La popularité de réseaux sociaux professionnels comme LinkedIn et l’implantation de plates-formes de recrutement en ligne, combinés à la pénurie de main-d’œuvre, vont-ils signer l’arrêt de mort du CV? Pas si vite, répondent les experts.

«Tu as deux bras et un permis de conduire? Viens nous montrer ce que tu as dans le ventre!» C’est ce que lancent avec une pointe d’humour certains des clients de Paméla Bérubé, CRHA. Vice-présidente et cofondatrice de Go RH, accompagnée de son équipe, elle donne un coup de pouce aux organisations dans toutes les facettes de la gestion des ressources humaines, y compris le recrutement.

En effet, dans des domaines comme le secteur manufacturier, la restauration ou le commerce au détail, la pénurie est telle que certains employeurs recrutent sur-le-champ ou, du moins, accélèrent leur processus. «Pour certains postes qui demandent peu de qualifications, qui peuvent s’apprendre sur le tas, il se peut que certains employeurs escamotent l’étape du CV», note Sylvie St-Onge, professeure titulaire au Département de management de HEC Montréal.

De là à conclure à la disparition du curriculum vitae, il y a un pas que les spécialistes hésitent à franchir. Si certaines organisations passent directement à la case embauche, pour d’autres, la réception des candidatures demeure essentielle. «Cela doit fait 20 ans qu’on voit des articles qui clament la fin du CV, mais la réalité est plus nuancée. Est-ce que, encore aujourd’hui, des entreprises demandent des CV? Oui. C’est pourquoi je ne recommanderais pas aux chercheurs d’emploi de laisser tomber cet outil», déclare Anne Bourhis, professeure titulaire au Département de gestion des ressources humaines de HEC Montréal.

Un document aux mille vertus

Pour les postes de professionnels ou qui exigent des compétences pointues, le CV demeure important, même s’il est souvent associé aux profils LinkedIn par exemple. C’est aussi un document crucial dans certaines situations, comme dans une entreprise syndiquée ou ayant un service de ressources humaines, puisqu’elles doivent respecter des étapes de recrutement plus formelles, explique Sylvie St-Onge. «Le fait d’obtenir des CV rend son processus de sélection plus rigoureux et permet d’éviter le népotisme. C’est important de pouvoir dire, surtout pour des postes importants dans l’organisation, avec une rémunération élevée, que j’ai publié une annonce, que j’ai reçu tel nombre de CV et que j’en ai retenu X pour une entrevue. Cela permet de montrer que notre démarche est rigoureuse, qu’on n’a pas embauché le premier venu.»

Avoir un CV sous la main est aussi fort utile pour solliciter un mandat comme consultant ou encore pour soumettre sa candidature pour devenir Fellow dans un ordre professionnel, précise la professeure. Même dans les secteurs où les employeurs embauchent sans CV, le fait de déposer une candidature en bonne et due forme peut aussi être un atout, ajoute-t-elle. «Cela permet de faire valoir son expérience, souligne-t-elle. Si j’ai été serveuse pendant dix ans, cela peut m’aider à négocier mes conditions de travail.»

Dépoussiérer sa candidature

De plus en plus d’organisations se tournent vers des systèmes informatisés pour collecter et trier automatiquement les candidatures. Pour ne pas passer à travers les mailles du filet technologique, les futures recrues doivent s’assurer d’inclure les bons mots-clés dans la présentation de leur expérience, soutient Anne Bourhis. «Les algorithmes effectuent, de façon plus rapide et efficace, la même chose que les recruteurs, c’est-à-dire qu’ils scannent les candidatures pour repérer certains éléments et décider si le CV se retrouvera dans la pile des “oui” ou des “non”.»

Pour attirer l’attention, certains candidats vont même jusqu’à chiffrer leurs accomplissements, remarque pour sa part Paméla Bérubé. Ainsi, un acheteur pourrait calculer avoir fait économiser tel montant à son employeur par année grâce à ses choix, donne-t-elle en exemple. «Cela permet de démontrer la valeur ajoutée de sa candidature pour l’entreprise», explique la CRHA.

Tout ce qui touche le savoir-être revêt aussi une grande importance, note la spécialiste. Les candidats ont donc tout avantage à détailler non seulement quelques activités liées à leurs différentes fonctions, mais à ajouter aussi les compétences transférables qu’ils ont développées, conseille Sylvie St-Onge, comme la capacité à travailler en équipe ou à gérer des échéanciers serrés. «On peut faire de même pour ses activités bénévoles, renchérit-elle. Ainsi, si vous avez orchestré une levée de fonds pour un organisme communautaire, cela montre votre persuasion, votre ténacité. Et si vous jouez au handball depuis dix ans, c’est la preuve de votre esprit d’équipe.»

Et la lettre de présentation dans tout cela? «En fait, certains employeurs ne s’y intéressent pas alors que pour d’autres, c’est vraiment important. Pourquoi prendre la chance de passer à côté d’une opportunité?», demande Sylvie St-Onge. C’est aussi l’occasion de contextualiser certains éléments de son parcours, comme un changement de secteur d’activités, ajoute Paméla Bérubé. «Parfois, l’adresse qui apparaît sur le CV est située vraiment loin du lieu de travail, ce qui est assez pour écarter la candidature, illustre-t-elle. Mais est-ce que cela veut dire que le candidat veut seulement travailler à distance ou qu’il prévoit déménager?  C’est le genre d’information qu’on pourrait spécifier dans une telle lettre.»

Bref, tant le CV que la lettre de présentation ne sont pas à reléguer aux oubliettes, surtout pour les postes professionnels. «Les chercheurs d’emploi devraient aussi avoir en main une page LinkedIn qui est professionnelle et à jour», souligne aussi Anne Bourhis. Un essentiel en 2022.