Article publié dans l'édition été 2015 de Gestion

« Les PME constituent le cœur de l’économie du Québec. La moitié de la richesse créée et 87 % des emplois dans le secteur privé sont générés par les PME. Leur santé et leur pérennité sont donc cruciales pour l’avenir du Québec. [...] Même si ces entreprises expérimentées, rompues aux aléas de leur marché et aux nombreux défis de leur environnement d’affaires, sont durables et bien établies, leur pérennité peut être menacée par une contrainte physiologique universelle : le vieillissement de leurs fondateurs et propriétaires. »


Entretien avec Michel Leblanc

La Chambre de commerce du Montréal métropolitain et Michel Leblanc, son président et chef de la direction, tirent la sonnette d’alarme quant à la problématique de la reprise de nos petites et moyennes entreprises au Québec. Le rapport Le transfert des entreprises à la relève : un enjeu majeur pour l’économie du Québec et la pérennité des PME, publié par la Chambre, brosse un portrait de cette problématique cruciale. Gestion en discute avec Michel Leblanc.


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l'importance de la pme

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GESTION : Ce que l’on peut retenir de cette étude, c’est que les entrepreneurs veulent se départir rationnellement de leur entreprise, mais qu’ils ont de la difficulté à le faire quand vient le moment. Est-ce un juste portait de la situation ?

problematique: vieillissement

Les propriétaires ayant l’intention de prendre leur retraite dans un avenir proche et qui souhaitent maintenir la continuité de l’entreprise doivent la vendre ou la céder à un repreneur. Or, plusieurs études et rapports ont fait état au cours des dernières années d’un déséquilibre défavorable pour ces cédants : le nombre de nouveaux entrepreneurs est largement insuffisant pour compenser le départ à la retraite des propriétaires plus âgés. De plus, une forte majorité de futurs entrepreneurs ont l’intention de créer leur entreprise plutôt que d’en acquérir une qui existe déjà. Faute de relève d’entreprise, un grand nombre de nos meilleures PME sont exposées à un risque élevé de fermeture.

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Michel Leblanc : Les cédants doivent modifier leurs comportements, mais surtout leur compréhension de ce qu’est le transfert de leur entreprise. Je pense que dans la société en général, et surtout dans une société de baby-boomers qui se perçoivent comme éternels, le fait d’arriver à une étape de sa vie où l’on commence à prononcer le mot « retraite » est quelque chose qui est peut-être encore plus difficile à accomplir. De plus, les entrepreneurs sous-estiment le temps que le transfert de leur entreprise va prendre. On entend même des choses comme : « Moi, mon entreprise va mourir avec moi, ou va cesser quand je vais cesser », et les entrepreneurs ne reconnaissent pas la valeur de ce qu’ils ont construit, tout comme les impacts d’une cession des activités, en termes de pertes d’emplois, par exemple. L’étude est venue non seulement identifier qu’il y avait un défi avec les cédants, mais aussi qu’il fallait mieux les informer, qu’il fallait les préparer, c’est-à-dire les accompagner… Et peut-être dans certains cas aussi, les amener à voir des solutions près d’eux. On s’est aperçu que des cédants ne reconnaissaient pas que leurs enfants ou leurs proches puissent reprendre leur entreprise. Parfois, parce qu’ils ne voient pas leurs enfants comme étant capables d’emprunter pour acheter l’entreprise.

obstacles planification releve

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1. FCEI : Fédération canadienne de l’entreprise indépendante

2. RCGT : Raymond Chabot Grant Thornton  

GESTION : Cette problématique est-elle strictement urbaine, ou elle est aussi le fait des régions ?

M.L. : On pourrait présumer que dans les régions, la problématique du transfert d’entreprise est encore plus aiguë. Parce que les probabilités de trouver des repreneurs spécifiquement alignés sur le type d’entreprise qu’on veut laisser aller sont moins grandes. Dans le bassin montréalais, il y a probablement la solution à ces cas-là. Mais surtout c’est un dialogue à l’échelle du Québec qui doit avoir lieu.

GESTION : Qu’en est-il du « repreneuriat » ?

M.L. : Au Québec, on a un discours qui est très axé sur notre déficit d’entrepreneuriat, notre volonté de stimuler l’entrepreneuriat.

Néanmoins, les modèles qui portent dans l’imaginaire des jeunes, c’est souvent Steve Jobs, dans le fond de son garage. Or, ce qu’on doit réussir, c’est attirer des gens qui ont la graine de l’entrepreneuriat, et qui ont une bonne compréhension des possibilités de reprendre une entreprise existante. Il y a toutes sortes d’avantages liés à l’acte de reprendre une entreprise existante plutôt que de partir de zéro. Toutefois, chez les jeunes, il y en a peu qui pensent reprendre une entreprise quand ils pensent se lancer en affaires…

GESTION : L’État est-il un acteur qui contribue positivement à la résolution du déficit entrepreneurial au Québec ?

M.L. : Le régime fiscal, présentement, défavorise un transfert à l’interne de la famille, par opposition à une vente à des gens à l’extérieur de la famille. Et dans un univers où l’on se préoccupe de la rétention, des pouvoirs décisionnels, des sièges sociaux, de la direction des entreprises, nous présumons que de pouvoir transférer l’entreprise à l’intérieur d’une famille est plus garant du maintien local de cette dernière. Le ministre des Finances est bien au courant de notre position, et nous faisons des pressions pour que cette situation soit corrigée.

GESTION : En matière de reprise d’entreprise, le temps n’est-il pas le principal obstacle ?

impacts

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M.L. : Un transfert réussi requiert de cinq à huit ans, alors que 80 % des propriétaires d’entreprise pensent que c’est moins de trois ans. Si vous voulez que la prise de possession des postes clés de l’entreprise se fasse au sein de la famille, et que vous avez plus d’un enfant ou plus d’un héritier qui serait susceptible de vouloir reprendre les rênes, vous avez besoin d’un certain temps. Du point de vue des cédants et du point de vue de tous les dirigeants d’entreprise, il faut penser à ces dynamiques-là. On peut devoir compter plusieurs années entre le moment où l’on commence à y penser et celui où l’on intègre l’entreprise.