Article publié dans l'édition Hiver 2012 de Gestion

Face à des pressions concurrentielles toujours plus fortes, les entreprises ont de plus en plus souvent recours à des méthodes inspirées de l’entrepreneuriat pour favoriser l’innovation.

Selon la McKinsey Global Survey (2010)1, si 84 % des cadres reconnaissent la grande ou l’extrême importance de l’innovation pour la croissance de leur entreprise, seulement 27 % se disent satisfaits de la gestion de l’innovation, bon nombre d’entre eux se plaignant du peu d’appui permettant de passer de la recherche et développement (R&D) à la commercialisation.


LIRE AUSSI : « Quelles pratiques les PME peuvent-elles utiliser pour favoriser l’intrapreneuriat ? »


Afin d’instaurer une culture propice à l’innovation, de plus en plus de dirigeants songent à former des membres de leur personnel afin de développer leur potentiel intrapreneurial. Plus précisément, une telle formation viserait à les rendre capables de détecter et de concrétiser des occasions d’amélioration des produits et des services existants pour en améliorer l’utilité et l’attractivité en fonction des développements sur le marché.

Mieux encore, une telle formation pourrait cibler une augmentation de la capacité de certains employés à proposer la mise en œuvre d’innovations plus radicales, en complémentarité avec les activités actuelles de l’organisation. Pour les entreprises, le soutien offert passe d’abord par des actions de formation axées sur la responsabilisation des personnes et sur le développement de leur créativité et de leur initiative.

Dans le but d’aider les dirigeants, les cadres et les professionnels à mieux élaborer, implanter et gérer la formation à l’intrapreneuriat, cet article décrit un programme réel de formation offert en 2009 à des ingénieurs des centres de R&D d’une multinationale de l’électronique appelée Titanic (voir l’encadré 1).

Au sein de Titanic, la formation à l’intrapreneuriat a été offerte dans un contexte de reconfiguration radicale de l’entreprise entraînant un changement de direction et une révision du rôle de l’ingénieur. Comme ce programme de formation n’a pas mené aux projets d’innovation escomptés, nous proposons de tirer un enseignement de cet échec.

Dans un premier temps, nous présentons l’entreprise Titanic ainsi que le contexte et les étapes de la démarche de son programme de formation à l’intrapreneuriat. Dans un deuxième temps, nous prenons du recul par rapport à cette expérience qui a échoué afin de dégager une leçon et des conseils susceptibles d’aider les dirigeants et les cadres désireux d’optimiser l’efficacité de la formation de leur personnel en matière d’intrapreneuriat.

Étude de cas : La formation à l’intrapreneuriat chez Titanic

Le déroulement du projet de formation à l’intrapreneuriat au sein de la société Titanic s’articule en trois temps : tout d’abord, le constat d’un besoin de solutions nouvelles ou d’innovations pour faire face à la crise à laquelle ses dirigeants faisaient face; ensuite, la mise en place et le déroulement de la formation à l’intrapreneuriat ; enfin, le bilan effectué à l’issue de ce projet de formation qui a porté sur une période d’une année.

Le contexte et le besoin à l’origine du projet de formation à l’intrapreneuriat

La société Titanic dispose d’un portefeuille d’environ 42 000 brevets. Quand ses dirigeants ont décidé d’implanter une formation à l’intrapreneuriat, Titanic était en grande difficulté. Près de 10 ans après avoir été privatisée et réorganisée, l’entreprise avait perdu sa réputation d’entreprise innovatrice qui la caractérisait depuis plus d’un siècle d’existence.

La privatisation de la société au cours des années 1990 avait fragilisé ses centres de R&D à partir du moment où ceux-ci avaient été divisés en deux blocs, civil et militaire, dans un contexte de concurrence internationale sur le marché de l’électronique grand public qui ne cessait de croître depuis le début des années 1980.

Titanic était présente à l’étranger grâce à des acquisitions. Sa stratégie de développement externe avait cependant généré des dettes, lesquelles n’étaient pas compensées par les activités traditionnelles, qui déclinaient. De plus, les nouvelles activités n’étaient pas vraiment en phase avec les changements dans l’industrie de l’audiovisuel liés au numérique.

Le groupe demeurait présent à l’international grâce à des acquisitions comme le californien Multicolor pour 2,1 milliards de dollars en 2001. Cette stratégie de développement externe avait cependant généré des dettes, non compensées par les activités traditionnelles en déclin relatif.

En outre, les nouvelles activités n’étaient pas vraiment en phase avec la recomposition de l’industrie de l’audiovisuel liée au numérique. Les clients de Titanic étaient désormais des conglomérats multimédia. Il en était le fournisseur au sein d’une chaine de valeur très concurrentielle du fait de la difficulté à faire payer les contenus en ligne.

C’était là une position bien fragile, surtout quand les activités services subirent de plein fouet la guerre des scénaristes d’Hollywood comme ce fut le cas en 2008.

Cependant, au cours de la formation (2009-2010), Titanic choisit de se repositionner sur ces nouvelles activités en ce centrant sur les « industries créatives ». La reconfiguration, radicale, avait pour but de rationaliser le fonctionnement des centres de R&D mais aussi de mieux servir les partenaires américains.

Bien que français, le groupe faisait 70 % de son chiffre d’affaires de l’autre côté de l’Atlantique où se trouvaient également la grande majorité de ses investisseurs. La direction du groupe décida de généraliser le modèle offert par la filiale américaine Multicolor et de rembourser ses dettes en élaguant les activités traditionnelles en France.

En 2009-2010, Titanic a choisi de se repositionner en se centrant sur les « industries créatives ». Cette reconfiguration radicale avait pour but de rationaliser le fonctionne- ment des centres de R&D et de mieux servir des partenaires américains. Bien que français, le groupe Titanic réalisait 70 % de son chiffre d’affaires aux États-Unis, où se trouvaient également la grande majorité de ses investisseurs.

La direction du groupe décidait de généraliser le modèle offert par la filiale américaine Multicolor et de rembourser ses dettes en élaguant les activités traditionnelles en France. Comme axe stratégique, elle s’est donné pour principal objectif d’offrir des produits et des services à haute valeur ajoutée dans le domaine de l’image à destination des industries créatives (cinéma, jeux vidéo, contenus en ligne).

Les clients visés devenaient alors les créateurs et les producteurs (studios) ainsi que les diffuseurs (chaînes de télévision et fournisseurs d’accès). Cette décision impliquait une rupture nette avec le passé de Titanic. On modifia le nom et le logo de l’entreprise dans le but avoué de valoriser la marque Multicolor.

Au printemps 2010, Titanic est devenue officiellement Multicolor et la filiale américaine a pris le contrôle interne du groupe en relocalisant le siège social à Hollywood. On n’attendait plus que la nomination d’un PDG américain pour succéder à une série de dirigeants français fragilisés par leurs échecs.

En 2009, date du début du programme de formation à l’intrapreneuriat, le nouveau groupe Titanic civil comptait trois divisions : les systèmes (décodeurs et boîtiers ADSL), les services (duplication de DVD, distribution et diffusion) et la technologie, ce dernier pôle étant le plus rentable grâce aux brevets.

La société a alors décidé que les chercheurs des différents centres de recherche, en particulier celui d’Argonaute City, devraient recevoir une formation à l’intrapreneuriat. Les 12 personnes sélectionnées pour suivre cette formation avec l’encadrement de leur responsable de la R&D étaient celles qui développaient à ce jour des technologies (principalement optiques) et qui devaient, avec la nouvelle organisation des centres de recherche et en conformité avec la stratégie de Multicolor, passer de la recherche fondamentale à une recherche directement appliquée aux besoins des clients.

L’école de commerce d’Argonaute City fut sélectionnée pour sa proximité géographique et pour son équipe de professeurs spécialisés dans les nouvelles technologies et l’innovation.

Le déroulement du projet de formation à l’intrapreneuriat

Le projet de formation à l’intrapreneuriat a démarré dans un contexte favorable : il y avait une bonne entente au sein du groupe et l’environnement semblait riche en occasions d’apprendre de cette formation. Le groupe de formateurs et d’apprenants s’est réuni au printemps 2009 pour se familiariser avec la stratégie de l’entreprise et avec les technologies que les chercheurs à former devraient mettre au point.

Ce développement de technologies devait se concrétiser par différents projets qui seraient précisés dans un deuxième temps, à partir du troisième mois du programme de formation. Très vite, les ingénieurs se sont approprié la logique de gestion en complément de la logique d’ingénierie pour penser « innovation».

Par exemple, afin d’amorcer la phase de la formation menant à l’élaboration de projets, les apprenants se sont adressés à la direction du marketing du groupe pour connaître les applications des technologies qu’ils développaient. Ils ont compris également l’importance des rapports de force au sein de chaque industrie. Ainsi, ils se sont interrogés sur le rôle de l’innovation dans le contexte des industries culturelles afin de définir des projets de développement appropriés.

À l’issue de la formation en management, le groupe d’ingénieurs formés a dégagé trois projets d’intrapreneuriat : la technologie 3D, les boîtiers (set top box) et les offres de cinéma pour des portails Internet. Le contexte semblait très favorable à l’intrapreneuriat, puisqu’il s’agissait de puiser dans la recherche fondamentale pour trouver des applications directes en phase avec les nouvelles activités de Titanic-Multicolor.

Les ingénieurs qui avaient contribué à leur développement au cours des dernières années semblaient très bien placés pour le faire. Par ailleurs, les visites de dirigeants de Titanic à ce groupe de travail pouvaient laisser croire que leurs initiatives bénéficieraient de leur soutien.

Toutefois, les centres de R&D des différents pôles du groupe restaient distincts et fonctionnaient encore en vase clos (silos), les chercheurs y étant évalués sur les brevets déposés et les articles publiés, sans connaître les débouchés ou applications de leurs découvertes.

Faute de ressources financières pour des développements externes, les dirigeants semblaient tabler sur les ressources internes en incitant des cadres et des ingénieurs à passer de la recherche au développement et à la commercialisation.

Malgré sa piètre situation financière, l’entreprise détenait encore de nombreux monopoles technologiques reconnus par des brevets déposés et elle se positionnait dans un secteur porteur, celui des industries culturelles. Cependant, lorsqu’il fut question de mettre en œuvre les trois projets élaborés par les chercheurs formés à l’intrapreneuriat du groupe des technologies, les réponses ont tardé à venir de la part de la direction.

Le bilan de la formation à l’intrapreneuriat : un échec

Malgré les attentes suscitées par la formation à l’intrapreneuriat, le projet a échoué dans sa phase de mise en œuvre. Au bout d’un an, il fut interrompu et, en l’absence de débouché direct, l’école de commerce d’Argonaute City fut contrainte de délivrer des diplômes équivalents à un MBA aux stagiaires formés. Ce résultat aurait pourtant pu être anticipé.

Ainsi, dès le départ, il aurait fallu un engagement plus ferme de la part de la direction de l’entreprise et un mandat plus clair de la part de l’équipe d’encadrement. Ensuite, lors du passage de la formation fondamentale à l’intrapreneuriat à l’application par l’élaboration et la mise en œuvre d’un projet, plusieurs failles auraient dû donner l’alerte.

Premièrement, il y a eu l’absence de réponse de la direction du marketing et le manque d’informations qui ont empêché d’établir une stratégie commerciale en lien avec les trois projets retenus par les ingénieurs formés. De même, bon nombre des technologies mises au point par les ingénieurs du groupe trouvaient leurs applications dans le cadre de projets désormais parrainés par Multicolor.

Or, aucun contact n’avait été établi avec les équipes de Multicolor même si ces dernières semblaient travailler sur des projets complémentaires (les formateurs et les apprenants étaient réduits à chercher les informations sur Internet).

De plus, après six mois, les formateurs et les apprenants ignoraient encore à qui s’adresser pour soumettre un calendrier de développement, obtenir des autorisations de partenariats locaux de développement et demander un soutien financier. Avec le recul, on se rend compte qu’il vaut mieux faire valider étape par étape le développement des produits plutôt que d’élaborer un projet en présumant que la direction y donnera son aval a posteriori.

Deuxièmement, le changement de ligne stratégique de l’entreprise (la délocalisation de la direction des opérations aux États-Unis et la vente de filiales consacrées à la diffusion et à la reproduction) permettait d’anticiper que certains projets (par exemple, ceux liés aux boîtiers ADSL et aux portails d’accès) étaient probablement déjà dépassés.

Or, ces deux projets intrapreneuriaux avaient été communiqués à la direction du centre d’Argonaute City pour validation, et rien n’a été fait pour décourager le groupe, ce qui laissait croire que personne ne prévoyait vraiment la mise en œuvre de cette innovation.

En vérité, le centre de R&D était marginalisé depuis la vente d’une filiale partenaire et voisine. Au cours de la formation, des licenciements ont eu lieu parmi les stagiaires, ce qui a créé de la fébrilité et réduit la propension à prendre des risques intrapreneuriaux.

Les apprenants s’interrogeaient : ce projet de formation pour élaborer des projets intrapreneuriaux était-il une façon contournée de les pousser à quitter l’entreprise ? Ils se sont repliés progressivement sur leurs obligations professionnelles traditionnelles, et la démobilisation, liée au manque de visibilité du projet, a aussi atteint les formateurs.

Finalement, à la suite du départ du responsable de la R&D au sein de Titanic, les informations sur l’avenir du projet de formation sont devenues encore plus floues, et celui-ci fut vite considéré comme un échec dont on n’a pas jugé utile de faire le bilan.

L’échec de la formation en intrapreneuriat fut justifié par la mauvaise santé financière de Titanic et présenté comme une conséquence des restructurations qui s’étaient succédé. Par ailleurs, au sein même d’un groupe d’apprenants, jadis soudé par une estime partagée, il y a eu des remises en question concernant les formateurs (jugés trop inexpérimentés) et les profils de certains ingénieurs (jugés fermés à l’esprit entrepreneurial).

La leçon tirée de l’échec

L’absence de projets intrapreneuriaux lancés à l’issue de cette formation au sein d’une entreprise en difficulté permet de tirer un certain nombre d’enseignements de cette expérience décevante.

Ne pas compter uniquement sur la formation à l’intrapreneuriat pour promouvoir une culture d’innovation

Les personnes qui sont formées à l’intrapreneuriat acquièrent rapidement un nombre important de connaissances et de « bons réflexes » dont elles peuvent faire profiter leur entreprise même si le projet innovateur n’est pas mené à terme. En effet, l’intrapreneuriat libère des énergies créatrices, engendre des situations favorables à l’innovation, ouvre des portes dans une situation bloquée ou propice à l’apparition de perceptions négatives.

Cependant, l’intrapreneuriat constitue une des multiples façons de promouvoir et de faciliter le changement qui peut être combinée avec d’autres initiatives, comme la création d’une communauté de pratique et la formalisation d’un réseau. Il peut émerger de personnes, de groupes ou de réseaux, et la direction des organisations doit veiller à créer une culture qui encourage l’innovation à ces divers niveaux.

De fait, la préparation de la formation à l’intrapreneuriat peut être l’occasion d’un diagnostic où l’entreprise envisage toute une panoplie de solutions pour améliorer l’innovation. En effet, il est peut-être préférable de travailler plus largement sur l’image, la culture et l’identité de l’entreprise afin d’y introduire une dynamique de changement plus encore que d’innovation.

L’encadré 2 montre que les cultures de renouvellement de sociétés comme Bang & Olufsen et 3M vont bien au-delà de l’octroi de formations à l’intrapreneuriat aux employés. En outre, l’innovation requiert de l’organisation et de la gestion. Laisser aller les choses, s’en remettre à l’improvisation pour l’application et l’implantation des innovations est fort risqué et peu efficace.

En effet, un projet porteur se développe suivant des étapes bien déterminées : le repérage d’une occasion de développement, la définition du projet et la constitution d’une équipe, la préparation d’un plan d’affaires et la soumission du projet ainsi formalisé aux partenaires organisationnels.

L’intrapreneuriat se développe à des niveaux individuel et collectif par diverses méthodes de formation soigneusement gérées

L’expérience montre qu’il n’existe pas d’entrepreneurs- nés et que toute personne peut se développer tant sur le plan individuel que sur le plan collectif. En effet, les personnes, les groupes et les réseaux peuvent s’avérer des sources ou des leviers d’innovation.

Par exemple, Miyamoto, une personne occupant le poste d’ingénieur chez Nintendo, a développé la Wii avec le soutien du PDG et malgré la marginalité de ses travaux par rapport au pôle R&D sur le jeu vidéo. Chez Intel ou Toshiba, des équipes, dont des centres de R&D, n’hésitent pas à adopter des modes de travail qui leur permettent d’innover sans être en porte-à-faux avec la direction2.

Enfin, l’innovation peut émerger d’un réseau d’innovation local comme celui de Palo Alto, dont une jeune entreprise comme Apple a su profiter, alors que Xerox, l’entreprise mère, laissait dormir bon nombre des productions de ses laboratoires de R&D.

Comme l’intrapreneuriat peut émerger des personnes mais aussi des groupes, la formation à l’innovation peut également adopter diverses formules : le suivi individuel par affinité ou le travail de groupe en complémentarité à partir des savoir-faire. Notons ici que la dimension individuelle de l’innovation et de l’intrapreneuriat est trop souvent survalorisée par rapport à la coopération, qui, elle, est pourtant essentielle. Pour ce faire, il faut procéder à une répartition des rôles en fonction des compétences complémentaires, des aptitudes et des affinités individuelles3.

Enfin, une formation à l’intrapreneuriat permet de ne pas céder à l’orgueil entrepreneurial en offrant le recul nécessaire ou la perspective extérieure qu’apportent des avis de formateurs externes. Toutefois, il est bon de préparer les formateurs et les apprenants.

Si, comme ce fut le cas chez Titanic, une formation à l’intrapreneuriat conduit à la remise d’un diplôme équivalent au MBA, comment ne pas y lire un constat d’échec, puisque le projet se voulait différent d’une formation essentiellement théorique et devait comporter des apprentissages permettant l’éclosion de véritables projets intrapreneuriaux ?

Comme elle est au service de la direction de l’entreprise qui veut accorder la formation à l’intrapreneuriat, l’équipe des formateurs doit définir les balises de la formation avec les dirigeants, clarifier les enjeux auprès des apprenants en rendant aussi transparents que possible ses échanges avec la direction.

Il est loin d’être assuré que des enseignants-chercheurs ayant l’habitude d’exercer leur profession de formateur dans une université ou une école d’administration soient les personnes les mieux placées pour travailler à une formation visant l’émergence de résultats concrets pour une entreprise cliente.

Ces enseignants ont pour la plupart l’habitude de jouer leur rôle en utilisant des exposés magistraux, ou bien des cas ou des exercices fictifs pour lesquels ils connaissent déjà les solutions. Il en va tout autrement pour une situation comme celle qui a été exposée précédemment avec le cas Titanic.

Il n’est pas exclu que certains d’entre eux soient capables d’agir dans un contexte de formation sur mesure à l’intrapreneuriat (comme c’était le cas dans l’expérience menée chez Titanic), mais encore faudrait-il savoir les repérer et les préparer avant qu’un tel projet de formation ne débute.

Si les dirigeants et les formateurs n’assument pas conjointement la responsabilité du projet de formation à l’intrapreneuriat, le navire semble voué au naufrage : le premier iceberg venu l’enverra par le fond.

Promouvoir la prise de risques et accepter que des projets d’innovation n’aboutissent pas

Le simple fait qu’une personne sente qu’elle est prise en considération pourra l’inciter à courir le risque de proposer une idée neuve. Trop souvent, une personne renoncera d’emblée à un projet très intéressant ou fera preuve d’une prudence excessive en raison d’objectifs de performance hypothétiques.

Pourtant, il est essentiel de manifester de la conviction dans un contexte d’innovation marqué par le risque, où il faut convaincre des partenaires et obtenir un soutien à l’interne et à l’externe4. En somme, il faut tourner à son avantage les exigences paradoxales de l’intrapreneuriat : prendre des risques à la façon d’un entrepreneur tout en démontrant la prudence du gestionnaire.

Par ailleurs, il vaut mieux se préparer à affronter le tabou de l’échec et à faire face à des difficultés. Sinon, on aura peut-être tendance à désigner des boucs émissaires ou à trouver des débouchés à des projets d’innovation non porteurs, sans avenir et même nuisibles.

Il faut donc insister, au cours de la formation, sur le fort taux de projets entrepreneuriaux inaboutis. On peut aussi informer les apprenants sur le succès d’initiatives qui visent à innover de manière très informelle, diffuse et régulière au sein des plateformes ou des communautés de pratique où l’on écoute les employés et les clients.

Par exemple, Cargill, une société comptant 150 000 employés dans 60 pays, a créé un site Internet pour que ses employés y soumettent des idées qui pourront ensuite être développées dans le cadre d’un incubateur, l’Emerging Business Accelerator, puis mises en œuvre, en tout ou partie, avec les capitaux de l’entreprise.

De même, General Electric, grâce à son Answer Center de Louisville, au Kentucky, centralise et traite les informations sur les clients. Ces initiatives instaurent un climat diffus d’innovation qui requiert des moyens importants et une structure en lien direct avec la stratégie de l’entreprise afin d’être en phase avec ses autres processus d’innovation et de R&D.

S’assurer que les innovations, alignées sur la stratégie et les objectifs d’affaires, reçoivent l’appui des dirigeants

Un trop grand nombre d’intrapreneurs ont réussi contre vents et marées, sans avoir obtenu le soutien de leur hiérarchie. De plus, il arrive trop souvent que la formation à l’intrapreneuriat soit proposée lorsqu’il est déjà trop tard. Il faut donc amener les dirigeants ou les cadres qui suggèrent une telle formation à clarifier leurs positions, leurs attentes et leurs appuis : sont-ils actifs ou passifs ? Quel rôle jouent-ils exactement ?

Sont-ils prêts à financer un projet innovant et sur quel horizon ? Ont-ils déjà fait la preuve de leur capacité à parrainer de tels projets ? Mieux encore, ne devraient-ils pas, eux aussi, être préalablement formés, au besoin, pour mieux accueillir et soutenir les nouveaux projets de développements technologiques qui devraient émerger à la suite de la formation du personnel technique concerné plus directement par ces derniers ?

Si l’intrapreneuriat comporte une certaine dose de marginalité, il est bon de veiller aux appuis accordés à un projet qui est risqué et qui s’avérera coûteux en temps et en argent. Il faut donc être sensible aux indicateurs d’un manque de soutien, tels qu’une difficulté à avoir l’oreille des collègues ou des responsables directs, une propension à faire évoluer le projet au fil des événements et des aléas qui se présentent ou une difficulté à mobiliser un réseau5.

À l’opposé, un nouveau projet facilement accepté au départ, populaire et perçu comme séduisant et où l’entrepreneuriat est très apprécié, peut aussi signifier un manque de compétence ou l’absence de prise en compte du lien entre l’innovation et la stratégie de l’entreprise.

Conclusion

Les formations à l’intrapreneuriat n’aboutissent pas toujours à des projets innovateur concrets, surtout lorsque des débouchés effectifs n’ont pas été évoqués lors de la préparation de la formation.

C’est pourquoi, pour bénéficier de ses effets positifs, plutôt que de déplorer l’absence de projets menés à leur terme, mieux vaut en attendre des bienfaits moins directs.


LIRE AUSSI : « Êtes-vous un intrapreneur ? »


Ainsi, le projet de formation peut renseigner l’entreprise sur sa trajectoire d’innovation et encourager l’autonomie, la prise d’initiative, la confiance interpersonnelle et la coopération, autant de processus informels préalables à la création.

En effet, si la formation à l’intrapreneuriat vise à montrer aux formés les aspects individuels et techniques propices au développement de l’innovation dans un environnement concurrentiel, il importe aussi que la confiance et la coopération entre les apprenants se développent à cette occasion puisqu’elles sont primordiales pour alimenter le processus de création et d’innovation.

La métamorphose n’est pas forcément visible à court terme, mais l’implication de tous permet de faire en sorte que la formation à l’intrapreneuriat ne se résume pas aux nouveaux habits de l’empereur.


Notes

1 Enquête sur l’innovation et la commercialisation réalisée auprès de 2 240 cadres travaillant dans différentes industries.

2  Burgelman (1983), Abetti (1997).

3 Hodson (2010).

4 Argyris (1998).

5 Venkatraman et Lee (2004).

Références

Abetti, P.A. (1997), « The birth and growth of Toshiba’s laptop and notebook computers : A case study in Japanese corporate venturing », Journal of Business Venturing, vol. 12, p 507-529.

Argyris, C. (1998), « Empowerment : The emperor’s new clothes », Harvard Business Review, mai, p 98-105.

Bartlett, C. (1998), 3M. A Highly Diversified Global Company, Harvard Business School Case-Study.

Burgelman, R.A. (1983), « A process model of internal corporate venturing in the diversified major firm », Administrative Science Quarterly, vol. 28, p. 223-244.

Hodson, R. (2010), « Work group efforts & rewards : The roles of organizational and social power as context », Organization Studies, vol. 31, n° 7, p. 895-916.

Ravasi, D., Schultz, M. (2006), « Responding to organizational identity threats : Exploring the role of organizational culture, Academy Of Management Journal, vol. 49, n° 3, p. 433-458.

Venkatraman, N, Lee, C. (2004), « Preferential linkage and network evolution : a conceptual model and empirical test in the U.S. video game sector », Academy of Management Journal, vol. 47, n° 6, p. 876-892.