La crise actuelle ne serait-elle pas un moyen d’accélérer la transformation culturelle de nos organisations? Et même de notre société?

Avec toutes nos bonnes intentions, le risque probable à la sortie de crise sera de vouloir réparer, d’améliorer tout ce qui ne fonctionnait pas, et de mettre en place un autre système.

Mais adopter la posture de l’amélioration continue équivaudrait à faire preuve d’aveuglement ou à manquer de courage. Car il faut l’admettre, ce sont les effets des retombées des décisions que nous avons prises jusqu’ici que nous commençons à percevoir. Et ces décisions, nous les avons prises, consciemment ou pas, à partir de nos valeurs et croyances. C’est donc sur elles que reposent les motivations sous-jacentes des stratégies des individus et des organisations.

Cette catastrophe et ce confinement agissent comme des révélateurs. Mais après… Que ferons-nous différemment? Lorsque le choc sera chose du passé, les embouteillages seront-ils de retour? La solidarité s’effritera-t-elle? Les jeux politiques et la compétition reprendront-ils au sein des comités de direction? Pourrions-nous en décider autrement?

Nous pouvons tirer de précieux enseignements de la crise

Les leaders d’aujourd’hui sont, selon nous, appelés à vivre la tension entre le connu et l’inconnu. Ils devront être capables de rester dans cet inconfort, voire dans l’adversité et le chaos, s’ils veulent du changement. Nous croyons que la percée sera possible pour ceux qui élargiront leur champ de conscience, et qui percevront des options encore invisibles aux yeux des autres.

Nous voudrons tous tirer un enseignement de cette expérience hors du commun et changer les choses. Mais jusqu’à quel point oserons-nous requestionner notre gestion d’entreprise et notre leadership? Quelle sera l’assise de nos valeurs d’entreprise? Sommes-nous vraiment prêts à reconsidérer le « monde des affaires »? À quoi voulons-nous vraiment contribuer? Que faudra-t-il confronter pour y arriver?

Être et agir au cœur de cette transformation culturelle inédite

Notre conviction profonde est que la réinvention des leaders et de leur organisation doit se réaliser simultanément, car la transformation sera à la hauteur du leader qui l’insuffle. Cependant, ce qui nous a menés jusqu’à aujourd’hui ne sera pas suffisant pour relever ce défi de société.

Nous sommes toutefois convaincus que nous vivons une occasion extraordinaire de revisiter nos fondements et de prendre une nouvelle direction.

Il faut à tout prix éviter de mettre les initiatives de transformation culturelle « sur pause ». Au contraire, c’est le moment de nous mettre en action comme leaders, et d’accélérer les initiatives sur ce riche terrain d’expérimentation qui est actuellement le nôtre.

Pour réussir la transformation, il faut savoir qu’un phénomène se fera sentir, que nous le voulions ou non. C’est l’homéostasie, cette force qui cherchera à maintenir la stabilité du système. Autrement dit, pour que tout demeure comme avant. L’identité et le devenir de l’organisation doivent alors être au cœur de cette réflexion.

Comme leader et comme organisation, il est nécessaire de se « voir aller ». Ce qui nous amènera à développer notre capacité à être conscient de soi dans l’action, afin de rester cohérent avec soi-même et les autres.

 Voici quelques idées de pratiques concrètes pour accélérer la transformation tout en maintenant ce fragile équilibre :

1) Monter au « balcon » pour évoluer individuellement et collectivement

 Demandez à un membre de l’équipe de sortir momentanément des discussions de contenu pendant vos réunions afin de prendre soin de la manière dont vous travaillez ensemble. Il aura pour mission d’observer la dynamique et les configurations d’équipe, puis de partager ces observations, qui pourront servir d’apprentissage immédiat pour faire mieux et autrement les prochaines fois. Par exemple, le non verbal et le non-dit semblent-ils être un signe de résistance? Inviter explicitement l’équipe à s’exprimer pourrait être un levier afin qu’elle ait la vraie conversation dont elle a besoin.

Invitez ponctuellement un méta1 à vos comités de direction. Accepter d’être « vu » dans sa dynamique d’équipe et dans l’exercice de son leadership n’est pas confortable au début. Or, pour évoluer, vous devez d’abord prendre conscience de la façon dont vous pensez et opérez. Ce gardien de processus est également nécessaire pour développer et maintenir un état d’éveil constant face à un environnement chaotique où les angles morts sont nombreux, et où les signaux faibles et inaudibles sont riches en enseignement.

2) Créer des espaces de dialogues collectifs pour élargir sa vision du monde et faire des choix plus éclairés

Créez des groupes de 10 à 40 personnes aux profils variés. Le dialogue n’est pas une discussion. Ces groupes ne visent pas la recherche de solution ou de consensus. Ce mode de communication permet de coconstruire un sens nouveau face à une question qui vous préoccupe ou qui, initialement, vous divise2. C’est un exercice de prise de parole et d’écoute profonde visant à faire émerger vos façons de penser et à entrer en contact avec vos valeurs, présuppositions et sentiments. Pour passer d’un système d’ignorance à un système d’intelligence collective, vous devez vous ouvrir à la diversité d’opinions, d’expériences, de croyances et d’options possibles.

Accompagnez-vous entre leaders pour faire évoluer votre posture et les pratiques de travail collectives. Le codéveloppement et le cocoaching sont de bons moyens pour apprendre collectivement en partageant les situations à forts enjeux vécues, en osant vous dire comment vous vous percevez et percevez l’autre, en explorant les angles morts individuels et collectifs et en imaginant de nouvelles solutions. Un tel groupe favorise le développement d’un fort sentiment de confiance entre pairs ainsi que le transfert d’apprentissage à une plus grande collectivité.

3) Instaurer une culture d’apprentissage organisationnelle

Cocréez une murale « vivante » virtuelle, permet de laisser émerger et de garder une trace de ce qui se vit et évolue dans l’organisation. Le but est d’utiliser les expériences vécues et devenues conscientes pour apprendre dans l’action. Cet instrument, complété par les employés de tout niveau et de toute fonction, aide à nourrir les liens entre chacun d’eux, à faire apparaître la diversité et la richesse des idées et les émotions vécues, les prototypages réalisés et les pratiques émergentes. Exploité efficacement, ce processus pour apprendre à apprendre peut devenir une clé permanente de transformation organisationnelle.

Facilitez un exercice de réflexion afin de réinventer un nouvel équilibre dans cette phase de transformation. Des exercices comme « je conserve, j’arrête, je développe » sont bien connus des gestionnaires et sont pertinents ici. Toutefois, ces questions ne suffisent pas pour atteindre un nouvel équilibre. De plus, les options déterminantes choisies – ce qu’on devrait cesser ou commencer à faire – devront être « mesurées » afin de maintenir un équilibre tout en restant en mouvement.

Comment allons-nous trouver un nouvel équilibre? Une chose est sûre : il sera impossible de le faire en silo, en reprenant les vieux schémas et modes de fonctionnement du passé. Nous sommes bel et bien dans une transformation culturelle. C’est collectivement que nous pourrons dégager des réponses plus adaptées à la pensée globale et à la complexité grandissante de notre monde.

La relance des activités se fait présentement au Québec et la pression monte un peu partout dans le monde pour retourner au travail. Que pourrions-nous oser maintenant, dans nos organisations et dans notre société, qui ferait vraiment une différence?

Et ce, au-delà d’un tiède bilan sur notre capacité à gérer une crise?


Notes

1 Le terme « méta » est largement utilisé dans le domaine du coaching. L’expression « méta » suggère de poser son attention sur quelque chose (par exemple, « métacommuniquer » veut dire « communiquer sur la communication ») et de refléter les observations afin d’aider à optimiser une manière d’être ou de faire.

2À lire si le dialogue vous intéresse : Vivre en dialogue à l’ère du texto, par Marie-Ève Marchand, Docteure en éducation des adultes et spécialiste du dialogue dans les organisations. Presses de l’Université Laval, 2019, p.  6 et 24.