Vouloir offrir la meilleure performance possible au travail est tout à fait légitime. Reste que rechercher la perfection à tout prix peut avoir des conséquences négatives sur la santé, tout comme sur la productivité. Explications.

La ligne est mince entre le perfectionnisme qui permet d’atteindre l’excellence et celui qui, au contraire, nous coupe les ailes, note le docteur Nicolas Chevrier, psychologue et directeur clinique des Services Psychologiques Séquoia. «Cela devient problématique quand on commence à appliquer automatiquement certaines règles, sans y réfléchir, dans toutes les situations. Par exemple, la personne va s’imposer de livrer un travail parfait dans toutes circonstances.»

Peu flexibles, de telles pensées enferment les gens dans le piège du «tout ou rien». Or, même si cela peut sembler contre-intuitif, la recherche de l’excellence se joue plutôt sur un continuum, explique le psychologue. «Il faut plutôt évaluer le niveau de performance que requiert chaque situation. Par exemple, pour une présentation devant mes collègues, je n'ai pas besoin d'être au même degré de perfection que si celle-ci se déroule devant le conseil d'administration de l’organisation», donne-t-il en exemple.  

Autrement dit, pour être réellement performant, il faut concentrer ses efforts… au bon endroit. «Exiger de soi-même une qualité de travail sans failles implique d’y consacrer du temps et des ressources. Suis-je prêt à le faire et si oui, le jeu en vaut-il la chandelle? Dans le fond, ce qui pose problème, c’est quand on perd cette notion de choix. Et c’est important, pour exceller, d’être capable de décider.» Sans quoi, on risque de crouler sous la tâche, de se sentir impuissant et de se tenir un discours négatif augmentant le stress.

Des conséquences sur la santé physique et mentale

«Selon certaines recherches, c’est lorsque le perfectionnisme est basé sur l’autocritique qu’il devient problématique et engendre des émotions négatives», mentionne Jacques Forest, professeur au Département d’organisation et ressources humaines à l’UQAM. En effet, rappelle-t-il, le discours intérieur a une énorme influence sur le bien-être. «C’est la même chose pour la “boulot-manie”. Ce n’est pas seulement le nombre d’heures passées à travailler qui provoque un mal-être, mais aussi comment vous vivez ces moments. Si ce temps est associé au plaisir, a du sens et renforce votre identité professionnelle, cela risque moins d’être problématique.»

Jacques Forest fait également un lien direct entre la recherche de l’excellence et la théorie de l’autodétermination. Pour s’y sentir confortable, il faut que cela réponde à ses besoins d’autonomie, de compétences et d’affiliation. «Le problème, c’est quand cette quête frustre ces besoins pendant trop longtemps. Cela affecte alors notre énergie psychologique, émotionnelle et physique.» À long terme, cette situation peut engendrer troubles du sommeil, fatigue, stress et difficultés à déconnecter, note le professeur. Vouloir être parfait en tout temps génère aussi du stress chronique, un terrain propice à l’épuisement professionnel, renchérit Nicolas Chevrier.

Un frein à la productivité

«Les personnes trop perfectionnistes vont essayer d’augmenter leur sentiment de contrôle en cumulant les heures de travail, plutôt qu’en laissant tomber les règles trop rigides qu’elles se sont fixées», explique Nicolas Chevrier. Or, la productivité décline après un certain nombre d’heures. La fatigue fait grimper le risque d’erreurs et on a plus de difficultés à conserver son attention, si bien qu’on met plus de temps à faire chaque chose. Bref, on est beaucoup moins efficace au niveau cognitif. De plus, il est tentant de repousser certaines tâches aux calendes grecques, parce qu’elles génèrent trop de stress.

«C’est d’ailleurs le grand paradoxe du perfectionniste dysfonctionnel : cela nous empêche d’être réellement performant.» Le problème, c’est que sous prétexte de rechercher l’excellence, ces personnes ne réussissent pas à s’adapter aux situations. «Ce qui est important, c’est de garder en tête l’équilibre entre les ressources et les demandes, précise le psychologue. Donc, il faut se demander de quoi je dispose pour effectuer ce travail. En tant que gestionnaire, combien ai-je de temps, de personnel? Le résultat doit nécessairement être aligné avec cela.» 

À partir du moment où on s’est fixé certaines limites, on peut choisir dans sa semaine s’il y a des tâches sur lesquelles on doit mettre plus ou moins d'efforts, poursuit-il. «C’est en ayant le choix qu’on peut avoir un sentiment de contrôle, insiste Nicolas Chevrier. On peut décider quelle énergie investir en fonction de chacun de ses dossiers.» Ce qui permet aussi d’être plus efficace. 

Or, il peut s’avérer très difficile de prendre le recul nécessaire pour y arriver. C’est pourquoi Nicolas Chevrier suggère d’aller chercher l’aide, par exemple, d’un psychologue organisationnel. «Il faut revoir la relation qu’on entretient avec la performance, ce qui n’est pas évident. Mais rapidement, on se rend compte des effets positifs de cette nouvelle façon de faire.» De quoi motiver à poursuivre sur cette voie.