Les fonds de capital de risque, en particulier les plus jeunes, s’intéressent de plus en plus à la finance d’impact. Ils considèrent que l’investissement privé peut jouer un rôle pour résoudre les crises environnementales et sociales actuelles.

La Fondation McConnell entend se constituer un portefeuille composé entièrement d’investissements d’impact d’ici 2028. «Nous investissons, entre autres, dans des fonds de capital de risque qui financent la croissance d’entreprises sociales à but lucratif», illustre Edmund Piro, chef de la direction des investissements. À la fin de 2023, plus d’un cinquième de la dotation de la Fondation était affecté à l’investissement d’impact.

Edmund Piro donne l’exemple du Women’s and Children’s Health Technology Fund de Cross-Border Impact Ventures, qui gère le plus gros fonds de capital de risque au monde voué à la santé des femmes et des enfants. «Ce fonds appuie principalement les soins maternels et les produits améliorant la santé sexuelle et reproductive, un secteur sous-financé», précise le dirigeant.

À l’instar des membres du Groupe de travail canadien sur l’investissement d’impact, duquel la Fondation fait partie, Edmund Piro considère l’investissement d’impact comme un outil d’atténuation des enjeux systémiques qui cadre tout à fait avec l’obligation fiduciaire des gestionnaires de fonds.

La demande s’accroît

Il existe plusieurs définitions de l’investissement d’impact. Toutes présentent deux éléments communs : l’intentionnalité et la mesure. Un investissement d’impact vise d’abord et avant tout à produire un effet environnemental ou social réel et mesurable. La plupart des définitions ajoutent l’obtention d’un rendement financier, mais les attentes à cet égard varient grandement. Enfin, plusieurs comprennent le concept de l’additionnalité, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un investissement dans des entreprises qui n’auraient pas trouvé d’argent chez des investisseurs traditionnels.

«La demande pour du capital de risque d’impact augmente, confirme Valérie Cecchini, associée gestionnaire de Boréalis Gestion d’actifs mondiale. C’est difficile à ce stade de savoir si les grands fonds traditionnels modifieront leur modèle d’affaires en ce sens, mais on voit clairement venir une génération de nouveaux fonds qui se consacrent à ce créneau.»

On pourrait penser que le modèle d’affaires des fonds de capital de risque, très axé sur le rendement, correspond mal aux objectifs de l’investissement d’impact. Ce n’est pas du tout l’avis d’Andrée-Lise Méthot, fondatrice et associée directrice de Cycle Capital. «Le capital de risque a toujours été tourné vers les entreprises de technologie qui présentaient des risques assez élevés, mais qui promettaient de bons rendements, affirme-t-elle. Or, ces entreprises se retrouvent beaucoup aujourd’hui dans des secteurs qui visent à résoudre des problèmes environnementaux et sociaux.»

14 milliards de dollars

C'est la valeur estimée du marché canadien de l’investissement d’impact en 2022.

Source : Association pour l’investissement responsable

Au cours des dernières années, sa firme a soutenu par exemple Airex Energy, une entreprise de Laval qui produit du biocharbon et du biocarburant à partir de la biomasse. Elle a financé aussi Sonocharge, qui travaille sur des batteries à lithium-ion qui dureront deux fois et demie plus longtemps et qui se chargeront deux fois plus vite. En juin 2024, elle lançait le premier fonds de capital de risque au Québec destiné aux technologies innovantes dans le secteur de l’eau.

«Notre thèse d’investissement inclut toujours une attente de rendement; nous ne laissons rien sur la table, assure l’associée directrice. Nous choisissons des projets qui arriment le rendement à l’impact.»

À la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ), Mathieu Provost, premier directeur du capital de risque, rappelle que son organisation a l’obligation de livrer du rendement à ses déposants, mais cela n’exclut pas du tout d’effectuer des investissements d’impact.

«Les technologies innovantes, comme l’intelligence artificielle (IA), ne sont pas liées à un secteur d’activité en particulier, fait-il valoir. Elles peuvent tout à fait viser des applications novatrices qui ont des impacts environnementaux ou sociaux positifs. Donc, il n’y a pas d’opposition fondamentale entre le capital de risque et la finance d’impact.»

Ces dernières années, la CDPQ a financé Dialogue et sa plateforme de télémédecine, l’inventeur du thermostat intelligent Ecobee et l’opérateur de réseaux de recharge de véhicules électriques FLO. Elle a investi en outre dans des fonds comme BKR Capital, qui soutient les entreprises de la communauté noire, Accelia Capital, qui finance des entreprises innovantes détenues ou dirigées par des femmes, et Ecofuel, spécialisé en technologies propres.

«Si nous ne voyons pas de perspectives de rendement, nous passons notre tour, indique Mathieu Provost. Mais plusieurs projets d’impact offrent de belles promesses de rendement. Nous cherchons un équilibre.»

Des rendements variés

Lorsqu’ils intègrent la finance d’impact, les fonds de capital de risque rencontrent certains défis. Ils doivent d’abord développer l’expertise pour mesurer de manière fiable les impacts des innovations financées. «Les risques réputationnels en cas d’erreur sont grands, puisque l’on vend de la vertu», estime Valérie Cecchini.

Elle ajoute que l’horizon de placement peut parfois être plus long que dans des projets traditionnels. L’analyse du risque se trouve aussi chambardée. Traditionnellement, les attentes de gros rendements correspondent à un risque élevé. Cette relation n’est pas aussi linéaire dans la finance d’impact.

Le rendement demeure d’ailleurs l’élément qui soulève le plus de questionnements. Alors que le capital de risque traditionnel recherche les gains d’abord et avant tout, le capital de risque d’impact y ajoute l’intention de générer des effets environnementaux et sociaux positifs. Mais cela n’équivaut pas automatiquement à un renoncement au rendement, qui serait inacceptable dans le cas de fonds privés.

Dans les faits, les attentes de retour financier varient considérablement. Certains gestionnaires privilégient les projets qui offrent des occasions de rendement au taux du marché, tandis que d’autres adoptent des stratégies concessionnelles, qui supposent d’être prêt à laisser filer un peu de rendement en échange d’impacts environnementaux et sociaux plus importants.

«Plusieurs études ont montré que des investisseurs dans des fonds de capital de risque d’impact acceptaient de recevoir un peu moins de rendement en échange d’un effet environnemental ou social, mais pas beaucoup moins, et qu’ils refusaient de sacrifier une forte partie de leurs rendements pour obtenir de plus gros impacts», souligne Iwan Meier, professeur titulaire au Département de finance de HEC Montréal.

Le mythe selon lequel la finance d’impact implique obligatoirement de renoncer à du rendement a la vie dure, et il a une conséquence étonnante : le risque d’étiquetage. Un récent rapport de la firme PitchBook soutient que des gestionnaires de fonds refusent que leurs fonds soient vus comme des fonds d’impact, même si c’est ce qu’ils sont, par crainte que les investisseurs potentiels les délaissent. Pourtant, 55% des répondants au sondage de PitchBook qui effectuaient de l’investissement d’impact avaient comme objectif principal des rendements au taux du marché. Seulement 7% se montraient plus réceptifs à des concessions en matière de rendement.

«On commence à voir des structures qui facilitent le rapprochement entre l’investissement traditionnel et l’investissement d’impact, comme le financement mixte (blended finance), qui permet un partage asymétrique des risques entre les investisseurs», relève Valérie Cecchini. Dans ce modèle, un acteur comme une banque de développement ou une fondation s’engage à éponger les premières pertes, ce qui encourage des investisseurs privés à participer.

Le capital de risque d’impact se développe aussi au sein des entreprises. «De grandes sociétés financent de jeunes pousses dans des secteurs comme les nouvelles technologies, les énergies alternatives ou les soins de santé, dont les innovations visent des impacts environnementaux et sociaux positifs, explique Iwan Meier. Elles le font pour profiter de ces innovations et en tirer un avantage concurrentiel.»

Le rôle du capital de risque privé dans la finance d’impact demeure donc fondamentalement le même : repérer de jeunes entrepreneurs qui ont eu une idée géniale, puis les aider à la développer et à l’amener dans le marché. Ce qui change, c’est la volonté de soutenir des projets qui génèrent un impact sociétal, et non seulement des rendements financiers.

Article publié dans l’édition Printemps 2025 de Gestion