Le brainstorming a beau souffler ses soixante-dix bougies, il conserve la désinvolture d’un jeune adolescent. Tantôt adoré, tantôt détesté, le remue-méninge continue de polariser et de susciter les passions.

Outil auquel toutes les organisations ont un jour recours, le brainstorming s’est parfois vu enfermer dans un cadre qu’il cherche pourtant à dépasser : celui de post-it sur lesquels quelques idées sont gribouillées et qui se retrouvent accrochés sur un tableau en attendant que la colle ne finisse par sécher.

Pour Marine Agogué, professeure adjointe au Département de management de HEC Montréal, le remue-méninges doit aller plus loin pour dépasser le post-it. Experte en cognition de la créativité, elle propose des classes de maître avec Mosaic, pôle créativité et innovation de HEC Montréal. Voici le tour d’horizon.

Pas de brainstorming sans facilitateur

Le facilitateur occupe une place décisive dans la bonne tenue d’une séance de brainstorming. Une double fonction lui incombe.

Sur le plan social, c’est lui qui distribue la parole, qui doit être capable d’identifier et de déjouer les agendas politiques de certains participants, qui encourage la prise de parole de ceux qui s’expriment moins, sans pour autant les placer dans une position inconfortable … Le facilitateur doit amener chacun à donner le meilleur de lui-même.

Il joue également un rôle cognitif en reformulant les idées émises par chacun des participants. Cette reformulation octroie ainsi le temps nécessaire aux participants d’assimiler les idées afin qu’ils puissent les prendre au bond pour les amener plus loin. Le facilitateur augmente l’efficacité du groupe, mais en se gardant de générer les idées : il est au service du groupe avec un rôle neutre.


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Le brainstorming, issu du résultat d’un processus

Quand, à la fin des années 40, le publicitaire américain Alex Osborn pose les jalons de cette méthode, il édicte également 4 règles qui lui sont inhérentes et que beaucoup connaissent :

  1. Ne pas critiquer les idées proposées et suspendre son jugement.
  2. Privilégier la quantité d’idées proposées.
  3. Accueillir des idées inhabituelles, un peu folles, qui sortent des sentiers battus.
  4. Rebondir sur les idées exprimées, les améliorer et les combiner.

Toutefois, s’en tenir à ses 4 règles stricto sensu, c’est commettre une erreur. Osborn le précisait déjà en son temps : le brainstorming doit s’inscrire dans un processus, qui a un avant, un pendant et un après.

En amont du brainstorming : le temps du balisage

Avant de rentrer dans le vif du sujet, encore faut-il le connaître et savoir quelle est la problématique en jeu. À ce sujet, Marine Agogué met en garde : un brainstorming requiert 20 heures de préparation pour une durée de 3 heures. De quoi laisser perplexes ceux qui pensent encore que le brainstorming consisterait à sortir des idées de son chapeau.

C’est ce temps de préparation qui va justement permettre la mobilisation de l’équipe. Si le sujet n’est pas clairement balisé, soyez certains que la démotivation des personnes invitées au remue-méninges sera elle aussi au rendez-vous.

Préparer le point de départ du brainstorming

Comment commencer un brainstorming ? Par quelle question ? À l’aide de quels moyens ? D’apparence anodine, le brief de départ est pourtant l’élément névralgique garant d’une séance réussie.

Une des techniques suggérées par Marine Agogué est l’utilisation d’images laissant libre cours à l’interprétation. Mais attention, celles-ci doivent être soigneusement choisies : trop proches du sujet, elles risquent d’accentuer l’effet de fixation autour de l’objet; trop éloignées, les réponses risquent de ne pas avoir grands liens avec la question de départ. L’enjeu consiste donc à trouver la bonne distance sémantique.

Commencer un brainstorming

Une séance réunit plusieurs personnes qui ne se connaissent pas forcément, qui ne travaillent pas dans le même service, qui ne se sont peut-être même jamais vues. Il est donc important de développer un sentiment de groupe qui puisse évoluer dans un espace rassurant, où chacun ne sera ni jugé ni dénigré.

Afin de susciter ce climat de confiance, le facilitateur, après s’être présenté et avoir expliqué son rôle, peut recourir à différents exercices d’échauffement. Point de départ unique entre chaque participant, ces exercices, en plus d’aider à créer le sentiment de confiance recherché, pourront avoir différentes fonctions comme se réveiller ou sortir de sa zone de confort, mais pas forcément celle d'amorcer la créativité. Un exemple? Comment vous y prendriez-vous pour extraire un hippopotame d’une baignoire remplie d’eau !?

Diriger une séance de brainstorming

L’exercice requiert énormément de ressources cognitives de la part des participants et peut créer de la fatigue. C’est le rôle du facilitateur de s’assurer que chacun est encore bien éveillé et de continuer à capter leur attention.

Pour ce faire, on pourra prévoir des temps individuels où chacun sera invité à écrire son idée sur un papier (brainwrinting). En plus de remobiliser les esprits, ces phases permettent de contrer les blocages de production : seuls face à leur bout de papier, les participants ne sont plus parasités par les idées des autres. En outre, elles sont un bon moyen pour faire baisser d’éventuelles tensions.

Un autre moyen pour redémarrer la créativité collective lorsqu’elle est en train de s’essouffler : avoir recours à des exemples. Attention, mieux vaut privilégier des exemples provocants qui vont permettre de sortir du cadre pour éviter de renforcer l’effet de fixation.

Par ailleurs, comment gérer les experts sur un sujet précis ou bien l’influence des supérieurs hiérarchiques ?  En les mettant à travailler sur un sujet qui ne relève pas de leur expertise! Et que faire avec les personnes qui ont une idée fixe, qui, selon eux, est la seule réponse aux questions posées? Un des moyens pour qu’ils s’en détachent est de placer cette idée au centre du tableau, lui offrant ainsi une place de choix. On invite ensuite la personne à l’origine de cette idée à réfléchir à d’autres options possibles.

Combattre l’effet de fixation

Qui cherche à être créatif devra pourtant recycler les mêmes idées dans un premier temps. Il n’y a qu’à voir, si vous tapez «créativité» dans la barre de recherche de votre navigateur, combien d’images d’ampoules ou de cerveaux scindées en deux parties distinctes comptabiliserez-vous ?

C’est ce qu’on appelle un effet de fixation et c’est l’un des enjeux cognitifs majeurs du brainstorming. D’ailleurs, plus un objet est associé à un usage, plus il sera difficile de s’en dissocier. Un exemple ? Seriez-vous capable d’énumérer 10 usages possibles d’un… parapluie ?

Alors, comment réussir à sortir de la fixation créative ? Comment réussir à devenir créatif, c’est-à-dire à s’extraire des représentations connues pour aller vers des réponses innovantes ?

En bloquant le recyclage des idées d’une part – le parapluie servira à protéger de la pluie, du vent, du soleil, mais après ? – et en activant son contrôle inhibiteur. Le contrôle inhibiteur est un mécanisme cognitif qui permet de bloquer les idées qui émanent sans même y penser (ce que l’on appelle le système cognitif heuristique) pour faire appel au système logique, qui demande plus d’effort, qui est contrôlé et fait appel à la déduction.


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L’après brainstorming

La mise en application des idées proposées ne fait pas partie en tant que tel de l’exercice de brainstorming. Il est toutefois important, sinon capital, de donner une suite à ces séances, afin de leur donner du sens aux yeux de chacun des participants. Un compte-rendu de la séance pourra être envoyé à tous ceux qui étaient présents.

Avant de terminer un brainstorming, le facilitateur pourra soulever deux idées à mettre en œuvre rapidement et facilement. Ces idées n’ont pas forcément de réponses directes à la question du point de départ de la séance, mais elles sont remontées naturellement et peuvent avoir un fort impact sur l’organisation.

La créativité, entre mythes et présupposés

Dans un monde où la machine occupe une place de plus en plus importante, où l’intelligence artificielle fascine autant qu’elle dérange, la créativité est de plus en plus perçue comme cette qualité intrinsèquement humaine qui permettrait de nous différencier, de nous singulariser.

Notion à la mode, la créativité véhicule son lot de suppositions dans son sillage dont il est important d’avoir conscience pour qui souhaite s’en détacher.

  • La créativité serait facile : présupposé particulièrement tenace, il court-circuite  par le fait même le besoin d’espace et de temps que requiert le processus créatif.
  • La créativité serait libre et exempte de toute contrainte : la créativité n’est pas une fin en soi. Elle est le processus qui conduit à générer des idées qui à leur tour vont créer de la valeur.
  • La créativité serait avant tout individuelle : cette idée rejoint celle du mythe du héros créateur, à l’instar de génie comme Frida Kahlo, Mozart ou Victor Hugo. Les organisations sont aux antipodes de ce génie créatif. Ce dont elles ont besoin au contraire, c’est d’une créativité collective, qui fait la somme de toutes les expertises qu’elles accueillent en son sein.
  • La créativité, c’est avoir une idée : c’est en partie vrai, mais pas totalement, puisqu’il faut être capable de mettre en pratique ces idées. L’exemple de l’invention de l’aspirateur sans sac de la compagnie Dyson est en ce sens particulièrement évocateur. Il aura fallu plus de 15 ans d’essais et 5127 prototypes pour arriver au résultat que l’on connaît aujourd’hui.