Article publié dans l'édition Été 2021 de Gestion


Jean-Jacques Stréliski est l’ancien vice-président et directeur général associé de Publicis Montréal ainsi qu’un des cofondateurs de Cosette Montréal. Il est professeur associé au Département de marketing de HEC Montréal et responsable pédagogique du DESS en communication marketing et marque.

Vous m’avez bien lu : j’ai écrit activiste! Et j’ai eu l’audace d’accoler cet adjectif au mot marque. Je vous le confesse, il y a pire : je consacre désormais à ce mouvement une séance entière de mon cours du DESS en gestion – communication marketing et marque.

Pourtant, point d’esprit de subversion dans mon département, seulement un fort souci d’actualisation dans la connaissance et dans la pratique de la communication marketing. Tendance ou virage fondamental? Tendance, sans aucun doute – pas si récente, en vérité –, qui semble correspondre davantage à un besoin d’expression de valeurs, de posture managériale et entrepreneuriale. Une occasion marketing dont bien des dirigeants voudraient profiter. Affirmer son unicité et sa différence non plus par un biais concurrentiel traditionnel mais bien par une prise de position politique ou sociale. Un biais partisan marqué pour une cause, telle une revendication formelle portée par la marque et par son écosystème. Il y a cependant un «mais» à tout cela, car n’est pas activiste de marque qui veut, et plusieurs entreprises ou marketeurs tombent par opportunisme et par facilité dans un piège qui leur nuit énormément.

L’authenticité et la constance, l’intégration de la valeur soutenue dans le modèle d’affaires vont alors donner de la crédibilité aux diverses actions de marketing et de publicité mises en œuvre par la marque.

Au commencement, il y a eu Benetton

C’est le styliste de mode Elio Fiorucci qui a provoqué la rencontre entre Luciano Benetton et le désormais célèbre photographe Oliviero Toscani en 1983. Le coup de foudre entre ces deux hommes a permis d’installer la marque à un degré de notoriété internationale qu’ils n’avaient jamais pensé atteindre. L’ingrédient du succès : une prise de position choc sur les grands enjeux sociaux de l’heure. Du sida aux boat people, du racisme au sexisme, des emprises religieuses à la cause LGBT, rien n’a échappé au talent provocateur de Benetton et Toscani. Je suis certain que vous gardez encore en mémoire les images les plus marquantes de leurs publicités au fil des ans. Un courant était né. Et il était porteur. La preuve : 40 ans plus tard, la tendance devient un mouvement de fond.

Les attentes du citoyen numérique

Les consommateurs sont des êtres humains qui agissent (en principe) selon leurs valeurs. À l’heure de la mondialisation du commerce et d’une médiatisation numérique amplifiée, notre petite planète doit aussi faire face à la mondialisation des enjeux. En tête de liste, l’environnement et le réchauffement climatique occupent une place de première importance dans l’esprit de bien des consommateurs, et ce, à l’échelle mondiale. De surcroît, l’échec tout aussi planétaire des accords et des politiques en matière d’environnement met en lumière des possibilités qu’on aurait eu peine à imaginer il y a quelques années encore.

Je ne pourrais pas produire la liste exhaustive des marques qui, grandes ou petites, ont rejoint ce mouvement, tellement il prend de l’ampleur. Complexe et passionnant à observer pour un chercheur, ce phénomène fait ressortir le fait que ce sont les consommateurs – ou, plus exactement, les citoyens numériques qu’ils sont devenus – qui poussent les marques à faire preuve de vertu en se prononçant clairement sur les grands enjeux de l’heure. Des chiffres récents montrent que les attentes sont de plus en plus élevées1 : 86 % des consommateurs disent que l’authenticité est un facteur clé lors du choix des marques qu’ils aiment et soutiennent; 81 % ont besoin d’avoir confiance dans une marque avant d’en acheter les produits; 64 % adopteraient une marque uniquement en raison de son positionnement social ou politique.

Ces données n’échappent certainement pas aux entreprises qui ont compris l’occasion représentée par ces nouveaux comportements.

Les premiers de classe : les «Adtivistes»

Nike s’est attaquée au racisme. Disney s’est ralliée à la promotion de la diversité en veillant à ce que cette préoccupation se reflète dans son embauche et dans ses produits (à commencer par les films), allant même jusqu’à créer un service spécialement consacré à cela, placé sous la direction de Latondra Newton, une Afro-Américaine diplômée de la Wharton School. Chez Ben & Jerry’s, le réchauffement climatique est devenu la cause maîtresse de la marque. Stratégie brillante – et non sans humour – quand on a bâti son nom et sa réputation dans la fabrication de crème glacée. Dove, une marque d’Unilever, a fondé son discours destiné aux femmes sur l’estime de soi, une posture clairement dirigée contre la plasticité artificielle (et «photoshopée») des top-modèles de L’Oréal et de Procter & Gamble. Et ainsi de suite.

Ce mouvement – parfois appelé «adtivisme2» – englobe des centaines de marques. La palme de l’activisme de marque revient toutefois à cette championne toutes catégories qui a fait de l’environnement son cheval de bataille avant même ses débuts : Patagonia, créée en 1973 par un Américain d’origine canadienne-française, Yvon Chouinard, un passionné d’escalade et d’écologisme, dont la vision personnelle est devenue un véritable positionnement en même temps qu’une posture managériale incarnée dans l’ensemble des décisions de son entreprise.

Signe des temps qui changent, les marques d’aujourd’hui montrent qu’elles sont faites des croyances et des valeurs de leurs communautés. Signe manifeste qu’elles sont, de surcroît, de bonnes commerçantes. Benetton avait raison.


Notes

1 Mohsin, M. «10 branding statistics you need to know in 2021» (article en ligne), Oberlo, 31 décembre 2020.

2 De la contraction des mots activisme et advertising.