La récente campagne américaine a soulevé de nombreuses interrogations à la fois sur la forme et sur le contenu.

Il est important d’essayer d’expliquer au moins partiellement cette réalité. Comme les candidats doivent répondre aux préférences des votants, il est pertinent de se demander si les votants ne présentent pas certains biais dans leurs préférences qui expliquent le contenu des discours peu orientés vers la retenue, mais plutôt vers un autoritarisme à l’opposé de la décentralisation et de la liberté individuelle. Ces biais seraient présents dans les différentes démocraties, incluant la nôtre.

De biais, et d'autres considérations...

L’économiste Bryan Caplan¹ identifie quatre familles de croyances ou de biais qui sont généralement partagés par les votants et qui entraînent la détermination d’un cadre hostile à la décentralisation ou au marché et, par conséquent, favorable à la multiplication des interventions gouvernementales et à un certain autoritarisme.

Le premier biais concerne la dépréciation du pouvoir des processus de marché. Dans son Histoire de l’analyse économique, l'économiste Joseph Schumpeter l’a très bien exprimé : « Comme Adam Smith devait le faire observer [...] nous ne devons pas notre pain au bon vouloir du boulanger, mais à son intérêt personnel, vérité banale qu’il est utile de répéter sans cesse, afin de détruire l’indéracinable préjugé selon lequel tout acte accompli en vue du profit est par cela même antisocial »².

Le deuxième biais touche à la peur d’établir des relations avec l’étranger, ce qui favorise les diverses mesures protectionnistes qui prennent d’ailleurs différentes formes. La promotion de l’achat de produits locaux en est un exemple. Le commerce international n’est pourtant rien d’autre qu’une forme de technologie qui permet aux exportations du porc québécois d’être transformées en importations de pétrole et de voitures.


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Le troisième biais porte sur le recours au nombre de travailleurs comme critère d’évaluation au lieu de la rentabilité ou du surplus engendré par un projet. Le progrès technologique, source d’augmentation de la richesse collective, devient alors perçu comme destructeur d’emplois. Les emplois qualifiés de verts sont annoncés par les différents gouvernements sans égard à leurs coûts. Ce biais est très présent dans les annonces de projets par les gouvernements; l’accent est mis sur la création d’emplois lors de la construction et sur une estimation habituellement optimiste quant au le nombre de travailleurs permanents. Les aspects de rentabilité du projet sont complètement ignorés.

Le quatrième et dernier biais est le pessimisme, une tendance à surestimer la sévérité des problèmes et à sous-estimer la performance de l’économie. Voilà un biais favorable à la création de crises pour un système centralisé. La crise peut être réelle ou fictive, mais elle a la propriété de faire bouger le système. De son côté, la décentralisation se définit comme une forme de lâcher-prise sur l’économie et la sociétéet ainsi elle exige un certain degré d’optimisme.

Deux facteurs québécois

Deux facteurs renforcent ces biais au Québec : le statut de groupe minoritaire en Amérique du Nord et l’histoire religieuse du Québec. Divers comportements se rattachent à ces convictions. Par exemple, le statut de minoritaire favorise le recours au langage guerrier : devant l’ennemi, il ne faut pas se diviser, mais être solidaire. Les interventions du gouvernement du Québec faciliteraient ainsi notre identification « en faisant de nous des Québécois ». La concurrence et la flexibilité des institutions sont perçues comme des défauts. La centralisation et la cartellisation seraient vues comme une source de force. On penche vers la fermeture du système au lieu de son ouverture moins rassurante. La mise sur pied d’« institutions nationales » est privilégiée. La faible fréquentation des lieux de culte ne signifie pas que la tradition religieuse des citoyens a été effacée. Le passé perpétue son influence. Le monopole catholique chez les francophones a favorisé un biais favorable au corporatisme des groupes d’intérêts et défavorable à la concurrence et à la tradition libérale de la liberté individuelle et d’initiative. Cette religion n’allait tout de même pas se faire le défenseur de la main invisible d’Adam Smith, où la recherche des intérêts égoïstes mène à un résultat global valable. C’est la base des processus décentralisés.

Conclusion

La conclusion de ce texte sur le peu d’intérêt pour la décentralisation et les processus du marché pour l’électeur se rapproche de l’intuition d’Alexis de Tocqueville qui écrivait dans De la démocratie en Amérique : « Dans les siècles démocratiques qui vont s’ouvrir, l’indépendance individuelle et les libertés locales seront toujours un produit de l’art. La centralisation sera le gouvernement naturel. »


Notes

¹ Lire The Myth of the Rational Voter: Why Democracies Choose Bad Policies et The 4 Boneheaded Biases of Stupid Voters.

² Joseph Schumpeter (1954), Histoire de l'analyse économique. Tome I : L'âge des fondateurs (des origines à 1790), Paris : Gallimard, 546 p.