Portrait d'une industrie qui enchaîne les coups fumants depuis le début du millénaire...

Pour bon nombre des citoyens vivant au nord du 49e parallèle que nous sommes, la fascination de la nation américaine pour les armes à feu demeure difficilement compréhensible. Dans la mesure où, en théorie, seul l'État devrait détenir le monopole de la violence, savoir que des centaines de milliers, voire même des millions, de citoyens américains se baladent dans les rues avec une arme en poche a de quoi faire frissonner.

Mais derrière cette inquiétante réalité se cachent, ou si peu, des marchands d'armes qui font des affaires d'or et qui se frottent les mains. De fait, comme le signale Thomas Watson dans un article du Financial Post (lire « Fire when ready: Why U.S. demand for guns keeps on rising »), un puissant paradoxe existe chez l'Oncle Sam. Malgré la présence d'un président démocrate ouvertement et fermement en faveur d'un contrôle plus strict des armes à feu, malgré les tueries de masse qui font la manchette de manière quasi mensuelle aux États-Unis, le marché des armes à feu connaît une hausse constante depuis le début du millénaire. Allez comprendre...

Smith & Wesson Revenus au cours des cinq dernières annéesLes États-Unis sont évidemment au centre de cette lucrative industrie. Le pays est en effet à la fois le plus important exportateur et importateur d'armes à feu, au sein d'un marché mondial qui était estimé, en 2014, à 4,1 milliards de dollars, et qui devrait atteindre 5,3 milliards de dollars d'ici 2020. Les demandes de vérification d’antécédents judiciaires et médicaux, qui sont considérées comme le meilleur indicateur des ventes d'armes à feu, ont fait un bond de 148 % depuis 2002, passant de 8,5 millions à 21 millions en 2014. Cette croissance marquée se reflète par ailleurs aisément dans la performance du plus gros fabricant d'armes à feu au monde, l'américaine Smith & Wesson qui, malgré une baisse de ses revenus en 2015, se porte assez bien. Quant au nombre total d'armes en circulation sur le territoire américain, il est évidemment difficile de s'en faire une idée précise, mais les meilleures estimations vont de 245 millions d'unités à quelque 320 millions d'unités, soit l'équivalent de la population américaine.

Ce n'est sans doute pas le genre de choses qui est enseignée dans les facultés de marketing, mais plus que l'amour, la peur semble être un sentiment passablement efficace dans la promotion de cette industrie. Et pas besoin de campagnes médiatiques élaborées pour faire le travail, l'actualité s'en charge! Toujours selon Thomas Watson, la journée ayant connu le plus de demandes de vérification d’antécédents aux États-Unis (environ 185 000) fut le Black Friday 2015 (27 novembre), deux semaines après les attaques terroristes de Paris, battant ainsi le record de 177 000 demandes survenues quelques jours après la tragique fusillade de l'école élémentaire Sandy Hook, où 28 personnes, dont 20 enfants, tombèrent sous les balles d'un tueur. Que dire de plus?

D'autres entreprises œuvrant dans ce domaine d'affaires empreint de controverse auront toutefois peut-être trouvé une manière audacieuse d'entourer leurs activités d'une aura de bon goût. C'est le cas de l'entreprise familiale italienne Beretta. Fondée en 1526, il y a donc près de cinq siècles, l'entreprise ne vend évidemment plus les arquebuses qui sont à l'origine de son activité, mais continue toujours de manufacturer les armes de poing qui ont fait sa renommée, de même que des armes dites sportives, qui constituent 75 % des quelque 450 millions de revenus annuels de l'entreprise. Toutefois, Beretta tire également une part intéressante de ses entrées d'argent du luxe, puisqu'elle propose, à l'instar de certains manufacturiers automobile, une gamme diversifiée de produits haut de gamme dans ses boutiques de Paris, de Londres, de New York, de Milan, de Dallas, de Memphis et de Buenos Aires, la capitale argentine.

Décidément, cette industrie n'en est pas à un paradoxe près...