Il y a quelques semaines, dans le cadre d’une Learning Expedition à Paris, nous avons eu le privilège d’être reçus par des directeurs et responsables de fonctions liés à l’ambitieuse transformation menée par La Française des Jeux, l’équivalent de Loto-Québec en France. Une rencontre où nos hôtes nous ont parlé à livre ouvert de leur stratégie, de leurs approches et de leur méthodologie. Inspirant. 

« Les dés ne sont pas jetés », pourrait-on entendre dans les bureaux de la Française des Jeux (FDJ). Car bien qu’elle navigue confortablement dans un marché de quasi-monopole, l’entreprise publique (équivalent français de Loto-Québec) a décidé de les brasser jusqu’à ce que son objectif de transformation et son plan stratégique soient concrètement réalisés.

Une décision au départ étonnante : la FDJ est un quasi-monopole

La grande majorité des entreprises qui entreprennent une transformation majeure le font soit pour réagir à une situation qui les menace, soit pour se préparer à cette éventualité. La Française des Jeux fait exception ! Elle est en situation de monopole pour ce qui est des jeux aux points de vente (billets de loterie, billets à gratter), et son seul concurrent est le jeu en ligne. Rien qui puisse sonner l’alarme et nécessiter une transformation, si ce n’est la crainte que l’entreprise s’endorme, devienne « ringarde » et voit sa clientèle délaisser le jeu faute de stimulation. Car le jeu, c’est avant tout le rêve.

Forte de cette situation de quasi-monopole, la direction a pu entreprendre sa transformation dans un contexte enviable : celui où l’urgence fait place au volontariat. De là, il fut convenu dès le départ qu’elle ne se lancerait pas sans d’abord rencontrer des entreprises et des organisations ayant vécu ou étant en processus de transformation, de manière à « apprendre » des différentes expériences. Le privilège que nous avons eu de pouvoir être reçus aussi généreusement tient précisément au fait que la FDJ n’hésite pas à partager ses expériences. Donner au suivant lui est tout naturel : quand on apprend des autres, on apprend ensuite aux autres. Pour illustrer ce propos, ils nous citent d’ailleurs une célèbre formule de R. W. Emerson : « Nos meilleures idées viennent des autres ».

Viser haut, mais sans précipitation

D’entrée de jeu, nous avons pu constater que la volonté initiale de la FDJ est en droite ligne avec le propos que nous tenions lors de notre dernier article : à la différence d’un simple changement, le projet consiste en une profonde transformation de l’organisation. Transformation, donc, et non simple changement.


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La stratégie adoptée par la FDJ est centrée sur l’Expérience Client & Collaborateur, le client étant le joueur et le collaborateur étant aussi bien l’employé de l’organisation que la personne qui travaille au comptoir de l’un des lieux de distribution des produits (bars, bureaux de tabac, etc.). Une stratégie déployée par la mise en place de trois leviers d’innovation puissants : une AZAP (Accelerated Zone for Accelerated Project), une Direction Client équipée d’un Studio Client et une Direction de la Transformation et de l’Expérience employé. Nous parlerons ici des deux premiers et nous réserverons le troisième pour le deuxième article consacré à l’expérience de la FDJ.

Un espace AZAP pour accélérer les projets transversaux

Bien que la FDJ ait décidé que sa transformation se ferait « petit à petit », elle a mis en place un levier d’innovation AZAP inspiré de la méthodologie ASE (Accelerated Solutions Environment) de Capgemini pour soutenir et accélérer ses ambitions. Créé de toute pièce, il s’agit d’un espace d’innovation au sein même de l’entreprise visant à faciliter et accélérer la prise de décision, l’alignement et la mise en œuvre de projets.

Il faut imaginer un lieu spécialement aménagé pour incarner la transformation et il est exclusivement dédié à cette mission. On ne s’y rend que pour travailler sur des problématiques de changement et d’innovation. Il permet entre autres de participer à des sessions collaboratives axées sur l’identification d’une solution à un problème, de s’approprier une pratique (comme le design thinking), ou de cadrer un projet, et ce, toujours dans une dynamique de transversalité. Interdiction formelle d’y tenir des fêtes d’employés ou des rencontres d’équipes sans lien avec la transformation. Ce lieu, presque « sacré », est physiquement et psychologiquement associé au projet de transformation. Trois personnes en forment le noyau : un responsable, un gestionnaire de projet et une coordonnatrice, noyau lié à un collectif de designers externes qui travaille en mode « co-design it ».


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Une Direction Client équipée d’un Studio Client

L’Expérience Client étant au cœur de sa transformation, la FDJ a créé une Direction Client centralisée qui, dans l’organigramme, relève des RH. Pourquoi les RH ? Parce qu’il appartient à cette fonction de veiller à ce que tous les métiers en présence travaillent ensemble autour des quatre axes de valorisation de l’expérience client sur lesquels l’organisation a décidé de travailler : l’identification des tendances de demain, l’échange avec l’écosystème, l’expérimentation de solutions innovantes et le développement de nouveaux modes de coopération permettant de rejoindre la clientèle non captée.

Cette Direction client travaille dans un espace dédié : le Studio Client (créé au sein de l’espace AZAP dont nous parlions plus haut). Un studio dans lequel on retrouve la reconstitution d’un point de vente. Ici encore, il s’agit de créer en interne l’environnement le plus représentatif du terrain de manière à ce qu’ils en soient continuellement imprégnés, qu’ils puissent expérimenter leurs idées et développer des solutions pertinentes. En parallèle, l’équipe se rend également très régulièrement dans les points de vente pour pouvoir analyser tous les gestes, tous les comportements et tous les propos de leurs consommateurs. Mais cela leur donne aussi l’occasion d’échanger avec les collaborateurs qui sont en contact direct avec cette clientèle.

Une direction entièrement dédiée à la transformation

La Direction de la Transformation et de l’Expérience employé a pour mandat de transformer les pratiques quotidiennes de toutes les forces vives de l’organisation, quelle que soit leur spécialité. Le postulat de départ est le suivant : aucune transformation ne saurait se concrétiser si l’environnement et les pratiques internes ne se transforment pas eux-mêmes. « Si vous voulez changer les choses, faites bouger les pratiques des gens ! ». De là, cette Direction se préoccupe autant de l’aménagement physique des bureaux que de l’implantation de nouveaux outils de travail collaboratif. Une mission de plus en plus distincte et indépendante de la fonction IT dont l’arsenal est principalement concentré sur l’aspect purement informatique de ses activités.

Une transformation « kidnappée » par les RH ?

Ce qui frappe entre autres, dans ce projet majeur de transformation, c’est que les RH ont graduellement élargi leur fonction traditionnelle pour englober les communications internes, le design de la gouvernance, les dispositifs d’animation collective, le coaching en codéveloppement et en formation managériale… et ce n’est pas fini ! Avec l’aval du Comité de Direction, dont l’appui se confirme si concrètement que lui-même utilise l’AZAP pour prioriser ses investissements. C’est donc dire que si la transformation n’a pas été « kidnappée » par les RH, il reste que les RH y jouent un rôle déterminant en lui imposant son leadership. Nous avons ici une entreprise qui ne fait pas que dire qu’elle place l’humain tout au centre : elle le fait.


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La nécessaire adhésion de la haute direction

Par ailleurs, nos interlocuteurs ont beaucoup insisté sur l’un des éléments déclencheurs du projet, essentiel à ce que tout puisse se mettre en branle : l’adhésion sans réserve de la haute direction au renforcement du management de proximité : « Il faut que cela soit un souhait de la direction générale ! ». En d’autres termes, aucune transformation ne pourrait s’opérer sans que la direction endosse l’idée que toute gestion de type Control & Command chemine rapidement vers une gestion de type Coach & Accompagnateur. L’un des directeurs que nous avons rencontrés est même allé plus loin, nous confiant que le tout premier objectif qu’il s’est donné à son arrivée à la FDJ fut d’identifier le membre de la direction qui serait le défenseur inconditionnel du projet de transformation au sein du comité de direction. Ce qui confirme que l’une des clés de toute transformation, c’est la volonté claire, ferme et assumée de la direction de tenir cette transformation pour une priorité absolue et d’appuyer sans réserve les actions prévues à son plan stratégique.

Une expérience inspirante

L’expérience de la FDJ confirme qu’une véritable transformation n’est pas un changement de costume, mais un changement de paradigme qui part d’une volonté réelle, voire viscérale, et qui se réalise au moyen de décisions fortes, courageuses et bien sûr cohérentes.

Il s’agit d’un exemple franchement inspirant démontrant concrètement qu’une transformation réussie passe par un engagement fort de la haute direction, d’équipes dédiées, d’un investissement dans l’évolution des modes de gestion et donc auprès des gestionnaires, un lieu dédié et enfin, des mécanismes innovants et cohérents au service de cette transformation.