Article publié dans l'édition hiver 2016 de Gestion

Au travail, les occasions sont nombreuses d’avoir à répondre aux attentes et aux besoins divergents de ses supérieurs ou de ses collègues. Devant les négociations qui se multiplient, qu’il s’agisse du délai d’un projet ou d’une demande de vacances, comment éviter l’escalade des frustrations et les jeux de pouvoir ? Examinons la négociation collaborative, une façon de discuter autrement.

L’art de négocier une voiture, c’est exagérer les faits... avec plus ou moins de finesse. Tant le vendeur que l’acheteur haussent le ton, froncent les sourcils, croisent les bras et tentent de tirer la couverture de leur côté. Peu importe qu’on en ressorte légèrement échevelé, pourvu qu’on fasse une bonne affaire. En effet, une fois le marché conclu, le vendeur et l’acheteur poursuivent séparément leur chemin. Il en va tout autrement au travail, où on côtoie régulièrement les collègues et où il est donc important de préserver les liens.


LIRE AUSSI: À prendre ou à laisser: une tactique pour véritablement négocier


De fait, le sentiment d’injustice et le manque d’écoute à la suite d’une négociation constituent un terreau fertile pour la mauvaise foi, le goût de la revanche et le sabotage. Aussi subtils soient-ils, ils mineront inévitablement l’environnement de travail et la productivité. Les gestionnaires d’aujourd’hui doivent donc être de fins négociateurs. Voici donc, pour les gestionnaires avertis, le secret de la négociation collaborative en cinq grandes étapes.

L’art de l’amorce

Des hommes d’affaires asiatiques multiplient les repas au restaurant pour parler de choses et d’autres. Des Africains prennent le thé avec des clients avant de commencer à discuter sérieusement de prix. Ces préliminaires permettent de s’apprivoiser, d’établir un lien de confiance. Différentes cultures, différentes manières de se réunir autour d’une table pour négocier. Mais ce qui compte le plus, c’est la période d’amorce essentielle aux pourparlers. En fait, pour éviter dès le départ les pièges d’une mauvaise perception, il faut miser sur deux éléments : apprendre à mieux connaître l’autre, puis définir un enjeu commun. La première étape essentielle à une négociation consiste à prendre le temps de préparer le terrain pour discuter.

L’amorce ne doit pas se limiter à l’échange de quelques blagues devant un bon café. L’amorce étant par essence stratégique, elle a pour but de saisir les préoccupations de l’autre. Sans cette compréhension, impossible de discerner les motivations profondes de son interlocuteur, celles qui permettent d’orienter et d’influencer la négociation. Comment proposer des solutions satisfaisantes si on ne connaît pas ce qui importe aux yeux de l’autre ? C’est aussi l’occasion d’expliquer clairement ses préoccupations afin d’aider son vis-à-vis à comprendre son point de vue. Tracer un portrait global des enjeux facilite évidemment la recherche d’un compromis.

Fixer un but commun

Comme toute négociation découle d’une demande, celui qui la formule espère évidemment que son interlocuteur sera accommodant. Dans le cas contraire, comment infléchir une attitude compétitive ? En définissant un but commun sous un angle permettant à d’autres éléments liés à l’entreprise (groupe de travail, clients, organisation au sens large) d’en tirer un certain bénéfice. En faisant preuve de transparence, celui qui aura lancé la négociation dévoilera ses intérêts personnels mais saura élargir cette perspective afin de faire naître chez l’autre le désir de s’investir. Pour favoriser un lien égalitaire et parvenir à désamorcer une relation négative, il importe de fixer un but commun.


LIRE AUSSI: Négocier avec quelqu'un de plus puissant que soi


Le temps est venu de discuter

5 etapes cles

Illustration Istock

Une fois la négociation amorcée selon les règles de l’art vient le temps des discussions. Puisque la négociation collaborative se fonde sur l’idée selon laquelle il faut préserver la relation avec l’autre, les pourparlers viseront l’échange d’idées tout en tenant compte de celles des deux parties. Oui au compromis, donc, mais stratégique, pour ainsi couper la poire en deux… ou en plusieurs morceaux. Ainsi, celui qui aura amorcé la négociation saura trouver le petit bout de poire qui répondra aux priorités de son interlocuteur.

Généralement, on entre en négociation avec des préoccupations lancées dans le feu de la conversation. Pourtant, c’est en posant des questions pertinentes, par exemple : « Qu’est-ce qui importe le plus ? Que devons-nous régler en premier ? », qu’on sera en mesure d’établir une liste claire des préoccupations dont on aura fait état dans le désordre en fonction de leur priorité respective. Cette étape aussi essentielle que stratégique permet de déterminer les éléments qui, lors de la négociation, pourraient être abandonnés sans trop de dégâts et sans affecter les priorités. S’il y a lieu, il va sans dire. Sans un tel plan, le risque de regretter certaines concessions accordées dans le feu de l’action des négociations est grand.

Le négociateur habile développera aussi le réflexe de donner pour recevoir. Il s’avancera avec assurance, prendra des engagements… mais au conditionnel, pour s’assurer un retour d’ascenseur : « Je suis prêt à faire ceci, mais à la condition que… » Il faut donc proposer des solutions avantageuses pour soi tout en donnant envie à l’autre de les adopter. Avec ces concessions stratégiques, le gestionnaire peu mener le bal des discussions sans craindre de se faire avoir tout en instaurant un climat favorable à la recherche de solutions en mode collaboratif.

Le chemin de l’entente

Enfin, une entente à l’horizon ! Elle peut couler de source si l’autre a finalement obtenu ce qu’il espérait. Il faut évidemment que le négociateur ait pu disposer de la marge de manœuvre nécessaire pour répondre aux demandes de l’autre. Dans les cas où la situation lui commande de réfréner les aspirations de son interlocuteur, le négociateur doit manœuvrer avec doigté. Bien entendu, en tant que patron, un négociateur peut imposer les tenants et aboutissants de l’entente. Mais on se doute toutefois que le long terme mettra à l’épreuve cette conduite un brin despotique qui risque d’alimenter les rancœurs.

Mieux vaut s’efforcer de minimiser le sentiment de perte, de loin la meilleure manière de maximiser une mise en œuvre collaborative et efficace. Il faut tout d’abord atténuer les pertes en adoucissant l’irritant principal et en trouvant une façon de satisfaire minimalement toute demande. Celui qui ne ressort pas gagnant d’une négociation aura à tout le moins le sentiment d’avoir été écouté et respecté. Accepter de reporter une date de tombée, accorder une ressource supplémentaire, favoriser la reconnaissance d’une manière ou d’une autre : voilà des portes de sortie qui ne devraient pas tenir du miracle… et qui peuvent mener loin.

Enfin, l’établissement d’un bilan permettra de mettre en lumière les gains de l’autre : les recherches démontrent clairement qu’en général, l’être humain retient davantage ce qui le dérange et oublie ce qu’il a gagné. Afin de préserver la relation et la volonté de respecter l’entente nouvellement conclue, le négociateur initial doit s’assurer de bien récapituler en soulignant le gain principal et en apportant des nuances constructives. Quand l’employé sort du bureau, il doit pouvoir dire à ses collègues : « J’ai au moins obtenu ceci » et non pas : « Je me suis fait embobiner. »

Collaborer, un choix stratégique et relationnel

La collaboration ne naît pas spontanément. En situation de stress, c’est encore plus difficile. Ainsi, considérer la perception de l’autre et comprendre ses préoccupations requiert une bonne dose de volonté. En effet, la coopération est une démarche réelle bien plus qu’une simple attitude. Si elle exige davantage d’énergie et un investissement émotif, la négociation collaborative préserve la relation entre collègues et consolide la volonté de respecter l’entente. Encore faut-il savoir établir des conditions gagnantes, éviter les pièges qui la menacent et laisser entendre à l’autre que la collaboration est non seulement possible mais souhaitée. Toute négociation stratégique est parsemée de pièges et comporte des zones irrationnelles, l’humain étant un être fait d’émotions qui peuvent contrecarrer les meilleures intentions. Ce qui signifie, au bout du compte, que préserver ses relations et renforcer la motivation des collègues revient aussi à gagner une négociation !