Article publié dans l'édition hiver 2016 de Gestion

La 21e Conférence mondiale sur le climat (COP21) doit aboutir à un accord universel de lutte contre les changements climatiques, le plus ambitieux depuis le premier Sommet de la Terre, à Rio en 1992. Les représentants des 196 pays vont-ils réussir à fixer un prix unique mondial du carbone qui aiderait à réduire efficacement les émissions de gaz à effet de serre ? Bien des économistes sont sceptiques : une telle entente est-elle même envisageable ?

Le coût du carbone

Idéalement, le prix international du carbone devrait refléter l’ensemble des dégâts environnementaux anticipés dans un avenir plus ou moins rapproché et causés par une tonne de CO2 émise dans l’atmosphère : le coût social du carbone. Qu’il s’agisse de taxe carbone ou de permis échangeables d’émissions, le calcul du coût social du carbone nécessite de faire un choix sur le taux d’actualisation, c’est-à-dire de se prononcer sur la valeur à accorder aux générations futures. Le défi est de taille : comment obtenir la participation de l’ensemble des États à un mécanisme de prix unique du carbone malgré leurs divergences ? La solution repose peut-être sur la « dette carbone ».


LIRE AUSSI: Innover: un incontournable pour mieux gérer l'énergie


Qu’est-ce que la « dette carbone » ?

Le principe de la dette carbone se fonde sur la création d’une dette financière en réaction au fait que les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont responsables de dégâts environnementaux futurs. Il s’agit donc de convertir en termes financiers la dette environnementale créée par les émissions de GES. Le remboursement de la « dette carbone » s’étalerait alors au rythme des dégâts avérés, de manière à refléter la réalité environnementale du problème.

Concrètement, on créerait un titre financier, nommé « dette carbone », pour chaque tonne de CO2 émise durant une année donnée. Ce titre serait attribué à l’État émetteur. Ainsi, au fur et à mesure que des dégâts liés aux changements climatiques seraient constatés, les détenteurs de ces titres seraient tenus de verser une somme proportionnelle au nombre de titres qu’ils détiennent dans un fonds international vert. Une fois le versement effectué, la dette carbone serait maintenue mais s’atténuerait au rythme de la diminution du taux de CO2 dans l’atmosphère. Ainsi, une dette carbone contractée il y a plusieurs années pèserait moins lourd dans le passif de l’État qu’une dette carbone plus récente. Contrairement aux schémas de taxe carbone et de permis de polluer, qui exigent le paiement immédiat du coût social, celui que nous proposons s’articule autour d’un financement graduel, comme on rembourse l’hypothèque d’une maison plutôt que de la payer comptant.

Les trois principes d’une politique climatique efficace

Trois principes font consensus au sein de la communauté des économistes : une politique du climat pourra être efficace si – et seulement si – elle impose un prix à la tonne d’« équivalent CO2 » (CO2 et autres gaz à effet de serre) commun à tous les États, si elle favorise une participation universelle et si elle déjoue les comportements de « passagers clandestins ».

1 - Un prix unique du carbone

Un schéma basé sur la dette carbone permettrait d’atteindre un prix unique sans toutefois contraindre les États à s’entendre sur un prix du carbone ou sur un nombre de permis à émettre par pays (sources importantes de désaccords sur la scène internationale). En effet, il est à prévoir que les émetteurs de GES les plus inquiets pour les générations futures chercheront à se décharger de leur dette sur les États les plus imprévoyants, les plus sceptiques ou les plus avides. En définitive, tous les États auraient à payer le même prix du carbone, soit celui établi en fonction du prix du marché de la dette carbone.


LIRE AUSSI: L'énergie en 2016: tensions, ambivalences et contradictions


2 - Inciter à une participation universelle

Le prix unique du carbone serait donc déterminé par l’entremise du marché, malgré des désaccords profonds entre États sur son coût social. Fait remarquable, il est à prévoir que même les « négationnistes du climat » souhaiteront y adhérer. Pour eux, le fait de participer au marché de la dette carbone constituerait une source nette de profits : les États plus inquiets les paieraient pour éponger la dette à leur place.

3 - Déjouer les comportements de « passagers clandestins »

Selon les économistes de la Chaire Économie du climat et de la Toulouse School of Economics, « l’existence d’incitations positives risque de ne pas suffire à prévenir les comportements de passagers clandestins. C’est pourquoi il faut prévoir le bâton de pénalités internationales suffisamment dissuasives pour déjouer de tels comportements ». Or, comme le principe même de la dette carbone est de convertir les émissions de GES en dette souveraine, il engage les États responsables de façon irrévocable.

Tenir compte des inégalités entraînées par les changements climatiques

La répartition géographique des dégâts liés au réchauffement climatique n’a rien à voir avec la répartition des émissions de GES sur la planète. Toutefois, comme un schéma basé sur la dette carbone récolterait un montant équivalant aux dégâts mondiaux constatés, on pourrait envisager de demander une compensation totale des États pour tenir compte des inégalités causées par les changements climatiques 1. Cette dimension d’équité faciliterait elle aussi les négociations.

*Article écrit en collaboration avec Myriam Jézéquel, journaliste.


Référence

1. Billette de Villemeur, É., et Leroux, J., « Sharing the cost of global warming », Scandinavian Journal of economics, vol. 113, n° 4, décembre 2011, p. 758-783.