Article publié dans l'édition Automne 2021 de Gestion

Après un an et demi à travailler à la maison à plein temps, de nombreuses équipes sont habitées par un sentiment de solitude. Avant la pandémie, des chercheurs sonnaient déjà l’alarme: la lutte contre l’isolement1 est un des plus grands défis du télétravail. Or, même lorsqu’elles sont bien entourées, les personnes qui se rendent chaque jour au bureau peuvent aussi avoir l’impression d’être bien seules.

Si la solitude des membres de votre personnel nuit à leur productivité ainsi qu’à la performance de votre organisation2, sachez que les effets de l’isolement sur la santé physique et psychologique des gens sont tout aussi dévastateurs. Parmi ces répercussions négatives, notons le risque accru d’être frappé de la maladie d’Alzheimer, de souffrir d’un trouble de la personnalité ou d’une psychose, d’envisager le suicide, d’être sujet à des dépressions et de montrer des signes de vieillissement accéléré3. L’isolement rivaliserait même avec le tabagisme et avec l’obésité parmi les dangers les plus menaçants pour la santé publique4.

Bref, l’isolement peut tuer prématurément, rien de moins! De manière encore plus concrète, une étude5 nous a appris que les effets prolongés d’un sentiment de solitude s’apparentent à ceux produits par la consommation de 15 cigarettes par jour.

Qu’est-ce que la solitude?

La solitude peut se définir comme l’écart entre les relations sociales souhaitées et véritables d’une personne, une disproportion qui suscite chez elle un fort sentiment d’isolement, même lorsqu’elle est entourée de sa famille et de ses amis. La solitude est donc un sentiment subjectif. Par conséquent, un employé n’a pas besoin d’être absolument seul pour ressentir de la solitude: il peut se sentir seul même lorsqu’il interagit fréquemment avec des collègues dans la mesure où ces interactions ne lui procurent pas la satisfaction qu’il réclame.

La solitude qui affecte certains membres de votre équipe n’est pas attribuable à des défauts de caractère ni à des difficultés personnelles qu’on pourrait résoudre en encourageant les gens à se prendre en main pour rompre leur isolement. S’il s’agit a priori d’un problème purement individuel, l’isolement peut vite se transformer en problème collectif au sein des équipes de travail. À l’instar d’un virus qui se propage, le sentiment de solitude peut devenir contagieux et se transmettre à des gens éloignés de trois degrés de séparation d’une personne qui en souffre cruellement6.

Comment intervenir?

Des gestes simples, sincères et opportuns peuvent grandement aider les membres d’une équipe à surmonter leur solitude. La création ou le resserrement de quelques liens interpersonnels forts permettent de briser la solitude de manière très efficace7. De plus, pour que ces liens aient un effet positif optimal, il vaut mieux s’assurer qu’ils soient établis ou renforcés avec des gens issus de milieux différents – famille, amis, collègues, etc. – plutôt que d’un seul milieu.

Voici quatre conseils à l’intention des gestionnaires qui souhaitent à la fois lutter contre le sentiment de solitude de leurs employés et nourrir leur sentiment d’affiliation au groupe:

1. Mesurez l’ampleur du problème de solitude au sein de votre équipe.

Ayez une discussion avec chacun de vos employés en prenant le temps d’expliquer vos intentions ainsi que votre volonté d’apporter ensuite des mesures correctives.

2. Accordez la priorité à la création de relations chaleureuses entre vos employés.

Misez sur la qualité et non sur le nombre de ces liens. Faites en sorte que vos employés puissent s’investir durablement et assidûment dans un plus petit nombre d’équipes de travail.

3. Engagez un dialogue continu avec vos employés.

Instaurez un climat de sécurité psychologique afin que vos employés se sentent à l’aise de communiquer leur sentiment d’isolement. Prenez régulièrement de leurs nouvelles pour qu’ils en viennent en juger normal d’aborder cette question avec vous.

4. Intéressez-vous à vos employés au-delà de leur rôle professionnel.

À l’arrivée d’un nouvel employé, présentez-le immédiatement et personnellement à ses coéquipiers. De plus, lors des rencontres individuelles avec vos employés, prenez la peine de vous enquérir de leurs centres d’intérêt, de leurs passions, de leurs rêves, etc. À chacune des rencontres d’équipe, offrez à un de vos employés la possibilité de parler de ces questions devant ses collègues. Surtout, efforcez-vous de vous rappeler les éléments importants de ces échanges: ce souci de votre part fera toute la différence.

On peut donc affirmer, pour conclure, que de nombreuses recherches ont démontré que l’isolement – au travail et ailleurs – compromet la survie des êtres humains. Par conséquent, en s’attaquant à ce phénomène, c’est l’ensemble de la collectivité qui y gagnera. Si vous avez l’impression d’être la seule personne, au sein de votre organisation, à accorder à cette question toute l’importance requise, gardez à l’esprit que toutes vos interventions, aussi minimes soient-elles, auront un effet d’entraînement qui vous semblera peut-être imperceptible mais qui sera bien réel dans votre entourage.

Vous pouvez remplir notre questionnaire pour déterminer si la solitude ronge les membres de votre équipe.


Notes

1. Moss, J., «Helping remote workers avoid loneliness and burnout» (article en ligne), Harvard Business Review, 30 novembre 2018.

2. Berinato, S., «What do we know about loneliness and work?» (article en ligne), Harvard Business Review, 28 septembre 2017.

3. Hawkley, L. C., et Cacioppo, J. T., «Loneliness matters: a theoretical and empirical review of consequences and mechanisms», Annals of Behavioral Medicine, vol. 40, n° 2, octobre 2010, p. 218-227.

4. Holt-Lunstad, J., Smith, T. B., et Layton, J. B., «Social relationships and mortality risk: A meta-analytic review», PLOS Medicine, vol. 7, n° 7, juillet 2010.

5. Holt-Lunstad, J., Smith, T. B., Baker, M., Harris, T., et Stephenson, D., «Loneliness and social isolation as risk factors for mortality: A meta-analytic review», Perspectives on Psychological Science, vol. 10, n° 2, mars 2015, p. 227-237.

6. Cacioppo, J. T., Fowler, J. H., et Christakis, N. A., «Alone in the crowd: The structure and spread of loneliness in a large social network», Journal of Personality and Social Psychology, vol. 97, n° 6, décembre 2009, p. 977-991.

7. De Jong Gierveld, J., van Tilburg, T. G., et Dykstra, P. A., «Loneliness and social isolation», dans Vangelisti, A. L., et Perlman, D. (dir.), The Cambridge Handbook of Personal Relationships, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, p. 485-500.