Perfection ou excellence? Ces deux cibles sont souvent confondues. Levons le voile sur ce que les athlètes et sportifs de haut niveau ont compris des différences fondamentales entre perfection et excellence pour optimiser leur performance. Nous avons tout intérêt à nous en inspirer pour élever notre propre jeu.

«Les meilleurs athlètes du monde ne sont pas les meilleurs parce qu’ils gagnent tous les points», a affirmé avec émotion l’un des plus grands joueurs de tennis professionnels, le Suisse Roger Federer, en prenant sa retraite sportive en 2022 à l’âge de 41 ans. Sur les 1526 matchs en simple qu’il a disputés en carrière, il en a gagné 1251, soit près de 82 % d’eux... et pourtant, il n’a gagné que 54 % des points joués. Les données parlent d’elles-mêmes : celui qui a marqué l’histoire de ce sport a remporté à peine plus de la moitié des points. Bref, on est loin de la perfection!

Contrastant avec ces statistiques éloquentes, de nombreux leaders et dirigeants se soumettent à une pression constante de la perfection à chaque rencontre, chaque présentation, chaque embauche, chaque projet… et chaque décision. L’échec n’est pas une option, qu’il s’agisse de connaître tous les détails des dossiers pour pouvoir répondre à toutes les questions possibles lors des réunions, de maîtriser en tout temps la gestion des équipes, ou encore de travailler les soirs et les week-ends pour que tout soit toujours parfait. C’est sans compter qu’il faut être disponible pour la famille et organiser les vacances parfaites. Gagner tous les points… au détriment, peut-être, des victoires importantes ou décisives en saison régulière ou en éliminatoires, et aussi de la santé. Être toujours à fond partout et tout le temps... et, souvent, imposer le même rythme à l’entourage.

Vous vous sentez interpellé? C’est normal. Et vous n’êtes pas seul : selon une étude récente de Canada Vie1, plus du tiers (35 %) des Canadiens et des Canadiennes font état d’un épuisement professionnel, surtout chez les personnes qui se fixent des attentes particulièrement élevées.

La perfection : une alliée, une nécessité ou… une tyrannie

La perfection est profondément ancrée dans nos croyances comme un levier ou un signe de performance et de réussite.

Cette quête de la perfection peut nous avoir servi à l’occasion; difficile, donc, de la laisser aller, malgré le sentiment d’insatisfaction (jamais assez!) et de fatigue qu’elle peut entraîner dans son sillage.

D’abord perçue comme une qualité – soit la motivation de bien faire les choses –, la quête de la perfection a malgré tout le pouvoir de nous pourrir la vie. Que faire, alors, pour nous en libérer, et à quel prix? Faut-il diminuer nos attentes? Au contraire. Inspirons-nous plutôt de l’état d’esprit des sportifs et des athlètes : ils visent haut, mais en adoptant des buts et en retenant des indicateurs plus englobants. Leur cible mérite précisément de nous y attarder.

Au lieu de la perfection, viser l’excellence

Le baseball professionnel l’illustre spécialement bien : il s’agit d’un sport dans lequel personne ne s’attend à ce que les meilleurs joueurs frappent un coup de circuit à chaque présence au bâton ou encore à chaque partie. On parle plutôt de moyenne au bâton, et particulièrement de points produits victorieux, comme mesure du rendement réel d’un joueur : réussir quand ça compte!

Alors que la perfection dicte l’absence totale de défauts ou d’erreurs – à savoir : tout doit être accompli sans la moindre faille –, l’excellence nous invite à aspirer au meilleur de nous-mêmes ou d’une activité, dans la durée plutôt qu’à chaque instant, en accueillant les imperfections, qui s’avèrent parfois souhaitables.

Comme gestionnaire, il s’agit souvent d’accepter que la tâche ou le projet ne soit pas réalisé comme nous l’imaginions et de laisser place à la créativité de nos collaborateurs, leur accordant à leur tour de naviguer dans leur zone d’excellence, en plus de voir émerger de nouvelles idées et perspectives. Comme c’est le cas avec la passe au hockey, au soccer ou au basketball, parfois, il vaut mieux laisser l’autre compter et préserver nos énergies pour la suite.

Le plus grand joueur de soccer de notre époque, Lionel Messi, est de petit gabarit et possède pourtant une caractéristique remarquable : il marche sur le terrain 80 % du temps, parfois plus. S’agit-il ici de nonchalance? Non; plutôt d’une stratégie d’économie d’énergie, et surtout d’un temps d’observation et d’anticipation du jeu. Résultat : il est au bon endroit, au bon moment, et prêt à déployer son énergie.

La progression et l’influence au bon moment : donner un sens à notre performance

L'excellence se manifeste dans divers aspects de la vie, que ce soit au travail, dans les études ou même dans les relations interpersonnelles. Rechercher l'excellence implique une évolution, une amélioration continue, sans la paralysie engendrée par l'idée d'atteindre la perfection, laquelle est d’ailleurs la plupart du temps irréalisable et non nécessaire.

Davantage un processus qu’une finalité, l’excellence ressemble à un parcours ponctué d'objectifs de performance aussi ambitieux que réalistes, et surtout adaptés aux circonstances et aux conditions sur le terrain.

Les sportifs et les athlètes de haut niveau, bien qu’ils ne soient pas à l’abri des blessures et de l’épuisement, ont développé un état d’esprit qui les amène à jouer consciemment dans leur zone d’excellence. Cette perspective de progression donne un sens à leur performance et les amène à être à leur meilleur quand ça compte.

Marie-Philip Poulin, la meilleure joueuse de hockey au monde, est surnommée «Captain Clutch» (capitaine excellence) en raison de sa capacité à livrer des performances exceptionnelles dans les moments les plus importants, notamment lors de finales olympiques.

Connaissons-nous vraiment notre zone d’excellence2 et celle de nos collaborateurs? Elle regroupe les leviers déjà accessibles, comme nos forces innées, le style et les attitudes qui nous distinguent, nos compétences, notre essence, ainsi que les valeurs qui nous animent. Les utiliser consciemment nous aidera à éviter de brûler trop d’énergie, en acceptant le fait que gagner 50 % du temps peut nous amener au championnat.

Cet état d’esprit s’exprime en dirigeant notre attention sur trois éléments : l’intention, la conscience de soi et la progression. Or, comment appliquer cet état d’esprit dans nos rôles et nos organisations? Créer des conditions fertiles à l’excellence représente une première étape de réussite.

Que nous soyons des leaders, des collaborateurs ou des partenaires, prenons d’abord le temps de réfléchir à l’objectif poursuivi et à la valeur ajoutée de notre zone d’excellence avant de passer à l’action. Comme c’est le cas pour les athlètes qui visualisent leur parcours de compétition, ce recul salutaire nous permettra d’utiliser intentionnellement nos forces ainsi que celles des autres, au lieu de vouloir tout accomplir nous-mêmes parfaitement.

Ensuite, entraînons-nous à nous poser des questions déterminantes pour établir cet état d’esprit d’excellence. En voici deux exemples pour démarrer l’entraînement.

1 - Dans quelle mesure notre concept de réussite et de performance a-t-il besoin d’être redéfini? Un cas type consiste à évaluer ou vérifier l’importance relative d’une rencontre avant de décider combien de temps et d’énergie nous devons y consacrer.

2 - Nos attentes sont élevées; excellent. En revanche, sont-elles réalistes, appropriées et utiles dans le contexte, et conformes à notre zone d’excellence ainsi qu’à celle de nos collaborateurs? Un cas type, c’est de planifier une présentation au conseil d’administration en réfléchissant à la personne de notre équipe qui pourrait apporter une valeur et bénéficier de l’expérience consistant à préparer et exposer les subtilités du projet aux membres du conseil. En d’autres mots : comment avoir l’influence désirée en exploitant nos zones d’excellence individuelles?

Un tel entraînement est simple, certes, mais il se révèle puissant pour développer le muscle de l’intention.

L’excellence, une perspective inspirante de la performance

Il est vrai que certaines situations demandent de marquer des points. Avons-nous toutefois besoin d’être parfaits en tout temps pour exceller? À nouveau, l’inspiration du sport entre ici en jeu.

Comme les sportifs qui focalisent sur le renforcement d’un muscle stratégique pour avoir plus de force, d’impulsion ou de stabilité dans leurs mouvements, guidons notre attention sur ce qui compte vraiment.

Qu’est-ce qui compte vraiment? Imaginons le cas d’une allocution à faire devant des partenaires et des collègues. Où mettons-nous notre attention et notre temps de préparation? Nous nous concentrons souvent sur l’idée de peaufiner les fins détails de notre présentation afin de la rendre parfaite, qu’il s’agisse des subtilités des notes, ou encore de notre support visuel. Or, dans une perspective d’excellence, qu’est-ce qui répondrait plutôt réellement aux besoins de notre auditoire et à l’influence que nous voulons avoir à cette occasion? Qu’est-ce qui ferait bouger l’aiguille? En dégageant quelques heures de travail potentiellement consacrées à cette fameuse perfection, nous libérons du temps pour élever notre niveau de réflexion et penser plus clairement. 

Quelles que soient notre motivation et l’altitude de la cible de performance que nous visons, soyons surtout conscients de ces moments où nous basculons dans la tyrannie de la perfection.   

Déplacer consciemment notre attention change notre perspective. Changer notre perspective fait évoluer notre état d’esprit. Et faire évoluer notre état d’esprit vers la zone d’excellence nous libère – enfin! – de la tyrannie de la perfection.

En rétrospective, n’est-ce pas dans cet état d’esprit d’excellence et de plaisir, plutôt que de perfection, que nous pratiquons généralement nos activités sportives, que ce soit le vélo, le golf, la course à pied, la randonnée pédestre, le tennis ou le tennis léger (pickleball)? Et si nous transposions ce désir de progression, d’expérimentation, d’évolution et de satisfaction à nos activités professionnelles, pour investir notre énergie là où ça compte vraiment?

«Cet état d’esprit est crucial, estime Roger Federer, car il vous permet de vous engager pleinement sur le prochain point – et sur le point suivant – avec intensité, clarté et concentration.»

Perfection ou excellence? La balle est maintenant dans notre camp.


Note 

1 - Étude approfondie, commandée par Stratégies en milieu de travail sur la santé mentale et présentée par Canada Vie, menée par Recherche en santé mentale Canada en décembre 2021.

2- Le 6e talent, deuxième édition bonifiée, Carole Doucet et Martin Ducharme, Béliveau éditeur, 2023