Article publié dans l’édition Hiver 2022 de Gestion

La rétroaction constitue un des principaux leviers dont disposent les gestionnaires pour améliorer la performance de leurs équipes. Or, certaines rétroactions sont plus efficaces que d’autres. Regard sur celles qui ont le pouvoir de mobiliser les employés.

La direction de votre entreprise met de la pression sur les gestionnaires : les équipes doivent rapidement proposer des services additionnels à un nouveau groupe de clients afin d’accroître les revenus. Vous faites donc passer le message aux membres de votre équipe. Quelques semaines plus tard, la majorité des équipes ont ajusté leur approche, ce qui a eu pour effet d’accroître leurs ventes. Mais la vôtre n’y est pas parvenue. Malgré de nombreuses rencontres, les membres de votre équipe n’ont pas modifié leurs façons de faire, et leur performance est demeurée la même. La rétroaction que vous avez offerte n’a pas eu l’effet escompté. Pourquoi?

La rétroaction constructive

La rétroaction constructive est une pratique managériale qui a pour objectif d’amener un employé ou une équipe à résoudre un problème ou à corriger un comportement répréhensible au travail. En plus de susciter la réflexion, ce type de rétroaction peut mener à une transformation et, au bout du compte, à une amélioration des pratiques.

Les bons gestionnaires savent varier les interlocuteurs qui font l’objet de leur rétroaction constructive en organisant, selon les circonstances, des échanges individuels ou des rencontres en groupe. Toutefois, le fait de se concentrer sur un seul type d’interlocuteur peut nuire grandement à une équipe. En effet, un gestionnaire qui ne donne que des rétroactions individuelles peut renforcer à l’excès l’individualisme des membres de son équipe et ainsi nuire à leur synergie. De la même manière, un gestionnaire qui offre uniquement des rétroactions d’équipe peut causer ce qu’on appelle de la paresse sociale : certains de ses employés peuvent en venir à s’effacer en se disant que leur équipe arrivera quand même à atteindre ses objectifs sans leur apport personnel. Ils peuvent aussi entrevoir moins d’avantages à se développer professionnellement.

Par ailleurs, l’effet des rétroactions individuelles est par définition très ciblé, alors que l’effet des rétroactions d’équipe se dilue parmi tous ses membres. Ainsi, bien qu’une équipe soit davantage en mesure d’accueillir favorablement une rétroaction constructive, ses membres peuvent fort bien se déresponsabiliser individuellement en raison de la nature collective de cette rétroaction.

Le recul nécessaire

Lorsque des équipes arrivent à améliorer leur performance à la suite d’une rétroaction constructive, c’est parce qu’elles ont d’abord pris du recul par rapport à leurs façons de faire. C’est cette remise en question (aussi appelée réflexivité) qui permet de réfléchir sous de nouveaux angles et ainsi d’ajuster les pratiques1.

Autrement dit, lorsqu’une équipe ne se donne jamais la peine de prendre du recul et de remettre en question ses méthodes, elle tend à plafonner et à ne plus pouvoir dépasser son seuil de performance. Après dix ans, cette équipe n’aura pas dix années d’expérience : elle aura plutôt une année d’expérience répétée dix fois. En choisissant de ne pas avoir recours à la réflexivité, elle ne pourra ni améliorer les processus désuets, ni abandonner les tâches redondantes, ni tirer profit des nouvelles technologies. Au final, elle se sera contentée de réaliser les mêmes tâches de la même façon.

C’est pourquoi il est crucial, pour tout gestionnaire, de chercher à susciter de la réflexivité au sein de son équipe par l’entremise d’une rétroaction constructive. Cependant, rien ne garantit que cette méthode portera ses fruits, car ce type d’intervention ne produit pas toujours la réflexivité collective souhaitée. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte, dont le degré d’agréabilité du gestionnaire.

Qu’est-ce que l’agréabilité?

Il s’agit d’un trait de caractère que nous avons tous à un certain degré. Les gens agréables sont généralement sympathiques, positifs, coopératifs et empathiques, alors que les personnes dont l’agréabilité est faible peuvent être désagréables, imprévisibles, indisciplinées et indifférentes.

Lors de séances de rétroaction constructive en groupe, les gestionnaires dont le degré d’agréabilité est plutôt élevé ont moins tendance à susciter de la réflexivité d’équipe et, par conséquent, à faire en sorte que la performance s’améliore. Ces gestionnaires sont plus enclins à enrober leurs messages, c’est-à-dire à taire ou à filtrer les informations qui pourraient provoquer de véritables remises en question. Les membres de leur équipe reçoivent donc la teneur de la rétroaction, mais ils ne changent pas leurs façons de faire. De ce fait, la performance demeure la même.

Comment faire passer un message sans le diluer?

Un style de gestion agréable comporte plusieurs avantages ; il ne faut surtout pas les sacrifier pour influer sur la performance d’une équipe. Il suffit d’être conscient de ses propres inclinations naturelles et, au moment de la rétroaction, d’ajuster son intervention en conséquence afin de générer le maximum de réflexivité au sein d’une équipe.

Un gestionnaire qui, par exemple, veut demander aux membres de son équipe de proposer des services additionnels lors de leurs échanges avec les clients pourrait, s’il est de type agréable, utiliser une phrase comme celle-ci : «Vous pourriez offrir plus de services complémentaires lors de vos discussions avec les clients, mais vous êtes déjà très bons.» Or, la seconde partie de la phrase (l’enrobage) atténue le message. Les interlocuteurs risquent donc de retenir avant tout que leur gestionnaire est satisfait de leur travail, ce qui a peu de chances de provoquer une remise en question des façons de faire.

Toutefois, en inversant les deux tronçons de cette phrase, l’effet produit peut être complètement différent : «Vous êtes déjà très bons, mais vous pourriez offrir plus de services complémentaires lors de vos discussions avec les clients.» En énonçant la portion enrobée au début, le message devient plus ferme sans nécessairement nuire aux rapports cordiaux que ce gestionnaire souhaite entretenir avec son équipe. De cette manière, les membres de l’équipe auront davantage tendance à se remettre en question et à adopter de nouveaux comportements.

Le même gestionnaire pourrait également formuler une suggestion constructive, appelée feedforward en anglais, qui consiste à proposer une solution orientée vers l’avenir. Dans ce cas-là, la suggestion constructive peut prendre cette forme : «Je vous invite à faire l’essai de cette technique au moins une fois lors de chaque conversation avec un client.» Cette méthode est efficace sans être menaçante pour l’équipe, car le gestionnaire ne porte aucun jugement sur une performance antérieure.

Les gestionnaires qui ont un style de gestion de type agréable doivent préparer leurs communications en réduisant autant que possible l’enrobage de chaque message. Ils doivent aussi avoir recours à des appuis visuels (graphiques, tableaux, listes, etc.) destinés à faire ressortir les informations importantes à retenir. De cette manière, ils réussiront à communiquer des messages clairs, et ce, sans devenir désagréables pour autant.

La stimulation de la réflexivité

Au-delà de la rétroaction d’équipe, il existe des moyens concrets de susciter de la réflexivité à l’aide d’interventions ciblées, ce qui peut avoir un effet positif sur la performance.

1. Les occasions de prendre du recul

Les gestionnaires doivent demeurer à l’affût des moments où il est utile de prendre du recul par rapport aux processus que leur équipe suit déjà. L’arrivée d’un nouveau membre, par exemple, constitue une occasion idéale pour revoir les façons de faire, qui doivent être clairement expliquées afin d’intégrer harmonieusement le nouveau membre à l’équipe. Cette personne peut aussi avoir un regard neuf sur les pratiques en cours, ce qui peut mener à des optimisations intéressantes.

De plus, certains projets de grande ampleur peuvent nécessiter des rencontres lors desquelles on dressera un bilan (d’étape ou final) avec les membres de l’équipe. En inventoriant les éléments positifs et les aspects à améliorer dans un projet particulier, les gestionnaires pourront mieux reconnaître les obstacles et seront plus aptes à les aplanir lorsque leur équipe devra accomplir un projet similaire.

On peut aussi organiser une rencontre-bilan lorsqu’une erreur a été commise. En marquant un temps d’arrêt collectif, les gestionnaires permettent à leurs coéquipiers de tirer les leçons de cette erreur de manière à améliorer leur performance future. Cette attitude responsable et pragmatique quant aux erreurs peut instaurer un climat de sécurité psychologique bénéfique au sein de l’équipe, car les membres sentiront alors qu’ils ont le droit de se tromper sans encourir de sanctions. Ils exprimeront leurs idées plus librement, notamment en ce qui a trait aux améliorations possibles, ce qui aura également un effet positif sur la performance de l’équipe2.

2. La rétroaction en continu

Les gestionnaires peuvent intervenir en continu auprès de leurs équipes, par exemple en encourageant le partage de bonnes pratiques entre coéquipiers et en standardisant certains processus. Les travailleurs peuvent aussi être mis à contribution lorsqu’il s’agit d’établir des objectifs ambitieux et de trouver les moyens de les atteindre. En fixant ensemble les objectifs d’équipe, les membres s’engagent de facto à les atteindre; de plus, ils seront enclins à suivre de près la progression des travaux et éprouveront un fort sentiment de fierté lorsqu’ils constateront le résultat de leur labeur3.

En tenant compte de leur style naturel de gestion, les gestionnaires peuvent adapter leurs méthodes de rétroaction et d’intervention de manière à susciter de la réflexivité afin d’accroître la performance de leurs équipes.


Notes

1- Harvey, J.-F., Bresman, H., Edmondson, A. C., et Pisano, G. P., «Team learning and superior firm performance: A meso-level perspective on dynamic capabilities», document de réflexion de la Harvard Business School n° 19-059, janvier 2020, 51 pages.

2- Harvey, J.-F., Johnson, J., Roloff, K. S., et Edmondson, A. C., «From orientation to behavior: The interplay between learning orientation, open-mindedness, and psychological safety in team learning», Human Relations, vol. 72, n° 11, novembre 2019, p. 1726-1751.

3- Edmondson, A. C., et Harvey, J.-F., Extreme Teaming – Lessons in Complex, Cross-Sector Leadership, Bingley (R.-U.), Emerald Group Publishing, 2017, 224 pages.