Article publié dans l'édition Printemps 2010 de Gestion

En Amérique du Nord ou en Europe, lorsque je m’adresse à des gestionnaires à l’occasion de formations ou de conférences, je suis très souvent surpris par un paradoxe : la reconnaissance au travail est considérée par tous comme un enjeu majeur, mais elle est encore loin d’être intégrée dans les pratiques de gestion de toutes les organisations.

Encadré 1 : À propos de l’étude

En mai et juin 2010, nous avons mené un sondage auprès de 445 gestionnaires français, québécois, canadiens-anglais et américains. De ce nombre, 57 % travaillaient dans une organisation ayant moins de 1 000 employés et 43 % dans une organisation comptant plus de 1 000 employés. Par ailleurs, 78 % des participants occupaient un poste en gestion des ressources humaines, 8 % en direction générale et 14 % remplissaient une autre fonction.

En interrogeant les participants nord-américains ou français sur les freins existants, il m’est arrivé d’entendre les commentaires suivants : «La reconnaissance, ça marche aux États-Unis avec l’employé du mois, mais ça ne peut pas marcher chez nous» (France); «La carotte et le bâton, c’est dépassé comme mode de management» (États-Unis); «La direction de l’entreprise n’y croit pas, alors c’est une perte de temps pour moi que de témoigner de la reconnaissance» (Québec); «Compte tenu de tous les rapports qu’on me demande de faire, je n’ai tout simplement pas le temps de me préoccuper de la reconnaissance» (Canada anglais).


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Quoi qu’il en soit, de tels échanges des deux côtés de l’Atlantique m’ont souvent amené à m’interroger sur les différences culturelles et sur leur impact sur la reconnaissance en milieu de travail : pourquoi la reconnaissance est-elle reconnue universellement comme un levier de bien-être et de performance et, en même temps, pourquoi n’a-t-on pas le même «décodeur» sur le sujet quand on est gestionnaire à Montréal, à Paris ou à New York ?

La culture d’entreprise constitue-t-elle un frein à la reconnaissance au quotidien ou, au contraire, une incitation à sa mise en place ? Est-il plus facile de témoigner de la reconnaissance dans une entreprise qui favorise la coopération que dans une entreprise bureaucratique ?

Cet article synthétise les résultats d’une enquête menée sur les effets de la culture sur la reconnaissance au travail (voir l’encadré 1). Il analyse d’abord les perceptions entourant la reconnaissance en milieu de travail, les pratiques dans ce domaine ainsi que les obstacles à l’expression de la reconnaissance.

Il relève ensuite les variables explicatives et précise si ces variables sont différentes selon la culture géographique ou la culture d’entreprise. Il se termine par des recommandations à l’intention des gestionnaires afin de leur permettre de réfléchir à leurs pratiques.

La variation des perceptions des gestionnaires à l’égard de la gestion de la reconnaissance selon la localisation de leur entreprise

Érasme disait : «On ne naît pas homme, on le devient.» Ce qui est vrai pour les personnes (chacune a sa propre éducation, sa propre histoire, sa propre expérience, sa propre sensibilité, ses propres valeurs, ses propres convictions, ses propres motivations et sa propre personnalité) l’est aussi pour les entreprises.

Si le sondage nous a permis de constater qu’il existe de grandes similitudes entre les Canadiens anglais et les Américains (à un point tel que leurs réponses ont été regroupées dans la même catégorie), il a également démontré des différences importantes entre, d’une part, les Nord-Américains anglophones et, d’autre part, les Français ou les Québécois.

La prise en compte de la reconnaissance dans la stratégie et les politiques

Comme l’indique le schéma 1, le plan stratégique des entreprises comporte parfois des orientations liées à la reconnaissance.

Toutefois, il s’agit alors d’une minorité d’entreprises, et ce, dans tous les pays. De fait, 80 % des entreprises n’ont pas d’objectifs précis en matière de gestion de la reconnaissance, quelle que soit leur localisation. Tout se passe comme s’il y avait une apparence de volonté (ou de marketing social) mais très peu d’objectifs spécifiques afin de changer en profondeur les pratiques de gestion. La majorité des organisations ne semble pas avoir encore pris conscience du fait que la reconnaissance au travail a un rôle majeur à jouer.

La place de la reconnaissance au sein de l’organisation

Des enquêtes révèlent que la reconnaissance du travail des employés par leur supérieur hiérarchique est l’attente prioritaire que ces derniers expriment, ou encore que le manque de reconnaissance s’avère un des principaux facteurs de dévalorisation, de démotivation et de stress au travail qu’ils ressentent1. Pourtant, il reste encore, semble-t-il, un long chemin à parcourir avant que la reconnaissance ne s’impose dans les organisations.

Aux assertions « La place occupée par la reconnaissance au sein de mon organisation est suffisante » et « Les directives ou les politiques de reconnaissance sont bien définies au sein de mon organisation », plus de la moitié des Nord-Américains anglophones répondent oui, alors que c’est le cas pour un peu plus du tiers des Québécois et pour près de 15 % des Français (voir le tableau 1).

La haute direction des entreprises nord-américaines (une sur deux) est perçue comme étant nettement plus engagée que la haute direction des entreprises françaises (une sur trois) dans le soutien des programmes de reconnaissance. La différence la plus importante a trait aux ressources dédiées aux programmes de reconnaissance, 70 % des entreprises nordaméricaines anglophones en affectant, alors que c’est le cas pour 45 % et 33 % des dirigeants du Québec et de la France.

Ces résultats s’expliquent probablement par le fait que les programmes de reconnaissance formels sont beaucoup plus présents au Canada anglais et aux États-Unis qu’ailleurs.

Mais présence ne signifie pas efficience. Dans tous les pays étudiés, la reconnaissance fait partie des évaluations et des objectifs de management et donne lieu à une formation dans une minorité d’entreprises (moins de 50 % en Amérique du Nord anglophone et moins de 30 % au Québec et en France).

Même si 90 % des sociétés américaines déclarent avoir des programmes de reconnaissance2, 65 % des employés américains disent ne pas recevoir de reconnaissance de la part de leur employeur3.

L’efficacité des programmes de reconnaissance

Comme il semble que la qualité des programmes de reconnaissance et leur appropriation réelle par la haute direction sont déterminantes, nous avons interrogé les gestionnaires participants sur l’efficacité des politiques de reconnaissance (voir le tableau 2). Globalement, les résultats montrent que les politiques de reconnaissance sont perçues comme étant plus efficaces sur le continent nord-américain qu’en France.Schéma 1

Si les participants de l’Amérique du Nord anglophone, du Québec et de la France s’entendent sur la principale vertu d’une politique de reconnaissance, soit la création d’un environnement de travail positif, leurs opinions divergent davantage quant à ses effets sur l’amélioration du moral et du climat de travail, qui est le facteur le plus important pour les participants français et québécois, alors que ce facteur arrive en sixième position pour les Nord-Américains anglophones.

Notons aussi que les gestionnaires français paraissent moins convaincus que leurs homologues nord-américains du rôle que joue la politique de reconnaissance dans l’appui de la stratégie et des valeurs de gestion ainsi que dans l’adoption de comportements souhaités.

Les obstacles à la reconnaissance

Le schéma 2 traduit les opinions des participants à l’égard des facteurs qui nuisent à l’efficacité des politiques de reconnaissance au travail. En dehors du manque d’intérêt pour la reconnaissance, qui est cité comme obstacle par un Français sur deux et par un Nord-Américain anglophone sur trois, l’obstacle majeur à la reconnaissance semble différer selon les zones géographiques.

Tableau 1 :  Opinions à l’égard de la gestion de la reconnaissance au travail : différences entre les participants de l’Amérique du Nord anglophone, du Québec et de la France

% des répondants se disant «plutôt ou tout à fait d’accord» avec l’énoncé suivant :

Amérique du Nord anglophone

Québec France
La place occupée par la reconnaissance au sein de mon organisation est suffisante 54 % 34 % 14 %

Les directives ou les politiques de reconnaissance sont bien définies au sein de mon organisation

58 % 34 % 14 %
La haute direction soutient les programmes de reconnaissance et s’engage personnellement 59 % 47 % 30 %
Des ressources spécifiques sont dédiées aux programmes de reconnaissance 70 % 45 % 33 %
La reconnaissance fait partie des revues de management et des objectifs 43 % 36 % 33 %
Mon organisation offre aux gestionnaires des formations en matière de reconnaissance 43 % 27 % 22 %

Au Québec, la crainte de favoriser un climat de rivalité est citée comme le principal obstacle, alors que les Nord-Américains anglophones estiment que le désir d’être équitable freine le recours à la reconnaissance. En France, près de 63 % des participants estiment que la crainte de susciter des attentes irréalistes est l’obstacle premier, comme si, en manifestant de la reconnaissance à un employé, on redoutait de ne pas être en mesure d’en accorder suffisamment ensuite pour satisfaire les attentes du personnel.

Le manque de formation des cadres en ce qui a trait à la reconnaissance figure parmi les trois principaux obstacles pour les participants de toutes les régions étudiées. Par contre, il apparaît que les participants français ont un besoin particulier de formation étant donné qu’ils sont moins à l’aise que les Nord-Américains à l’égard de relations interpersonnelles.

Tableau 2 :  Perceptions à l’égard de l’efficacité de la reconnaissance : différences entre les participants d’Amérique du Nord anglophone, du Québec et de la France

Moyenne sur une échelle de 1 à 10 du degré d’efficacité d’une politique de reconnaissance pour :

Amérique du Nord anglophone

Québec France
Prévenir le stress et les risques psychosociaux 6,7 7,1 7,1
Améliorer la fidélisation 7,6 7,5 7,1
Encourager un changement de culture 7,8 7,2 6,4
Améliorer le moral ou le climat de travail 7,9 8,1 7,7
Motiver les employés à améliorer leur performance 8,1 7,8 7,2
Soutenir la stratégie et les valeurs organisationnelles 8,4 7,8 7,0
Promouvoir l’adoption des comportement souhaités 8,5 7,8 7,1
Créer une culture de reconnaissance 8,5 8,3 7,6
Créer un environnement de travail positif 8,6 8,2 7,7

En effet, la gêne et la difficulté à interagir avec les autres constituent un obstacle pour près de 50 % des gestionnaires français, alors qu’elles sont perçues comme étant une contrainte par 25 % des gestionnaires nord-américains anglophones. Ce résultat s’explique peut-être par le fait que le système éducatif français, qui est de qualité mais nettement classique, n’est pas assez axé sur l’acquisition des habiletés de gestion d’une équipe (voir l’encadré 2).

Enfin, si un gestionnaire de l’Amérique du Nord anglophone sur deux estime que le manque de temps pour reconnaître les personnes constitue un obstacle important, cela ne semble pas représenter un réel enjeu pour les participants de la France.

Les formes de reconnaissance octroyées

En 2002, alors qu’il dirigeait la Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail de l’Université Laval, Jean-Pierre Brun a relevé quatre formes de reconnaissance (voir l’encadré 3) en les situant par rapport aux dimensions importantes du travail : la reconnaissance existentielle (la personne), la reconnaissance des pratiques de travail, la reconnaissance de l’investissement dans le travail (les processus) et la reconnaissance des résultats4.Schéma 2

Comme le montre le schéma 3, comparativement aux autres participants, les participants français déclarent que la priorité est accordée à la reconnaissance des pratiques de travail et à celle des résultats, alors que les gestionnaires qui travaillent dans des organisations nord-américaines anglophones rapportent qu’une reconnaissance existentielle leur est accordée.

Encadré 2 :  Pourquoi parle-t-on si peu de reconnaissance en France ?

«On parle très peu de reconnaissance au travail en France sans doute en raison de la manière d’appréhender la formation et l’éducation. Il s’agit d’un système de qualité mais qui démontre un grand classicisme, c’est-à-dire qu’on demande aux gens d’apprendre un certain nombre de choses durant leurs études, puis on leur demande d’être d’excellents ingénieurs, et ils sont reconnus en Europe comme ayant eu une excellente formation.

Par contre, on a très peu développé l’expression de soi, la créativité
et l’apport à autrui. L’ingénieur français est un produit qui s’exporte aisément car il est bien formé, préparé à prendre très vite des responsabilités dans des domaines techniques dans lesquels sa compréhension des processus et des méthodes sera appréciée, mais dès qu’il faut aborder des choses un peu plus complexes et plus larges dans le domaine du management, cela s’avère beaucoup plus difficile.

Ainsi, on reconnaît peu les qualités ou les idées, on se préoccupe beaucoup plus des résultats à court terme que de la création de valeur à moyen terme ou de l’enrichissement qui n’est pas directement mesurable.»

Un directeur des ressources humaines d’un groupe industriel français

Contrairement aux autres participants, les gestionnaires français estiment que le recours à la reconnaissance des compétences professionnelles est le plus élevé : plus de 80 % confirment une forte inclination de leur employeur à reconnaître avant tout l’expertise technique.

La culture française est également fortement marquée par la reconnaissance pécuniaire des résultats, régulièrement à travers la rémunération variable ou de façon ponctuelle : pour plus de deux participants français sur trois, leur organisation pratiquerait occasionnellement ou régulièrement la reconnaissance sous la forme de prime ou de récompense pécuniaire, contre moins d’un participant sur deux en Amérique du Nord anglophone.

Si la reconnaissance pécuniaire occupe une place importante afin de s’assurer que les politiques de rémunération sont compétitives par rapport au marché, rappelons qu’elle n’est pas le premier levier de motivation et d’engagement des employés. Comme le révèlent Grimme et Grimme5, le système traditionnel de rémunération est en crise ; il a échoué parce qu’il tentait de différencier et d’encourager les employés les plus performants à travers une approche exclusivement pécuniaire.

Malgré son importance relative plus élevée en Amérique du Nord, la reconnaissance existentielle reste la forme de reconnaissance qui est le moins octroyée dans les différentes régions étudiées. Cela pose problème étant donné que ce type de reconnaissance est à la base de toutes les autres formes de reconnaissance et qu’il est le plus demandé ou attendu par les employés.

La reconnaissance publique à travers des cérémonies de reconnaissance apparaît beaucoup plus présente aux yeux des gestionnaires des organisations nord-américaines, et tout particulièrement chez les participants anglophones (près de 80 %). Plus d’un participant du Québec sur deux indique que son employeur recourt à la reconnaissance publique, alors que c’est le cas pour un participant de la France sur trois seulement.

En France, il semble donc exister une plus forte réticence à témoigner publiquement et formellement de la reconnaissance au personnel.

Finalement, le schéma 4 indique que les types de reconnaissance privilégiés par les organisations de la France et du Québec sont assez similaires. Ainsi, il y a un écart de plus de 10 % pour seulement 3 pratiques de reconnaissance sur 11, alors qu’un tel écart existe pour la quasi-totalité des pratiques de reconnaissance (10 sur 11) entre les organisations du Québec et celles de l’Amérique du Nord anglophone.

Cela confirme que «les Québécois sont incontestablement américains. Mais le Québec est aussi au carrefour des cultures européenne et nord-américaine. Les Québécois combinent pragmatisme et sens du résultat avec des valeurs et un environnement social qui font souvent penser à la «vieille Europe»6

La variation des perceptions des gestionnaires à l’égard de la gestion de la reconnaissance selon la culture d’entreprise

Afin d’examiner l’impact de la culture d’entreprise sur les pratiques de reconnaissance, nous avons retenu le modèle de Cameron et Freeman7, qui distingue quatre types de culture : la culture clanique, basée sur la coopération, la considération et la cohésion de l’équipe; la culture adhocratique, que l’on pourrait qualifier d’entrepreneuriale; la culture orientée vers le marché, qui s’avère très pragmatique; et enfin la culture hiérarchique, qui est plutôt bureaucratique. Dans notre étude, nous demandions aux participants d’indiquer à quel type de culture leur organisation s’apparente le plus et d’en donner les raisons.

Encadré 3 : Quatre types de reconnaissance

Reconnaissance existentielle : reconnaître le droit à la parole et à l’influence sur les décisions afin d’alimenter le sentiment d’une personne d’être prise en considération, d’exister aux yeux des autres et d’être respectée pour ce qu’elle est.
Reconnaissance des pratiques de travail : reconnaître les compétences techniques, l’expertise, les attitudes et les comportements à l’égard du travail qu’effectue une personne.
Reconnaissance de l’investissement dans le travail : reconnaître les efforts, l’énergie et la prise de risque manifestés par une personne dans la réalisation de son travail (les processus).
Reconnaissance des résultats : reconnaître le produit du travail (les résultats) ou exprimer de la gratitude à une personne pour son utilité et son efficacité au regard de l’atteinte des résultats.

Le tableau 3 montre que les réponses des gestionnaires à l’égard des caractéristiques des politiques de reconnaissance sont étroitement liées à la culture de l’entreprise dans laquelle ils travaillent.

On constate que les gestionnaires œuvrant au sein des cultures clanique (83 %) et adhocratique (70 %) sont fortement d’accord avec l’énoncé «La culture de mon organisation est favorable à la reconnaissance». Seuls les gestionnaires travaillant dans une entreprise ayant une culture de type clanique s’entendent pour dire que la reconnaissance tient une place suffisante dans leur organisation, que l’engagement de la haute direction est important et qu’on accorde des ressources particulières aux programmes de reconnaissance.Schéma 3

Les pourcentages d’acquiescement à ces derniers énoncés baissent à environ 25 % chez les gestionnaires travaillant dans une firme ayant une culture orientée vers le marché et à 20 % chez ceux travaillant dans une organisation ayant une culture hiérarchique.

Enfin, le schéma 5 montre que les gestionnaires travaillant dans des cultures clanique et adhocratique expriment des opinions particulièrement favorables à la présence et à l’octroi de deux formes de reconnaissance : la reconnaissance existentielle et la reconnaissance des pratiques de travail.Schéma 4

Quelques recommandations clés

Nous avons vu dans cet article qu’il existe des différences importantes entre les réponses des gestionnaires des organisations nord-américaines anglophones, québécoises et françaises lorsqu’on les interroge sur la gestion de la reconnaissance au sein de leur entreprise. De même, il apparaît que ces perceptions varient aussi selon la culture de leur organisation.

Tableau 3 :  Différences de perceptions au regard de la reconnaissance entre les gestionnaires travaillant au sein de divers types de culture organisationnelle

Sont «plutôt ou tout à fait d’accord» avec l’énoncé suivant :

Culture clanique

Culture adhocratique

Culture orientée vers le marché

Culture hiérarchique

La culture de mon organisation est favorable à la reconnaissance 83 % 70 % 53 % 50 %

La place occupée par la reconnaissance au sein de mon organisation est suffisante

55 % 39 % 27 % 20 %

La haute direction soutient les programmes de reconnaissance et s’engage personnellement

58 % 53 % 38 % 38 %

Des ressources spécifiques sont dédiées aux programmes de reconnaissance

58 % 48 % 43 % 39 %

L’«ADN» des organisations joue donc un rôle majeur pour favoriser la reconnaissance ou nuire à celle-ci. À la question de savoir s’il existe un facteur déterminant, force est de constater qu’il n’y a pas une seule vérité, mais une grande diversité de situations et de variables explicatives. Par contre, il faut certainement tenir compte de la réceptivité des personnes envers divers types de reconnaissance.

Les recommandations qui suivent pourront aider les dirigeants et les gestionnaires à exercer une influence positive sur les pratiques de reconnaissance au sein de leur entreprise, quelles que soient sa localisation et sa culture de gestion.

Faire preuve d’authenticité

Par-delà de la localisation de l’entreprise et sa culture organisationnelle, l’authenticité dans l’octroi de la reconnaissance s’avère déterminante. Pour être crédible, un gestionnaire doit faire preuve de sincérité en observant les succès de ses collaborateurs.

Il doit avoir des convictions fortes sur le sujet, car sa sincérité sera alors sans équivoque et ses employés ne prendront pas ses compliments pour de la flatterie ou de la manipulation. La reconnaissance doit également être témoignée le plus rapidement possible après le résultat ou le comportement que l’on veut souligner, sinon elle risquera d’apparaître comme factice ou décalée.

Être équitable dans la reconnaissance des efforts

Le gestionnaire doit résister à la tentation de reconnaître tout le monde de la même manière. En effet, cela équivaudrait à ne reconnaître personne. S’il évite de reconnaître certains efforts par crainte de susciter de la jalousie ou de la compétition au sein d’une équipe, cela entraînera un sentiment d’injustice chez les employés, avec comme conséquence un alignement des comportements sur les comportements les moins efficaces, et cela particulièrement si la culture de gestion est une culture orientée vers le marché ou une culture hiérarchique.Schéma 5

Comme le rappelle Florent Francoeur, le PDG de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés8 : «Ne reconnaissez pas seulement les réalisations extraordinaires mais aussi l’investissement dans le travail, les efforts, le risque pris pour accomplir un travail dans des conditions difficiles. En agissant ainsi, vous récompenserez les employés les moins performants ou qui sont moins en évidence, mais qui sont consciencieux ; du coup, vous donnerez du sens à leur travail.»

Lier la reconnaissance aux valeurs et à la stratégie organisationnelles

Encadré 4 :  Délaisser l’approche punitive qui alimente un climat de méfiance

«Des employés, pour respecter les normes, manipulent les données de production, privilégient la quantité au détriment de la qualité ou adoptent des méthodes de travail plus rapides mais plus risquées. L’approche punitive alimente un climat de méfiance qui favorise justement ce que le contrôle vise à prévenir : la négligence dans le travail; plus on insiste sur les punitions, plus les employés réduisent leur engagement en cherchant à contourner le système, et plus on doit multiplier les modes de contrôle pour s’assurer que leurs comportements et résultats resteront à peine satisfaisants.

Les cadres ont plus ou moins tendance à privilégier une approche axée sur la reconnaissance parce qu’ils sont peu sensibilisés à ses effets positifs et tendent à lui associer beaucoup d’inconvénients et de risques (le temps et l’énergie requis, le risque d’envenimer le climat dans l’équipe, etc.). De même, la reconnaissance est moins fréquente parce qu’elle exige plus d’habiletés de supervision et de compétences émotionnelles que la compétence centrée sur le contrôle [...] L’objectif n’est pas d’éliminer les punitions et le contrôle mais plutôt d’amener les cadres et les dirigeants à recourir davantage à la reconnaissance dans la supervision quotidienne des employés afin d’orienter et de stimuler leurs efforts dans la bonne direction.»

Source : St-Onge et al. (2005 : 89-101).

La reconnaissance doit être équilibrée et reposer sur un dosage subtil de plusieurs types de reconnaissance et de pratiques ayant des niveaux d’efficacité et de fréquence variables selon la culture du pays ou de l’organisation et les attentes des employés.

Il est toutefois important de s’assurer de reconnaître les comportements qui symbolisent les valeurs de l’organisation, ceux qui génèrent véritablement une performance. De façon similaire, il est nécessaire de communiquer en quoi les comportements d’un employé ou d’une équipe s’alignent sur leur rendement individuel ou collectif et sur les objectifs globaux de l’organisation.

Évoluer d’une culture orientée vers le contrôle et la sanction à une culture basée sur la confiance

Critiquer et sanctionner des employés pour des fautes ou des manquements répétés fait partie du rôle de tout gestionnaire.

Mais le gestionnaire doit aussi prendre le temps de souligner ce qui fonctionne bien, ne pas se focaliser uniquement sur les problèmes. Dans la plupart des organisations, qui sont soumises à une pression constante pour livrer des résultats à court terme, on aime parler des trains qui arrivent en retard mais rarement de ceux qui sont à l’heure ; on s’oriente volontiers vers le contrôle et la sanction plutôt que vers la délégation, l’autonomisation et la responsabilisation des employés.

Cette attitude conduit souvent à l’individualisme, à la distance hiérarchique et à une logique de pouvoir, de territoire ou de statut social. Il est fondamental de délaisser l’approche punitive, qui alimente un climat de méfiance (voir l’encadré 4), afin de construire la confiance au sein de l’organisation. En même temps, il faut se souvenir que la confiance n’exclut pas le contrôle et que ce dernier s’inscrit dans la mission de tout gestionnaire… à la condition que cela n’occupe pas la plus grande partie de son temps !

Former et sensibiliser les gestionnaires aux relations interpersonnelles et à l’intelligence émotionnelle

L’enquête que nous avons menée a souligné les difficultés inhérentes à la communication interpersonnelle et à la formalisation des émotions dans les entreprises où la culture latine est prédominante. Beaucoup de gestionnaires œuvrant au sein de cette culture tendent à considérer que la reconnaissance est un art difficile et qu’on ne les aide pas réellement à acquérir des habiletés en cette matière.

Des actions de formation et de sensibilisation permettent de démystifier un sujet qui peut au premier abord sembler relever exclusivement de la philosophie ou de la psychologie. Elles permettent également de montrer que l’utilisation intelligente de ses émotions a pour effet d’améliorer le climat au sein de son équipe, la coopération de ses membres, ce qui contribue de façon notable à la performance de l’organisation.


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Les recommandations qui précèdent ne constituent pas des injonctions supplémentaires dans un monde où l’on assiste à une montée de l’individualisme et à un effritement des collectifs de travail. Au contraire, comme le démontre notamment le dernier ouvrage de Norbert Alter (2009), la coopération s’appuie sur l’engagement de tous et sur la bonne volonté des employés, bien plus que sur la qualité des procédures internes.

Son hypothèse se fonde sur le fait qu’on octroie trop rarement de la reconnaissance en milieu de travail, la principale explication de cette situation étant, selon lui, que les politiques de gestion ne reconnaissent pas suffisamment ce que donnent les employés. Il ajoute que la crise du sens repose sur le fait que les gestionnaires savent essentiellement prendre et ont beaucoup de mal à recevoir.

Les résultats de notre enquête confirment ces facteurs et soulignent que l’essentiel reste à faire pour beaucoup d’organisations : intégrer la reconnaissance au travail dans leur stratégie, passer à l’action, générer une performance durable. Ces diverses initiatives leur permettront d’avoir une longueur d’avance sur un marché de plus en plus compétitif.


Notes

1. Laval (2008), NAER / World at Work Survey (2005).

2. NAER / World at Work Survey (2005).

3. Gallup (2004).

4. Brun et Dugas (2002).

5. Voir le site de Grimme et Grimme, http://ghr-training.com.

6. Laval (2008).

7. Voir la description de Ouimet (2007).

8. Laval (2008).

Références

Alter, N. (2009), Donner et prendre, la coopération en entreprise, La Découverte.

Brun, J.P., Dugas, N., Tison, M. (2002), La reconnaissance au travail : une pratique riche de sens, Secrétariat du Conseil du Trésor, Centre d’expertise en gestion des ressources humaines, octobre, 22 pages.

Gallup, 2004 annual employee engagement index.

Laval, C. (2008), Plaidoyer pour la reconnaissance au travail, www.reconnaissanceautravail.com.

NAER / World at Work Survey (2005), Trends in Employee Recognition 2005, http://www.worldatwork.org/pub/E157963REC05.pdf.

Ouimet, G. (2007), «Voyage au centre des typologies de cultures d’entreprise : un itinéraire psychologique», Gestion, vol. 32, n° 2, été, p. 51-61.

St-Onge, S., Haines III, V.Y., Aubin, I., Rousseau, C., Lagassé, G. (2005), «Pour une meilleure reconnaissance des contributions au travail», Gestion, vol. 30, n° 2, été, p. 89-101.