Article publié dans l'édition été 2015 de Gestion

Profanes ou experts, l’on doit tous se faire une tête sur l’intelligence artificielle (IA) qui risque de complètement transformer nos vies, la société et l’humanité tout entière (rien de moins !) et qui pourrait faire son arrivée plus rapidement que l’on pense.

anne darche

Anne Darche, spécialiste des tendances de consommation et administratrice de sociétés

Pourquoi entend-on tellement parler de cette discipline scientifique depuis un certain temps ? La machine aussi intelligente que l’humain, c’est pour quand ? Serons-nous entourés de R2-D2 et de Chappie à la maison et au bureau ? Comment allons-nous vivre cette cohabitation ?

Voici quelques bribes de connaissance sur l’IA dont je vous fais part en tant que néophyte dans ce domaine, mais observatrice assidue des tendances émergentes. Et pour me couvrir face à ce sujet complexe qui évolue constamment, j’emprunte cette phrase à Marshall McLuhan, prophète de l’âge électronique : « Je ne suis pas nécessairement d’accord avec tout ce que je dis. » Me voilà mieux protégée.

1 - L’intelligence artificielle fait de nouveau beaucoup parler d’elle, pourquoi ?

  • Les avancées technologiques récentes, la chute des coûts et l’énorme quantité de données maintenant disponible (nourriture divine pour les ordinateurs dotés de fonctions d’apprentissage machine) font miroiter un Klondike IA et robotique imminent ;
  • Les Google, Microsoft, Facebook, Amazon et Alibaba investissent à qui mieux mieux dans les entreprises en démarrage (start-up) du domaine ;
  • Hollywood, jamais en reste, surfe sur le zeitgeist avec des films comme Her et Chappie ;
  • Stephen Hawking, Elon Musk et Bill Gates, des types drôlement informés et crédibles, ont tous trois sonné l’alarme sur les dangers potentiels de l’intelligence artificielle, suggérant ainsi son arrivée prochaine ;
  • Des organisations telles que The Future of Life Institute sont mises sur pied pour catalyser la recherche et éveiller l’opinion publique quant aux occasions et aux défis liés au développement de l’IA.

Bref, ça brasse.

2 - Le QI des machines

Nous sommes depuis longtemps entourés de machines très habiles qui solutionnent des problèmes spécifiques, qui font fonctionner des systèmes industriels, pilotent des avions commerciaux, nous disent quoi visionner et quoi acheter, qui jouent à Cupidon… Ces intelligences artificielles dites étroites ou faibles excellent à tirer le maximum des données disponibles grâce à des algorithmes complexes. Ces machines, quoique impressionnantes, sont davantage futées que vraiment intelligentes.

Le Saint Graal, c’est l’intelligence artificielle générale ou forte. Des machines qui pourraient accomplir n’importe quelle tâche intellectuelle aussi bien ou encore mieux que les humains. Ces machines seraient conscientes, percevraient, comprendraient, raisonneraient et apprendraient par elles-mêmes.


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3 - C’est pour quand ces machines Mensa ?

Les experts ne s’entendent pas sur ce point. Quelques-uns, dont Ray Kurzweil, cofondateur de l’Université Singularity et maintenant chez Google, affirment que l’intelligence artificielle, c’est pour très bientôt, dans aussi peu que 14 ans ! Bill Gates dit de ce génie excentrique qu’il est la personne qui peut le mieux prédire le futur de l’intelligence artificielle. On en prend donc bonne note.

Plusieurs autres experts prévoient que les machines intelligentes seront avec nous dans quelques courtes décennies. D’autres encore ne croient pas que nous verrons des machines intelligentes de notre vivant et parlent plutôt d’un horizon de plus de 100 ans.

L’IA, c’est donc pour 2030, 2050, 2100, ou plus tard. Les joies de la prospective !

Ne prenant pas de risque, l’Université Stanford a lancé un programme de recherche destiné à surveiller l’évolution de l’intelligence artificielle sur les 100 prochaines années. Entièrement financé par Eric et Mary Horvitz (M. Horvitz est directeur de la recherche chez Microsoft), le projet AI100 vise à réaliser de manière périodique et sur le long terme des études pour permettre à l’humanité de garder une trace de l’évolution de l’intelligence artificielle et de comprendre où tout cela nous mène. Comment l’IA influe-t-elle sur l’économie, l’automatisation, la sécurité nationale, la psychologie, la vie privée, la démocratie… ? Stanford nous le dira en 2114.

4 - La nouvelle électricité

N’en déplaise aux amateurs de science-fiction, la plupart des intelligences artificielles ne seront pas très excitantes. Selon Kevin Kelly, cofondateur du magazine Wired, l’intelligence artificielle sera omniprésente, peu coûteuse, utilitaire et ennuyeuse comme l’est l’électricité aujourd’hui (désolée Hydro-Québec). Tout ce que nous avons précédemment électrifié, nous allons dorénavant le rendre conscient, perceptif. Tout objet, produit ou service peut être renouvelé, amélioré avec un supplément de QI. Selon M. Kelly, les plans d’affaires des 10 000 prochaines start-up sont faciles à imaginer : prenez X et ajoutez IA.

Cela dit, le marché ne va jamais dans une seule direction. Alors que la majorité des intelligences artificielles seront considérées comme acquises, d’autres deviendront extrêmement précieuses en agissant comme nos futurs animaux domestiques, assistants et anges gardiens (tous évidemment plus mignons et attachants les uns que les autres). Et ces descendants des Rosie le robot, R2-D2, C-3PO, Wall-E et Chappie nous connaîtront mieux que nous nous connaissons nous-mêmes.

5 - Comment les humains accueilleront-ils les machines intelligentes ?

On peut s’attendre à une gamme de réactions, allant de l’opposition agressive à un enthousiasme débridé. À une extrémité, les néo-luddites (verrons-nous le retour des briseurs de machines ?) ; à l’autre, les transhumanistes qui trépignent d’envie de fusionner avec la machine.

Mais pour la plupart des gens, selon Joi Ito, directeur du MIT Media Lab, la cohabitation humain-machine sera davantage une relation yin-yang où l’humain profitera de l’efficacité de la machine et la machine bénéficiera de l’intelligence émotive un peu brouillonne de l’humain. Imaginons un duo M. Spock-capitaine Kirk.


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6 - Que pensez-vous des machines qui pensent ?

Depuis que l’on nage dans les réponses (merci Internet), poser la bonne question, au bon moment, est devenu un art prisé. Nul ne le maîtrise mieux que Edge.org. Tous les ans depuis 1998, cette publication, dite « la plus intelligente du Web », pose une « question qui tue » à une flopée de grands penseurs et faiseurs de l’époque.

« What do you think about machines that think ? » est la question 2015 de Edge.org et de son brillant éditeur, John Brockman. Plus de 180 scientifiques, auteurs, artistes, philosophes et autres membres de l’intelligentsia de l’heure ont été invités à se prononcer sur l’émergence et la désirabilité de l’intelligence artificielle. La grande variété d’opinions illustre à quel point nous sommes loin d’un consensus au sujet du bien-fondé (et même de l’éventualité) de compter des machines intelligentes parmi nous. La cohabitation avec cette nouvelle espèce posera-t-elle de nouveaux dilemmes éthiques ? Les machines auront-elles des droits, seront-elles tenues responsables de leurs actes ? Quels seront les rôles respectifs de la machine et de l’humain dans la société ? Quel sera l’impact sur le monde du travail ?… Les questions, préoccupations et espoirs ne manquent pas.

Pour ma part, comme le disait l’inventeur, homme d’affaires et grand apôtre du progrès Charles Kettering : « Je m’intéresse à l’avenir parce que c’est là où je vais passer le reste de ma vie. » Et mon avenir, j’en suis persuadée, comprendra au moins une machine intelligente copine avec laquelle j’ai très hâte d’échanger et de collaborer. Capitaine Kirk cherche son M. Spock.

Et vous, que pensez-vous des machines qui pensent ?