Alors que le XXIe siècle entre à peine dans sa vingtième année, la crise sanitaire actuelle précipite beaucoup de tendances déjà à l’œuvre. En ce sens, certains voient se profiler dans cette situation plus un effet d’accélération de traits déjà présents qu’un véritable changement ou virage. Pour le meilleur, il est permis de l’espérer, tout en demeurant conscient que le pire est aussi possible. Ceci est vrai dans tous les champs de nos vies : économiques, sociaux, politiques, culturels, environnementaux.

De la même façon que nous mêlons quotidiennement les réalités les plus avancées ainsi que les plus saisissants archaïsmes, le pire et le meilleur se conjugueront sans doute encore longtemps dans un monde post-COVID-19. Force est de se résigner au même constat incertain en observant le comportement des marques en cette période de pandémie. On assiste souvent au pire : indifférence, exploitation éhontée, déni de responsabilité. Mais aussi parfois au meilleur : présence, pertinence, engagement sincère.

En ces temps difficiles, trois principes clefs quant à l’action des organisations s’imposent : être utile, amplifier les messages sociaux positifs, agir avec pudeur. Trois principes pour composer avec la crise actuelle et neuf exemples d’ici pour les illustrer.

Être utile

Parce qu’on l’a sans doute longtemps associée, à tort, au seul domaine de la communication, la marque a souvent été considérée comme correspondant avant tout à une image, un simple discours publicitaire. Il ne devrait plus en être ainsi. Ce que vous faites aura toujours plus d’importance que ce que vous dites. Particulièrement dans un monde devenu transparent et saturé de sollicitations commerciales.

Une marque, c’est d’abord un produit ou un service qui conditionnent une expérience, pas un discours. En hébergeant certains travailleurs de la santé pour leur accorder un peu de répit, le Groupe Germain Hôtels a su poser un geste concret, signant avec bienveillance sa présence au sein de nos communautés. Pour l’entreprise CCM, se rendre utile fut de se consacrer à la conception de visières protectrices. Quant à Nicolas Duvernois, l’entrepreneur a misé sur la meilleure option à sa portée, soit la production de gels hydroalcooliques.

Autant de gestes pragmatiques qui témoignent de la présence ainsi que de la pertinence de ces marques au cœur de la crise. Gageons que la mémoire de tels gestes ne s’effacera pas et contribuera certainement à renforcer le capital de sympathie dont ces marques pourront jouir dans les années à venir.

Amplifier les messages positifs

Il existe de nombreuses définitions de ce qu’est une marque. Ma préférée est la suivante : une marque, c’est un réducteur d’incertitudes. Une marque, c’est un point de référence, au cœur d’une relation alimentée par la confiance. En effet, on ne peut comprendre le rôle joué par une marque sans en saisir la nature relationnelle. Dans la crise sanitaire brutale et inédite que nous connaissons, « faire confiance » est une notion absolument vitale.

Ici, le rôle des marques établies n’est sans doute pas de se substituer aux autorités publiques, mais de mobiliser leurs ressources afin de renforcer ce lien de confiance ainsi que l’adoption de comportements appropriés. Royer, le manufacturier québécois de bottes de travail, a su prolonger sa campagne prépandémie en lui donnant une nouvelle portée, notamment avec le lancement d’un nouveau produit signé reBOOT Canada. Bien avant la crise, cette campagne valorisait déjà les travailleurs dans les activités les plus diverses sur le thème : « Les héros du quotidien »! Pour Patrick Gaudreau, directeur exécutif marketing et expérience client chez Royer, au-delà de cette coïncidence : « Que ce soit à l’interne, pour nos propres employés, mais aussi pour les travailleurs, les héros obscurs, qui travaillent souvent dans l’ombre, il était important pour nous de contribuer à la relance. La campagne reBOOT, c’est un signal fort de cette capacité, comme entreprise et comme communauté, à se rallier, à se serrer les coudes. Des bottes d’ici, pour les gens d’ici, par des gens d’ici, c’est en fait toute l’essence de cette initiative. »

Dans le domaine culturel, le Musée des beaux-arts de Montréal, en facilitant certaines expériences de visite en ligne, a permis à de nombreuses personnes de mieux apprécier les possibilités offertes par une technologie trop souvent assimilée à une mise à distance froide et impersonnelle. La SAQ, qui a dû maintenir ses succursales ouvertes, a de son côté mis en place un dispositif d’accueil et d’accompagnement des clients que l’on peut considérer comme assez exemplaire en matière de santé publique. L’institution québécoise a ainsi, à sa manière et toujours sur son terrain, renforcé l’adoption de comportements responsables en matière de gestes barrières.

Même si elles disposent de moyens considérables, il n’est pas du rôle des marques de se substituer aux autorités publiques. En amplifiant le message ou les pratiques prônées par celles-ci, elles démontrent leur capacité à être présentes de façon responsable aux côtés de nos communautés.

Agir avec pudeur

Pour exister encore sur des marchés encombrés, de nombreuses marques ont dû hausser la voix au fil des dernières années. Ce faisant, elles ont surtout contribué à amplifier la cacophonie ambiante. Dans ces temps de crise, certaines ont choisi de chuchoter plutôt que de hurler. Pensons par exemple à Cascade qui, au-delà de la saga du papier de toilette, a su agir avec responsabilité et efficacité sans pour autant trop ouvertement afficher ses bons coups.

Le détaillant La Maison Simons se trouve, pour sa part, dans une situation risquée. Comme la plupart des acteurs de son secteur, il doit composer avec une certaine panique, qui se manifeste avec l’annonce de plusieurs fermetures prochaines. Les prises de parole de son dirigeant ont pourtant toujours été empreintes de beaucoup de retenue, de responsabilité et de rigueur. Sur un plan concret, la Fabrique 1840, unité de Simons centrée sur la vente en ligne de produits canadiens d’artisanat, a poursuivi son travail de promotion des métiers d’art de façon aussi discrète qu’efficace. Pour Cécile Branco, coordinatrice de cette unité : « Si la clientèle est plus ouverte à soutenir l’artisanat canadien, elle veut que ça soit fait avec respect : pour le créateur et le client. Ce faisant, notre énergie est mise sur la qualité de nos services et la mise en valeur des produits. Ce n’est pas une action politique. On travaille par passion et nécessité pour cette économie traditionnelle. »

Sur un plan plus restreint, mais tout aussi révélateur, la coopérative Le terroir solidaire, une association de producteurs agricoles locaux de Brome-Missisquoi, a su rapidement mettre en place un système de livraisons à domicile, souple et efficace, à destination des résidants de cette région. Les initiatives de ce type se sont multipliées au Québec. Elles ne sont pas sans effet. Gageons que cet engagement au cœur de nos communautés laissera, dans certains cas, plus de traces que de grandes campagnes mondiales lancées par des marques de premier plan!

Être utile. Amplifier les messages positifs. Agir avec pudeur. Dans le contexte de la crise actuelle, voici encore une fois trois principes à recommander afin de poser des jalons qui s’avéreront demain de solides points d’appui pour la construction de marques fortes, vecteurs de croissance. Les exemples cités dans cet article sont divers. Il n’a pas été difficile d’identifier de bonnes pratiques à l’échelle de la province. En fait, de multiples autres organisations auraient mérité de figurer dans cette liste. Des marques de chez nous.

Se pourrait-il que cette crise révèle qu’il n’y a pas de « petites marques » quand il s’agit d’appuyer nos communautés? Ces marques agissent à l’inverse en pleine grandeur. Il n’y a pas quelque chose comme une « petite marque », répétons-le. Se pourrait-il enfin que l’on voie se dessiner ici les contours de stratégies de marque teintées de ce qui constitue le fond même de la société québécoise? Un « Code Québec » des marques d’ici? Un atout à notre portée au profit d’un rayonnement beaucoup plus large de nos marques dans le futur? À l’aune des exemples cités dans ce texte, l’optimisme est permis.