Article publié dans l’édition Hiver 2022 de Gestion

Bien avant la pandémie de COVID-19, les experts du travail insistaient déjà sur l’importance du développement en continu des compétences des travailleurs afin d’assurer le succès et la compétitivité des organisations. Or, l’accélération de la révolution numérique a précipité la transformation des emplois, ce qui nous mène à un constat brutal : le monde du travail traverse actuellement une crise des compétences sans précédent.

Dans un contexte bouleversé par la crise sanitaire, la capacité d’apprentissage et de développement continu des travailleurs est devenue prioritaire. Elle fait partie des clés de voûte qui permettront aux organisations de s’adapter aux changements et d’assurer leur croissance, voire leur survie.

Lorsqu’on discute d’apprentissage en entreprise, l’activité qui vient d’abord en tête est la formation traditionnelle, structurée et formelle. Or, si les programmes formels peuvent effectivement procurer de nombreux bienfaits aux organisations, il ne faut pas sous-estimer l’apport incontestable des acquis informels dans le développement des personnes. Certains estiment qu’entre 70 et 90% des apprentissages en organisation s’effectuent de manière informelle1. Les recherches montrent également que l’apprentissage informel est associé positivement à plusieurs indicateurs de performance : acquisition effective de connaissances et d’habiletés, engagement ou efficacité au travail, etc.2. Pourtant, les entreprises accordent peu d’attention et peu de ressources à ce phénomène3.

Qu’est-ce que l’apprentissage informel?

L’apprentissage informel se définit comme l’acquisition généralement intentionnelle, régulière, non structurée et non planifiée de compétences dont une personne a besoin pour faire son travail4. Bien qu’il ne soit ni institué ni dispensé par l’organisation au moyen d’un programme formel, ce type d’apprentissage est néanmoins mesurable lorsqu’il est envisagé sous l’angle comportemental. Certaines actions simples, par exemple le fait de demander l’aide d’un collègue pour résoudre un problème, de poser des questions, de solliciter de la rétroaction de la part de son superviseur, de chercher activement de l’information, d’observer un membre de l'équipe qu’on admire, de discuter avec un groupe de travailleurs spécialisés dans un domaine précis et même de prendre un moment pour réfléchir à sa performance et aux améliorations potentielles, sont autant de comportements d’apprentissage qu’il est possible d’évaluer.

Un environnement propice à l’apprentissage informel

Plusieurs facteurs individuels et contextuels peuvent favoriser l’adoption de comportements d’apprentissage informel, notamment le profil des employés, l’autonomie et le soutien qui leur sont accordés, le temps disponible et la culture organisationnelle. Voici trois actions qui vous offrent la possibilité de transformer vos bonnes intentions en interventions positives et concrètes.

1. Analysez la situation

Il s’agit de réaliser une radiographie de l’apprentissage informel avec la même rigueur que vous le feriez dans le cas de l’apprentissage formel. Pour y parvenir, il peut être opportun de prendre un peu de recul afin de mieux cerner vos forces et vos défis en matière d’apprentissage informel.

2. Transférez vos apprentissages du formel à l’informel

Pourquoi ne pas jumeler systématiquement aux formations formelles une analyse des occasions d’apprentissage informel offertes? N’hésitez pas à solliciter l’avis et les conseils de vos employés les plus expérimentés à ce sujet. En plus de faire le plein d’idées créatives et astucieuses, vous renforcerez leur degré d’engagement.

3. Intégrez l’apprentissage informel à la gestion de la performance

Les évaluations de rendement sont souvent perçues comme des occasions de faire un bilan du passé. Or, pourquoi ne pas profiter de ces moments pour discuter également des stratégies d’apprentissage informel auxquelles vos employés peuvent avoir recours afin de progresser? En intégrant cette question à vos échanges, vous permettrez aux membres de votre équipe de mieux saisir l’importance qu’ils doivent accorder à la formation informelle dans leur quotidien.

Le risque en contexte de travail à distance

Nombreux sont les dommages collatéraux causés par la crise sanitaire de la COVID-19. Au sein même de votre organisation, est-il possible que l’apprentissage informel figure parmi la liste des «victimes» de la pandémie? Dans un contexte de travail à distance, il peut être plus ardu de maintenir une culture d’apprentissage forte. À ce titre, prenons l’exemple d’un nouveau stagiaire qui a dû intégrer votre équipe et votre organisation tout en étant isolé chez lui. Peut-on espérer que son apprentissage sera aussi rapide que celui d’un employé qui s’est joint à votre équipe il y a quelques années et qui a été entouré de ses collègues depuis lors ? Rien n’est moins sûr. Chose certaine, même si cette situation poussera votre nouveau stagiaire à adopter certains comportements autonomes d’apprentissage informel, il risque de ne pas profiter de plusieurs bienfaits qu’on peut tirer des échanges informels, de l’observation des pairs, des conversations de corridor et des questions posées dans le feu de l’action.

Ainsi, le grand défi des organisations consistera à adopter une vision holistique de l’apprentissage en y incorporant une prise de conscience collective de son volet informel, et ce, dans un contexte où la présence au travail est redéfinie.

Afin de déterminer dans quelle mesure l’apprentissage informel fait partie intégrante du fonctionnement de votre organisation, demandez aux membres de votre équipe de compléter notre questionnaire.


Notes

1- Cerasoli, C. P., Alliger, G. M., Donsbach, J. S., Tannenbaum, S. I., Mathieu, J. E., et Orvis, K. A., «Antecedents and outcomes of informal learning behaviors: A meta-analysis», Journal of Business and Psychology, 33, n° 2, avril 2018, p. 203-230; Bear, D. J., Tapping the Potential of Informal Learning – An ASTD Research Study, Alexandria (Virginie), American Society for Training and Development et Institute for Corporate Productivity, 2008.

2- Ibid.

3- Berg, S. A., et Chyung, S. Y., «Factors that influence informal learning in the workplace», Journal of Workplace Learning, 20, n° 4, mai 2008, p. 229-244.

4- Cotsman, S., et Hall, C., Learning Cultures Lead the Way: Learning and Development Outlook, Ottawa, Conference Board du Canada, 2018, 105 pages.