Au-delà de l'information quotidienne, il est instructif de regarder l'évolution à long terme des composantes de la société. Cela permet de déceler différents problèmes d'adaptation aux transformations qui ont cours.

Trois graphiques tracent pour de longues périodes l'évolution sectorielle des emplois au Canada. Le graphique 1 rappelle qu'en 1881 près d'un employé sur deux se retrouvait dans le secteur de l'agriculture contre 1,6 % aujourd'hui.

Qu'en est-il du secteur de la fabrication depuis un demi-siècle ? Le graphique 2 montre une nette tendance à la baisse de la proportion des travailleurs salariés dans ce secteur : au milieu des années soixante, le secteur de la transformation représentait 28 % de tous les employés rémunérés contre 9 % en 2016.

Le troisième graphique sur l'importance croissante des emplois dans les services reflète les deux précédents. En 1961, les 1,8 million d'employés salariés dans les industries productrices de biens représentaient 37 % de tous les employés contre 2,8 millions et une part de 18 % en 2016. Dans les industries productrices de services, on comptait 2,9 millions d'employés salariés en 1961, ce qui représentait 63 % de tous les employés. En 2016, le nombre de 12,8 millions donnait une part de 82 % des emplois salariés. l’évolution sectorielle des emplois au Canada  

Un point mérite d'être noté : la baisse de la part de l'emploi dans les secteurs des biens ne découlent pas du manque de dynamisme de ces secteurs mais plutôt d'une croissance de la productivité par travailleur plus élevée que dans les services en général grâce à un recours étendu à la machinerie et l'équipement.


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La fixité territoriale

Les trois graphiques illustrent l'importance des ajustements structurels que la société doit affronter. Ces changements entraînent des coûts que les personnes concernées désirent minimiser en demandant des politiques industrielles régionales. Elles privilégient une fixité territoriale.

L'économiste québécois Christopher Green a analysé le phénomène avec le point de départ suivant :

(…) la richesse des ménages s'est accrue substantiellement et ceci à tous les niveaux de revenu au cours des récentes décennies. Cette richesse prend différentes formes. Elle s'incarne particulièrement dans une propriété généralisée des résidences, la participation dans des plans de pension, un investissement accru dans des habiletés individuelles et de formation, des droits de quasi-propriété sur les emplois conférés par les clauses de séniorité ou de permanence et enfin en une valeur accrue attribuée aux aménités locales et à l'environnement par un public de plus en plus consommateur de loisirs et conscient de sa santé. (Green, 1984 : 32)

Les fixités ou les immobilités entraînent peu d'ajustements par les quantités, mais davantage par les prix. C'est bien le cas de l'évolution des prix des maisons dans les centres en contraction. Elles perdent rapidement leur valeur avec la perte des emplois.

De plus, comme les emplois dans les secteurs des ressources naturelles impliquent habituellement des rémunérations relativement élevées, les gens ne veulent pas quitter les régions même si l'emploi de ces secteurs est à la baisse. C'est le phénomène du rentier encombrant.


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Les conséquences des fixités

Que conclut Green sur les conséquences de ces fixités?

(…) le changement économique est un processus continu qui, même dans les meilleures circonstances, produit des perdants. Vu les institutions politiques démocratiques et une société pluraliste, les perdants, réels ou potentiels, vont vraisemblablement recourir au voice face au changement économique défavorable. L'hypothèse implicite des économistes voulant que la mobilité soit la réponse au changement est trop limitative, en particulier sur la question de la mobilité géographique du travail. Les agents économiques qui désirent maximiser leur bien-être peuvent s'enraciner dans leur ville au lieu de se mouvoir, face à des changements économiques qui demandent une réaffectation des ressources. L'hypothèse des fixités aide à comprendre la cause : les pertes de capital sur les actifs immobiles ou non transférables peuvent rendre temporairement non économique pour eux l'option de déménager, même si le rendement sur d'autres actifs, humains ou non, serait plus élevé ailleurs. Le recours aux manifestations vociférantes est la seule méthode apparente pour prévenir ou alléger cette impasse. (p. 56)

L'expression de la « voix » régionale est facilitée au Québec par la présence d'une carte électorale favorable aux territoires moins densément peuplés et d'un électorat non francophone sensiblement stable dans ses choix entre les partis politiques.