Alors que le taux de diplomation des femmes dans les universités canadiennes dépasse celui des hommes depuis près de 20 ans, le taux de représentation des femmes aux conseils d’administration et parmi la haute direction des entreprises peine toujours à atteindre les 15 % au Canada. Nous sommes donc encore très loin de la parité à l’échelon décisionnel. Mais comment expliquer la persistance de cet écart et, surtout, comment le réduire?

Un peu partout sur la planète, l’augmentation du nombre de femmes au sein des conseils d’administration représente un enjeu majeur sur lequel les gouvernements et les autorités réglementaires se penchent depuis plusieurs années. Au Canada, à l’instar des États-Unis et de la Grande-Bretagne, les autorités ont opté pour des mesures incitatives plutôt que d’imposer des quotas comme c’est le cas dans plusieurs pays d’Europe, par exemple la Norvège – une pionnière à ce chapitre –, suivie notamment de la France, de l’Italie et de l’Allemagne.


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Ainsi, depuis le 1er janvier 2015, la grande majorité des entreprises cotées en Bourse au Canada doivent rendre compte des politiques qu’elles ont adoptées en matière de représentation féminine au sein de leurs conseils d’administration et de leurs équipes de haute direction. Or, un récent rapport de l’Autorité des marchés financiers (AMF) du Québec démontre que seulement 35 % des 660 firmes investiguées ont mis en œuvre une politique dans ce sens et qu’une infime partie – 11% pour les CA et 3% pour la haute direction – se sont donné des cibles concrètes1.

Le frein principal

Pour justifier leur réticence à s’adjoindre un plus grand nombre de femmes à des postes stratégiques, la grande majorité des entreprises font valoir que les nouveaux candidats sont nommés en fonction de leur mérite. Or, que ce soit de bonne foi ou non, le manque d’audace de ces sociétés contribue à maintenir un statu quo inacceptable par rapport aux multiples défis financiers, sociaux et environnementaux qu’elles ont à relever et, surtout, compte tenu du bassin de compétences largement inexploité que représente la gent féminine.

En principe, les systèmes fondés sur le mérite visent à éviter les biais de sélection ; toutefois, plusieurs études font état d’un effet diamétralement opposé. Ainsi, une recherche réalisée par des professeurs du MIT et de l’université de l’Indiana révèle que les promotions accordées au mérite créent un biais négatif qui nuit aux femmes2. Plutôt que de véritablement recruter les meilleurs candidats, les organisations qui entretiennent prétendument une culture de méritocratie ont surtout tendance à privilégier des personnes issues de leur réseau. Et ce réseau est, comme par hasard, très majoritairement composé d’hommes.

Dans une autre étude menée en 20173, les chercheurs ont démontré une forte tendance à remplacer les administrateurs masculins par des candidats masculins; on observerait le même comportement chez les femmes. Ce phénomène serait attribuable à la « rationalité limitée » des recruteurs, qui les amène à se rabattre sur leur intuition pour choisir les candidats plutôt que d’évaluer et de pondérer correctement l’ensemble des facteurs déclinés dans leurs grilles de sélection.

La résistance au changement

Le tableau ci-dessous, tiré du rapport de l’AMF cité précédemment, montre à quel point le plafond de verre est encore très solide dans les grandes entreprises du Canada.

Cibles de représentation féminine dans les entreprises canadiennes

On revient donc au problème bien enraciné du old boys’ club, le traditionnel cercle fermé des vieux copains. Ainsi, plusieurs hauts dirigeants sont encore réticents à l’idée de nommer des administrateurs qu’ils ne connaissent pas ou qui sont indépendants d’esprit : ils craignent de perturber les bonnes relations entre les membres du conseil ou d’être mis au défi. Ils préfèrent donc protéger les acquis plutôt que de favoriser la mixité d’idées et de bénéficier d’une plus grande diversité de pensée autour de la table.

Changeons nos mentalités

Que faire alors pour briser ce plafond de verre ? Une récente étude de la chaire de gouvernance Stephen-A.-Jarislowsky révèle qu’il n’est malheureusement pas suffisant que les femmes soient aussi bien éduquées que les hommes et que des lois et des règlements soient adoptés pour favoriser leur nomination aux hautes instances des entreprises. Il faut également et surtout que la mentalité des hommes change. Comme les hommes ont traditionnellement eu plus de poids dans les décisions qui favorisent l’ascension aux échelons supérieurs des entreprises, ils demeurent les maîtres de ces réseaux. Ainsi, pour que les choses changent, les hommes doivent d’abord prendre conscience de cette réalité et favoriser l’accès des femmes dans leurs cercles afin que ceux-ci deviennent plus hétérogènes et plus propices au développement professionnel de leaders féminins.


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À ce chapitre, plusieurs études ont démontré que les organisations qui accueillent un plus grand nombre de femmes sont plus performantes, tant sur le plan financier que du point de vue de leurs responsabilités sociales et environnementales. Une meilleure représentation des femmes aux conseils d’administration procure aussi une plus grande diversité de points de vue et d’opinions dans les processus décisionnels. Les conseils d’administration plus diversifiés sont d’ailleurs à même de mieux exploiter les compétences et les connaissances de leurs membres et de générer les synergies souhaitées pour optimiser la prise de décision.

En outre, une récente étude réalisée par la firme McKinsey4 montre que la progression des femmes en affaires passe non seulement par l’engagement proclamé des hauts dirigeants et par des structures facilitant la conciliation travail-famille mais aussi et surtout par des mesures prises pour favoriser et soutenir l’avancement des femmes ainsi que pour combattre les préjugés inconscients. À titre d’exemple, cette étude révèle que les femmes sont plus fréquemment perçues comme étant trop autoritaires ou trop émotives, bien que ce ne soit pas la réalité. Dans un tel contexte, il s’avère donc bien plus difficile pour les femmes de faire valoir leurs compétences et de décrocher les postes qu’elles convoitent.

À la lumière de ces constats, une évidence s’impose : il reste encore bien du chemin à faire pour éliminer les fausses perceptions et enrayer les préjugés qui discriminent les femmes en affaires. Mais le jeu en vaut la chandelle : la firme McKinsey évalue notamment le potentiel de croissance de l’économie canadienne lié à l’égalité des hommes et des femmes sur le marché du travail à quelque 150 milliards de dollars d’ici 2026 !

Pour changer la culture et les mentalités, toutes les parties prenantes doivent s’atteler à la tâche. Des programmes doivent être implantés pour éduquer nos enfants en ce sens dès l’école primaire. Les médias doivent également valoriser la contribution des femmes et chercher à éliminer les biais dans leur façon de présenter celles qui ont accédé à des postes de pouvoir. Finalement, les entreprises doivent adopter des mesures efficaces pour éliminer les biais négatifs envers les femmes. Ce pas en avant est impératif : favoriser l’équité et la diversité dans le milieu des affaires est une condition sine qua non pour assurer une saine progression économique et sociale.

Article écrit en collaboration avec Liette D'Amours, rédactrice-journaliste


Notes

Examen du personnel sur les femmes aux postes d’administrateurs et de membres de la haute direction, Autorité des marchés financiers du Québec, 5 octobre 2017.

Castilla, E. J., et Benard, S., « The Paradox of Meritocracy in Organizations », Administrative Science Quarterly, vol. 55, n° 4, 2010, p. 543-676.

Tinsley, C. H., Wade, J. B., Main, B. G., et O’Reilly, C. A., « Gender Diversity on US Corporate Boards – Are We Running in Place? », ILR Review, vol. 70, n° 1, janvier 2017, p. 160-189.

« The Power of Parity – Advancing Women’s Equality in Canada », McKinsey Global Institute, juin 2017.