez de nombreux autres gestionnaires que la logistique n’est qu’un levier pour dégager des économies.

Alors, quels indicateurs mettre de l’avant? Les ramifications de la logistique hospitalière sont vastes, mais toutes ses activités ne sont pas au même niveau de maturité. Par exemple, de nombreuses directions logistiques effectuent des travaux en vue d’optimiser leurs activités de transport. Cependant, ces initiatives en sont fréquemment à leurs balbutiements et il reste encore à identifier des indicateurs représentatifs et des cibles qui leur soient propres². Par conséquent, nous retiendrions des indicateurs traitant des activités historiques de la logistique hospitalière comme la gestion des approvisionnements et celle du réapprovisionnement des unités de soins. Dans le premier cas, le taux de mise à contrat en dollars pourrait être un contrat par rapport aux dollars d’achats totaux. Cet indicateur retient comme hypothèse qu’un dollar sous contrat aura fait l’objet d’une démarche plus approfondie de mise en concurrence, permettant d’obtenir des économies supplémentaires. Cet indicateur permet de couvrir les efforts de recherche des économies en matière d’achats tout en s’assurant de mettre en œuvre des pratiques exemplaires. Pour ce qui est du réapprovisionnement, le taux de prise en charge de la gestion des stocks aux points de service pourrait être un second indicateur. Il se calcule par le nombre de lignes (transactions) de réapprovisionnement prises en charge par la direction logistique divisé par le nombre total de lignes de réapprovisionnement. Ce taux permet de voir le niveau d’implication du personnel clinique (ou administratif) dans les activités de gestion des stocks aux différents points de service. Par conséquent, un résultat élevé signifie que le personnel logistique intervient davantage et que par conséquent le personnel clinique investit peu de temps dans ces activités pouvant en laisser davantage pour les actes de soins.


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Dans le suivi de ces indicateurs, il ne faut pas oublier la mise à jour des données. Les indicateurs suggérés sont déjà déployés dans les établissements de la province, mais les systèmes d’information actuels devraient être en mesure de les générer. Des établissements complètent le portrait logistique offert au comité de direction par quelques autres, comme le taux de mise à contrats exprimé selon le nombre de codes de produits. Dans tous les cas, le choix des indicateurs doit être guidé par la capacité à les extraire aisément du système d’information.

Finalement, est-ce à dire que la direction logistique doit se limiter à deux ou trois indicateurs de performance? Naturellement non. Comme l’ont démontré Lagacé et Landry, la salle de pilotage stratégique est plus qu’un outil de gestion visuelle de la performance, c’est un système de gestion impliquant une intégration entre les différents niveaux de l’organisation. La direction logistique sera donc dotée de sa propre salle de pilotage avec un nombre plus conséquent d’indicateurs. Au cours des dernières années, des travaux ont été réalisés dans le domaine particulier de la gestion de la logistique hospitalière et permettent d’identifier plusieurs indicateurs avec des cibles à atteindre³.

La mise en œuvre de la salle de pilotage stratégique est une occasion que les directeurs logistiques des établissements de santé devraient saisir. L’indicateur de performance peut devenir un puissant véhicule pour mettre en valeur la contribution d’une direction logistique et au-delà du résultat en lui-même, l’information qu’il offrira peut avoir un effet pédagogique auprès des différents membres du comité de direction qui peuvent mésestimer l’impact réel des activités logistiques dans le fonctionnement quotidien d’un établissement de santé.


1. Denis Lagacé et Sylvain Landry (2016). « Salles de pilotage : un nouveau mode de gestion de la performance », Gestion, 41(3), p. 90-93.

2. Julie Paquette, Jacques Roy et Martin Beaulieu (2015). « Gestion du transport intersites : le secteur des services peut apprendre de celui de la santé », Gestion, 39(4), p. 36-43.

3. Mesures de performance : rapport du groupe de travail sur les mesures de performance de la chaîne d’approvisionnement des hôpitaux. Phase II – Guide de l’utilisateur, 2009.