Camille Grange, professeure adjointe, responsable pédagogique des programmes de deuxième cycle en commerce électronique à HEC Montréal

Camille Grange, professeure adjointe, responsable pédagogique des programmes de deuxième cycle en commerce électronique à HEC Mont

Selon un rapport publié en 2013 par Frey et Osborne [1], 47 % des métiers aux États-Unis pourraient être remplacés par un ordinateur ou un robot d'ici quelques décennies.

De toute évidence, la révolution numérique est un facteur de bouleversement des organisations et de la société en général. Comme l'ont fait remarquer Alexis-Gregory Boily et Samuel Sponem dans un précédent article intitulé Big Data et cabinets comptables : une révolution?, les comptables ne seront pas épargnés. Afin d'explorer ces enjeux, nous avons rassemblé un panel d'experts lors de la deuxième édition du Colloque pour les chefs des finances et contrôleurs : comment faire face aux transformations numériques? C'est lors de cet événement que Camille Grange, professeure adjointe, responsable pédagogique des programmes de deuxième cycle en commerce électronique à HEC Montréal, a mis en lumière ce qu'on entend aujourd'hui par révolution numérique.

Qu'est-ce que la révolution numérique?

Camille Grange (C.G.): La révolution numérique est un changement fondamental dans nos économies, c'est-à-dire dans la manière dont la valeur est créée, transférée et capturée. Cette transformation se fait par le biais de la numérisation. Essentiellement, c'est tout ce qui a trait à la dématérialisation des processus et des produits. L'impact est tellement fort qu'on lui attribue la spécification de révolution industrielle. Depuis 2010, on parle d'une quatrième révolution industrielle atteignant un point de basculement vers lequel un ensemble de technologies complémentaires arrivent à maturité et qui, mis ensemble, va créer des choses auxquelles on ne pouvait pas s'attendre il y a 5 ans. Le rythme des changements est de plus en plus rapide, ces changements remettent en cause des institutions importantes telles que l'emploi ou la famille et se diffusent rapidement entre les industries et les pays. En fait, nous vivons déjà dans ce monde. Il existe des prototypes de véhicules autonomes, pour l'impression d'organes, la fabrication numérique de maisons, l'informatique quantique et la robotique, voire la robotique humanoïde.

Quels sont les impacts sur le travail?

C.G.: Chaque révolution suscite la peur reliée à l'automatisation et à la substitution. En 1930, Keynes parlait déjà de chômage technologique. Il faut savoir qu'il y a deux forces à l'œuvre : la destruction d'emploi par l'automatisation et la création provoquée par l'innovation, les nouveaux produits et services qui doivent être conçus et mis sur le marché. L'important, c'est la gestion de cette transition et des potentielles iniquités qui se créent par ces deux forces. Ce souci de substitution est peut-être encore plus fort qu'à l'époque, alors que les machines remplaçaient nos activités à fort volume et à forte fréquence. Aujourd'hui, elles viennent remplacer des tâches cognitives ou créatives.

Comment la révolution numérique se manifeste-t-elle dans les organisations?

C.G.: Quand on parle de révolution numérique, les chercheurs s'accordent à dire qu'il existe trois types de transformations : les transformations des processus internes, des expériences clients et des modèles d'affaires. Ce troisième type est plus radical, car il implique souvent de la numérisation de produits. LaPresse, par exemple, a été le premier journal au monde à numériser complètement sa version hebdomadaire. En très peu de temps, elle a réussi à se transformer et à créer un produit qui est au cœur de son modèle d'affaires. Pour les organisations, les défis majeurs de la révolution numérique sont ainsi reliés à la complexité technologique, son évolution rapide et d'éventuelles résistances au changement. Ensuite, elles font face à des situations d'incertitudes extrêmes et doivent s'habituer à savoir nager dans ces incertitudes. Finalement, un challenge considérable est de se débarrasser des problèmes qu'elles avaient, comme les problématiques liées à des processus qui n'étaient pas numérisés. L'idée est de faire vite la transition pour pouvoir se concentrer sur comment adresser au mieux les défis associés aux nouveaux problèmes.

Quels sont les facteurs clés de réussite pour les entreprises?

C.G.: À la suite d'études de cas réalisées dans des entreprises en transformations numériques importantes, mes collègues et moi avons observé trois types de facteurs nécessaires à la réussite de projets d'envergure.

  • D'abord, le leadership au sein de l'équipe de dirigeants incluant les chefs des finances et contrôleurs. Le leadership doit être audacieux, mais à la fois éclairé, réfléchi et technophile. La direction peut aussi avoir à mettre la main à la pâte pour montrer cette volonté de se transformer.
  • Ensuite, il faut que les employés soient outillés d'habiletés technologiques et deviennent eux-mêmes des agents de changement. Un autre aspect primordial est la collaboration pour réfléchir à de toutes nouvelles façons de faire.
  • Finalement, il faut qu'il y ait de l'agilité dans les approches méthodologiques. Les outils de prototypage, par exemple, peuvent être bénéfiques. Des idées sont alors testées, mesurées et raffinées avec des cycles courts parce que ça va vite! Les entreprises ne peuvent pas se permettre de conduire des planifications sur plusieurs années.

Revoyez la présentation de Camille Grange lors du « Colloque pour les chefs des finances et contrôleurs : comment faire face aux transformations numériques? » (vers la 1:40 minute).


 

[1] Benedikt Frey, Carl & A. Osborne, Michael. (2013). The Future of Employment: How Susceptible Are Jobs to Computerisation? Oxford Martin. 114.