Parce qu’il mêle les rapports familiaux et les relations d’affaires, le repreneuriat familial n’est pas un long fleuve tranquille. La communication représente un outil essentiel pour mener ce projet à bon port.

Marc-Alexandre Barbe a intégré en 2015 l’entreprise Planisource, une firme de planification destinée aux entrepreneurs, fondée par son père Réginald cinq ans plus tôt. Dès le départ, les deux ont eu à discuter pour aligner leur vision d’affaires à moyen terme.

«Ce n’est pas nécessairement facile, parce que dans toute famille il y a une relation d’autorité entre les parents et les enfants, reconnaît-il. C’est un défi pour le cédant d’apprendre à déléguer du contrôle et pour le repreneur de commencer à prendre sa place.»

Le modèle d’affaires a évolué depuis l’arrivée en poste de Marc-Alexandre Barbe. Depuis 2020, par l’entremise de Planisource Conseils, elle propose des mandats de planification financière à honoraires et des services d’accompagnement pour l’ensemble des membres de la famille d’un entrepreneur. L’objectif étant de faciliter les transitions de propriétés familiales, notamment les transferts d’entreprises, par un accompagnement indépendant, objectif et centré sur l’humain.

«C’est un modèle qui reste assez novateur dans une industrie plutôt basée sur la rémunération par commission, avance Marc-Alexandre Barbe. Encore là, nous devions accorder nos visions pour prendre ce virage.»

Savoir se parler

Cette période de cogestion entre le cédant et le repreneur constitue l’un des nombreux défis du repreneuriat familial, selon Laurence Bozec, conseillère, relève entrepreneuriale et transfert d’entreprise à SynerAction Relève. «C’est une étape qui peut s’étirer parfois jusqu’à 10 ans et plus, et que l’on surnomme la zone de turbulence, explique-t-elle. C’est un moment où il y a plusieurs mains sur le volant, ce qui peut entraîner de la confusion et des frustrations.»

Pour éviter les écueils dans cette mer agitée, elle suggère de prendre le temps de bien clarifier les éléments importants. Qui porte la vision de l’entreprise? Jusqu’à quand? Qui est responsable de quoi? Qui fait quoi? 

Ces entretiens peuvent se compliquer si les membres de la famille ne distinguent pas bien entre leurs différents rôles. «On recense généralement trois systèmes dans une entreprise : ceux des individus, de l’entreprise, et des propriétaires, précise Laurence Bozec. Or, pour une entreprise familiale, on doit inclure celui de la famille, ce qui ajoute un niveau de complexité.»

Les relations familiales sont fondamentalement émotionnelles et cela affecte les échanges entre les membres d’une famille au sujet de l’entreprise. Les membres d’une famille peinent parfois à mener des discussions franches, par crainte de blesser ou de décevoir les autres. «Il faut comprendre que l’on ne s’adresse pas à son père, à sa fille ou à sa cousine, mais au PDG, à la responsable de la production, aux propriétaires, etc.», indique Laurence Bozec.

On doit affronter plusieurs craintes, notamment celles du cédant devant la perspective de son départ et son besoin de savoir ce qu’il fera après. On doit bâtir la confiance envers le repreneur, dont le cédant ne perçoit pas toujours correctement les compétences. La relève doit elle aussi apprendre à faire sa place.

«Les défis de communication sont amplifiés parce que les personnes portent différents chapeaux, comme membres de la famille, propriétaires ou opérateurs, ajoute Valérie Gilbert, directrice principale – services de Groupe Gilbert, une entreprise fondée en 1957. On doit avoir les bonnes conversations aux moments propices.»

On ne commence jamais trop tôt

On reproche souvent aux entrepreneurs de trop tarder avant de préparer le transfert de leur entreprise. Le prix à payer pour les procrastinateurs est encore plus élevé dans le cas des reprises familiales.

«On doit commencer à y réfléchir dix ou quinze ans à l’avance, pour identifier les personnes qui feront partie du transfert, leur permettre d’acquérir les compétences nécessaires, de découvrir l’entreprise de l’intérieur et d’y asseoir leur légitimité», estime Audrey-Anne Cyr, professeure adjointe au Département d’entrepreneuriat et innovation de HEC Montréal.

Marc-Alexandre Barbe l’admet lui-même : lorsqu’il a intégré la firme de son père en 2015, il savait qu’il avait des croûtes à manger avant de la diriger. «L’entrepreneur a construit son entreprise au fil des années et franchit plusieurs étapes pour devenir le dirigeant qu’il est, donc le repreneur doit lui aussi avoir le temps de se développer», avance-t-il. Entre 2015 et 2024, il a complété des formations identifiées au départ pour acquérir des compétences supplémentaires, en plus de prendre de l’expérience en œuvrant au sein de la firme.

Miser sur un bon soutien

Dans un tel contexte, l’accompagnement peut jouer un rôle crucial pour favoriser le succès de la démarche. De manière générale, on trouve assez aisément de l’accompagnement pour l’aspect transactionnel. Ce ne sont pas les avocats d’affaires, comptables et fiscalistes qui manquent!

«Cependant, le repreneuriat familial représente beaucoup plus que juste une transaction, prévient Audrey-Anne Cyr. C’est multidimensionnel et cela met en jeu des dynamiques familiales parfois complexes. Les professionnels ne sont pas tous bien formés pour offrir de l’accompagnement sur ces aspects.»

Les familles en affaires bénéficieraient de pouvoir trouver des ressources de soutien bien formées sur cette forme particulière de repreneuriat. Cela passe notamment par une plus grande collaboration entre les professionnels et la communauté de recherche qui s’intéresse à cette question.

On peut tout de même déjà trouver des ressources en regardant du côté de l’organisme Famille en affaires. La Chaire sur la relève et sur l’entreprise familiale de HEC Montréal, dirigée par Isabelle Le Breton-Miller, propose aussi le site Internet Du rêve à la relève, qui fournit des outils de réflexions aux cédants et aux repreneurs. «On doit également sensibiliser les cédants et les repreneurs quant à l’importance de se faire accompagner, car beaucoup se montrent encore réticents à le faire», estime Audrey-Anne Cyr.

Malgré les défis qu’il comporte, le repreneuriat familial représente une expérience qui peut s’avérer très enrichissante. «De façon générale, le lien familial constitue une grande force qui augmente la résilience de l’entreprise et de ses dirigeants, affirme Valérie Gilbert. Les propriétaires d’entreprises familiales qui parviennent à un bon équilibre entre les aspects familiaux et d’affaires en sortent plus unis sur tous les plans.»