Deux centres urbains du Michigan vivent présentement une évolution différente : Flint connait une forte contraction après que GM eût considérablement réduit sa main-d'œuvre dans la région (d'un nombre de 1978 de 80 000 à moins de 8 000 en 2010) et Grand Rapids profite d’une prospérité basée sur une économie diversifiée. Ces deux agglomérations faisaient partie d’une vieille étude retrouvée.

En 1946, le sociologue C. Wright Mills et l’économiste Melville J. Ulmer présentèrent au Sénat américain un « rapport exploratoire » basé sur l’étude comparée de six villes portant sur la question suivante : « La concentration économique tend-elle à augmenter ou à diminuer les niveaux de bien-être civique? » Voici leur réponse :

Bref, dans les villes des petites entreprises, l'environnement était favorable au développement et à la croissance de l'esprit civique. Les intérêts des dirigeants potentiels de l'entreprise civique étaient généralement mutuels et localement enracinés. Par ailleurs, dans les villes où se sont installées de grandes entreprises, le développement de l’esprit civique a été retardé ou déformé. Les dirigeants potentiels de l’entreprise civique ont été impuissants à agir ou ont été motivés par des intérêts provenant de l’extérieur de la ville ? de façon particulière par le siège social de la société géante. Ces différences se sont reflétées dans les contrastes observés entre les niveaux de bien-être civique général entre les villes de grandes et celles de petites entreprises. (p.3)


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Rémunérations trop élevées chez les multinationales

Au milieu des années soixante, dans le cadre d’un cours en économie du développement, Arthur Lewis, codétenteur du prix Nobel d’économique 1979, affirmait que les multinationales offraient des rémunérations beaucoup trop élevées dans les pays en développement en transférant une partie de la rente des ressources à leur main-d’œuvre. Le travailleur qui se croit aussi bien qualifié que l’employé des multinationales à salaires élevés devient moins satisfait de sa faible rémunération et plus revendicateur. Selon Lewis, la rente des ressources ne devrait pas être transférée aux travailleurs, mais plutôt conservée par son détenteur, le gouvernement. C’est un aspect de ce qui est qualifié de malédiction des ressources naturelles.

Le rentier encombrant

Dans leur étude sur l’avenir des régions non métropolitaines du Québec et des provinces de l’Atlantique, Mario Polèse et Richard Shearmur reprennent ce thème en utilisant l’expression du syndrome du rentier encombrant. Qu’en est-il?

Le syndrome du rentier encombrant renvoie aux effets de la forte dépendance d’une économie locale à l’égard d’une ou de deux industries très capitalisées, dont les hauts salaires fixent les conditions sur le marché du travail de la région. Nous savons que cette situation peut avoir des effets dévastateurs pour la diversité industrielle et l’entrepreneurship local. (p.197)

Illustration du phénomène

Est-il possible d’illustrer, même sommairement, le phénomène du rentier encombrant au Québec? Pour ce faire, je me reporte à trois centres de production d’aluminium soit Saguenay, Baie-Comeau et Sept-Îles. En premier lieu, c’est une comparaison entre les deux régions métropolitaines de recensement (RMR) de Saguenay et de Sherbrooke. Sur une période de vingt-cinq ans de 1991 à 2016, l’évolution de leur population fut fort différente : la population de Saguenay n’a pas bougé, montrant une minime augmentation de 52 personnes, tandis que celle de Sherbrooke croissait de 51 pour cent. Au début de la période, l’écart dans les populations était de 14 pour cent favorable au Saguenay contre un déficit de 24 pour cent après vingt-cinq ans.

Cette évolution de la population défavorable à la RMR de Saguenay ne se traduit pas par un niveau de rémunération facilitant une plus grande diversification de son économie. En 2014, le revenu d’emploi médian des familles de Saguenay dépassait celui de la RMR de Sherbrooke; l’écart n’était pas élevé, 63 910 $ contre 61 460 $. Qu’en est-il maintenant des agglomérations de recensement de Baie-Comeau et de Sept-Îles comparées à celles de Drummondville et de Saint-Georges? Les variations de leur population de 1991 à 2016 sont fort différentes : baisse de 14 pour cent pour Baie-Comeau, hausse de 5 pour cent pour Sept-Îles avec des hausses respectives de 57 et de 29 pour cent pour Drummondville et Saint-Georges. Les rémunérations médianes des deux agglomérations de la Côte-Nord nuisent considérablement à leur expansion : en 2014, les revenus d’emploi médians des familles étaient de 73 810 $ à Baie-Comeau et de 80 850 $ à Sept-Îles; ils dépassaient considérablement le 58 510 $ de Drummondville et le 61 439 $ de Saint-Georges.

Conclusion

Le syndrome du rentier encombrant n’est pas en soi une raison pour dénoncer la présence des multinationales sur le territoire. Il est toutefois utile de prendre conscience de cette dimension de leur impact.