Dans un monde du travail qui change constamment, acquérir des connaissances ne suffit plus : il faut les renouveler sans cesse. L’apprentissage en continu s’impose alors comme un véritable accélérateur de carrière.

Certaines théories, dont celle du capital humain formulée par l’économiste américain Gary Becker, ont mis en lumière le lien de cause à effet entre la formation continue et le développement professionnel. Avec le temps, on réalise cependant qu’il faut élargir cette conception, souligne Marie-Claude Gaudet, CRHA, professeure agrégée au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal. «Ces modèles accordent surtout de l’importance aux retombées mesurables comme le salaire ou les promotions. Or, réussir sa carrière n’a pas la même signification pour tout le monde. La notion de succès a elle aussi évolué : elle ne se résume plus à une progression verticale, mais englobe une évolution horizontale, marquée par l’enrichissement personnel et le développement des compétences», explique-t-elle.

De son côté, Alain Gosselin, CRHA Distinction Fellow, professeur émérite à l’École des dirigeantes et dirigeants HEC Montréal, apporte lui aussi une nuance. «Pour de nombreuses personnes, apprendre équivaut à adopter un modèle scolaire. Or, lorsqu’on examine les méthodes de l’apprenant à vie, on remarque que 70 à 80% des connaissances proviennent des apprentissages informels. Autrement dit, un plan de développement ne consiste pas seulement à suivre des formations, il faut aussi demander de l’aide autour de soi, observer, poser des questions, s’imprégner de l’expérience d’autres talents», soutient-il.

D’ailleurs, selon une autre théorie, que l’on appelle le modèle 70-20-101, 70% des acquis proviennent des expériences personnelles riches en apprentissages, 20% sont issus des interactions avec les collègues, et enfin, 10% découlent de formations structurées. Un ratio qui ne doit toutefois pas minimiser l’importance de ces dernières : les discussions autour de la machine à café, les projets qu’on mène en dehors du boulot et les formations que l’on choisit de suivre en toute conscience forment, ensemble, un écosystème d’apprentissage. C’est la combinaison de ces trois volets qui rend le développement professionnel à la fois riche, équilibré et durable.

Marine Agogué, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal et formatrice à l’École des dirigeantes et dirigeants, constate qu’autant de personnes ont recours à la formation continue après avoir obtenu une promotion que de personnes qui s’y engagent afin de faire progresser leur parcours professionnel. Autrement dit, si la formation a indéniablement des atouts, elle n’est pas le seul canal possible, d’où l’intérêt de l’élargir pour tenir compte des différentes formes d’apprentissage en continu. Certaines formations, par exemple, permettent justement de diversifier ses compétences tout en misant sur l’échange entre pairs et la réflexion collective.

Compétences techniques ou généralistes

La progression professionnelle passe nécessairement par le développement de compétences. Celles-ci varient selon les secteurs, les types de postes, les fonctions occupées et la progression visée, mais une tendance demeure, observe Marie-Claude Gaudet. «En général, les promotions à des postes de gestion d’équipe sont accordées à des personnes disposant d’une grande expertise technique, mais qui manquent cruellement de compétences en gestion. Pourtant, ce sont justement ces dernières qui conditionnent le succès comme gestionnaire d’équipe», note-t-elle.

Alain Gosselin ajoute que pour grandir sur le plan professionnel, il faut certes détenir des compétences spécifiques dans son champ d’expertise, mais qu’il est également nécessaire d’élargir son portfolio. «Plus on progresse dans l’échelle hiérarchique et moins les postes sont spécialisés. On devrait donc s’orienter vers des formations plus généralistes. La formation L’essentiel du MBA en est un bon exemple», remarque-t-il.

Cela dit, les besoins en matière d’apprentissage peuvent aussi évoluer au fil du temps. «Les personnes en début de parcours cherchent à acquérir des compétences techniques bien précises, alors que celles qui ont plus d’expérience souhaitent surtout échanger avec des pairs, à l’intérieur comme à l’extérieur de leur organisation», indique Marine Agogué.

Être un bon gestionnaire ne signifie pas pour autant que l’on détienne les qualités nécessaires pour devenir un leader, prévient Alain Gosselin, qui souligne que l’intelligence émotionnelle, le courage, l’authenticité et l’empathie sont autant d’habiletés à développer si l’on veut améliorer son leadership.

Ce qui peut freiner l’élan d’apprentissage 

Malgré les retombées positives bien documentées de l’apprentissage continu, il n’est pas toujours facile de se mettre en action, mentionne Marie-Claude Gaudet. «Le manque de motivation, de sens, de temps et de ressources freine parfois la volonté de suivre de nouveaux apprentissages. Apprendre nécessite des efforts; une démarche qui ne va pas toujours de soi», soutient-elle. Les personnes ayant vécu des parcours scolaires plus ardus et qui n’ont pas apprécié leur passage sur les bancs d’école risquent aussi de se détourner de la formation continue.

«Le premier obstacle, c’est soi-même. Si l’intentionnalité est importante, il faut aussi mobiliser des ressources et des gens autour de nous. Le fait de ne pas avoir établi de plan d’action constitue un autre obstacle, car avoir un vague objectif en tête sera insuffisant», soulève Alain Gosselin. Il conseille d’ailleurs de se fixer des livrables concrets, qui constitueront autant de démonstrations de nos accomplissements et nous inciteront à poursuivre nos efforts. «C’est un peu comme le Petit Poucet qui laisse des cailloux dans son sillage», illustre le professeur. Il ajoute qu’il est également nécessaire de s’accorder du temps pour, ultimement, développer un sentiment de compétence.

L’organisation a elle aussi un rôle clé à jouer : elle doit mettre à la disposition des membres du personnel les outils et les ressources nécessaires pour soutenir leur développement. «Offrir de la formation continue implique des coûts, notamment parce qu’il faut libérer les personnes de leurs tâches quotidiennes pour qu’elles puissent s’y consacrer pleinement», explique Marine Agogué. Pour porter fruit, l’apprentissage en continu demande donc un investissement de temps et d’énergie, tant du côté individuel que du côté organisationnel. Mais le jeu en vaut résolument la chandelle.


Note

1 - Ce modèle a été développé dans les années 1990 par les chercheurs Michael M. Lombardo et Robert W. Eichinger.