Plusieurs adhéreraient à cette idée : la confiance est un pilier du bon fonctionnement des équipes. Elle contribuerait au bien-être et à la performance de l’organisation. Une chose est certaine, elle facilite et appuie harmonieusement les rapports interpersonnels. Et peut s’avérer, disons-le, un pari risqué. Êtes-vous partants?

La confiance n’est pas à sens unique. C’est, d’emblée, le premier élément que mentionne Isabelle Lord, présidente de Lord Communication managériale, conférencière et autrice. «La confiance nécessite la volonté de deux parties où chacune doit s’impliquer. C’est une responsabilité partagée.»

Toujours selon cette gestionnaire d’expérience, la confiance est également une boucle d’apprentissage. Elle se vit au quotidien, se construit sur la réputation et profite de l’humour, de l’autodérision, d’une bonne capacité d’interaction et d’introspection. Surtout, la confiance doit laisser place à l’autre. «Un patron qui vous souffle toujours dans le cou, ça mine la confiance. En ce sens, l’expérience de la pandémie a permis au télétravail de se révéler : on a appris à se faire confiance. L’employeur a pu constater que ses employés pouvaient être performants sans être physiquement tout près, qu’ils sont compétents et créatifs, même à distance. Chacun a un rôle à jouer pour que le télétravail soit un succès et perdure», explique-t-elle.

Parce qu’on s’en doute, le chemin de la confiance est parsemé d’obstacles. «Il y a tellement de freins à la confiance! Ne pas être clair, changer d’idée constamment, être imprévisible. Mais le premier piège, je crois, c’est de ne pas reconnaître que tu ne fais pas confiance», juge Isabelle Lord. Le second est certainement de ne pas laisser place à l’erreur. Le droit à l’errance s’inscrit comme une marge de manœuvre essentielle. Finalement, il est important de se rappeler que les choses ne sont pas immuables : ne pas prendre en considération l’évolution constante de son environnement est un autre frein.  Autant d’éléments à considérer pour enraciner une relation de confiance dans la durée.

Série Confiance

Trois ingrédients pour un liant solide

Pour Ruchi Sinha, professeure agrégée à l’Organizational Behaviour de l’Université d’Australie du Sud, conférencière TED, spécialiste du comportement organisationnel particulièrement intéressée au phénomène de la confiance, celle-ci n’est pas simple à construire. Elle se développe lentement entre celui qui doit l’inspirer (le trustee) et celui qui accepte de faire confiance (le trustor). «De manière générale, nous tenons pour acquis que la confiance entre le trustee et le trustor est symétrique. Mais elle peut être asymétrique dans nombre de situations, alors qu’une des deux parties s’abandonne davantage que l’autre. Aussi, faire confiance signifie que nous acceptons de nous rendre vulnérables en accordant notre confiance à l’autre, parce que nos croyances à son égard sont favorables», précise l’experte. La question suivante est donc : sur quoi base-t-on cette fiabilité?

Comme le souligne la spécialiste, on juge l’autre digne de confiance de deux manières. D’abord, la voie rationnelle prend note de tous ces comportements qui démontrent les compétences d’un individu, notamment professionnelles, lui permettant de réaliser ce envers quoi il s’est engagé. La seconde, la voie émotionnelle, met en lumière l’intégrité (cette personne est-elle honnête, juste, quelles sont ses valeurs morales?) et la bienveillance (cette personne est-elle sensible au bien-être d’autrui, fait-elle montre d’empathie?). Ces trois ingrédients – compétence, intégrité et bienveillance – permettent d’inspirer et de bâtir la confiance.

Ici, ajoute Ruchi Sinha, tout est question de calibrage. «Trouver la stabilité entre méfiance et excès de confiance est un équilibre délicat entre une propension exagérée à vérifier et amasser les évidences de fiabilité et celle de donner sa confiance aveugle jusqu’à ce que la personne jugée digne de l’être nous démontre qu’elle ne la méritait pas.» Il faut aussi se donner le temps. L’excès de confiance peut ainsi survenir lorsque nous déterminons trop tôt, dans une relation, la fiabilité de quelqu’un et la tenons pour acquise. Il y a alors danger de négliger certains signaux d’alarme, alors que nous nous accrochons à nos croyances et nos perceptions. Relations, contextes, environnements : rien n’est statique.

Une inévitable prise de risque

Il existe toutefois un écueil potentiel inhérent à accorder sa confiance à autrui. «Dans la définition de la confiance, il y a un mot clé : risque», explique Marie-Christine Albert, maître d’enseignement au Département de management de HEC Montréal et consultante en pratique privée. «Quand je donne ma confiance à quelqu’un, j’accepte de me montrer vulnérable, je me dévoile. C’est une prise de risque. L’hypothèse que je fais, c’est que ce sera à mon bénéfice, ce sera profitable d’une manière ou d’une autre. Faire confiance, c’est accepter une dépendance commune, tout particulièrement dans un contexte professionnel où l’on doit accomplir quelque chose.»

Sa collègue, Corinne Prost, spécialiste en développement de talents, fondatrice de CAP formation et chargée de cours à HEC Montréal, renchérit : «La confiance est un réel lubrifiant pour nos interactions sociales et l’ingrédient de base à la collaboration. Cependant, c’est une continuelle gestion de risques : de quelle manière j’évalue que mon interlocuteur va, ou non, utiliser ce que je lui révèle contre moi?» C’est tout un univers de perceptions où il importe de mettre en place des mécanismes permettant d’aligner les croyances communes, de construire la confiance et de la réparer, si possible, lorsqu’il y a lieu.

Nous vivons dans un monde complexe où l’interdépendance est inévitable. «C’est important d’instaurer un climat et une culture d’entreprise qui valorisent la collaboration, qui démontrent la nécessité de travailler ensemble. En fin de compte, mon succès, c’est ton succès, c’est notre succès», observe Marie-Christine Albert. Pour en arriver à une collaboration fluide, il importe de ne pas confondre ce qui permet de construire la confiance et ce qu’elle favorise une fois bien installée. «On aura par exemple tendance à dire à ses équipes de communiquer l’information, ce qui témoigne qu’on se fait déjà confiance. La confiance doit déjà être bâtie pour que la collaboration s’installe», précise Corinne Prost. Tout est là, en effet : réussir à enraciner la confiance.