En forçant la généralisation du télétravail, la pandémie a causé bien des bouleversements dans les entreprises. On peut d’ailleurs se demander si l’agilité est possible lorsque les employés travaillent à distance. La réponse est nuancée.

 Plusieurs estiment que les organisations fonctionnant déjà en mode agile ont eu une longueur d’avance lors de l’implantation massive du télétravail. «Leurs employés font preuve d’agentivité, ils savent s’auto-organiser et collaborer efficacement, tout en ayant développé leur intrapreneurship. Cela a donc été plus facile que pour celles où, inversement, la gestion n’était pas basée sur la confiance et l’autonomie», remarque Catherine-Julie Charette, consultante en développement organisationnel qui coache et forme des leaders à l’agilité organisationnelle.

Un avis partagé par Julie Carignan, CRHA, associée et consultante chez Humance. «Les organisations agiles ont pu s’adapter plus rapidement, car les réflexes étaient déjà en place. Cela requiert toutefois des mécanismes de communication à distance bien rodés, par le biais de points de rencontre brefs, mais plus fréquents, ce qui est possible grâce aux technologies», déclare-t-elle.

Nécessaire adaptation

Gérer une équipe agile qui œuvre loin du bureau semble donc possible, mais nécessite des ajustements. «Le télétravail ajoute beaucoup de complexité, donc l’agilité s’y prête bien. Toutefois, ces méthodes reposent beaucoup sur la communication, une dimension qui pâtit de la distance. Ainsi, les gestionnaires peuvent avoir de la difficulté à faire passer empathie et bienveillance par visioconférence, alors que cela se fait naturellement dans le cadre de conversations de corridor par exemple», constate Philippe Mast, CRHA, consultant, conférencier, formateur et cofondateur de la firme CORTO.REV. Il révèle aussi que l’utilisation systématique d’outils de visioconférence, une forme de communication qui demeure selon lui froide et relativement dépourvue de chaleur humaine, n’est sans doute pas la panacée.

Malgré tout, un leader agile possède des qualités qu’il peut transposer en télétravail, indique Éric Hamel, directeur principal de Nexio Inc. et président du conseil d’administration de la Communauté Agile Québec. «Il devra cependant se préparer davantage, faire plus d’animation dans les réunions et ateliers afin de susciter la collaboration des participants. Pour mieux communiquer le langage non verbal, il faut allumer les caméras. On doit aussi apprendre à poser les questions différemment et savoir gérer les moments de silence», soutient-il.

Pour sa part, Guillaume Lapierre, coach organisationnel senior et cofondateur de la firme Pragsix, souligne que de nouveaux outils comme les casques de réalité augmentée pourraient éventuellement venir au secours des gestionnaires agiles et de leurs équipes. «Imaginons de petites salles virtuelles où l’on pourrait interagir comme dans une salle de réunion. Cela aiderait à compenser certains aspects, même si bien sûr on ne peut pas remplacer le véritable contact humain et les rencontres en personne», note-t-il.

Les défis de la distance

Selon les experts consultés, c’est aussi l’aspect informel des communications qui se conjugue mal avec le travail à distance, ce qui, au bout du compte, peut nuire à l’agilité. Ces discussions à bâtons rompues autour de la machine à café notamment, ou le fait d’aller voir un collègue de façon impromptue pour lui poser une question ou valider un élément. L’isolement et la perte de sens sont aussi montrés du doigt.

Mais ce n’est pas tout. Miguel Hernandez, maître d’enseignement au Département de management de HEC Montréal, indique que plusieurs ingrédients sont nécessaires au succès d’une équipe virtuelle : fixer des objectifs clairs, réunir les bonnes personnes autour du projet, gérer l’agenda et établir la relation. «Cela constitue un défi pour le gestionnaire agile, qui devra faciliter la cohésion entre les membres de son équipe, par exemple en créant des espaces collaboratifs. Cela peut prendre la forme de cafés virtuels où l’on ne parlera pas nécessairement de travail, mais où l’on apprendra à se connaître. Certaines entreprises ont aussi développé des outils de type Facebook à l’interne, afin que des interactions naturelles puissent s’établir, mais en mode virtuel», illustre-t-il.

Malgré tous les efforts pour pallier la distance, certains des mécanismes à l’œuvre en présentiel peuvent aussi ne pas opérer, comme l’apprentissage osmotique. «Lorsque les individus interagissent, la discussion nourrit et alimente l’équipe, ce qui favorise l’apprentissage collectif. À distance, cela ne fonctionne pas», remarque Miguel Hernandez.

S’il admet que l’agilité demeure possible en télétravail, il estime que ce n’est pas nécessairement la meilleure configuration. Par conséquent, dès que la situation le permettra et qu’il sera possible de travailler en mode hybride, il conseille de favoriser les rencontres en personne. «À tout le moins lors du lancement d’un projet, afin que les membres de l’équipe puissent établir une communication. Ensuite, chacun pourra retourner chez soi pour accomplir sa part du travail», recommande-t-il.