Oubliez les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Laissez Uber et Airbnb tranquilles. Détournez le regard de Silicon Valley un instant. Chassez de votre esprit les citations d’Elon Musk ou de Richard Branson que vous impose LinkedIn quotidiennement. Et si l’innovation n’avait pas que ces soi-disant maîtres à penser? Et si les start-ups et les FailCamp de ce monde n’avaient pas le monopole de l’innovation? Autant de questions auxquelles le panel d’Executive MBA McGill-HEC Montréal, Mosaic et l’École d’été en management de la créativité Montréal-Barcelone ont tenté de répondre le 29 novembre dernier à Montréal. Retour sur cette rencontre.

« L’innovation est un sport collectif, et un sport de contact », lance d’entrée de jeu Laurent Simon, codirecteur de Mosaic HEC, citant le concepteur technique de la Swatch, Elmar Mock. Écorchant le mythe du génie solitaire qui du haut de la montagne attend l’inspiration, le professeur au département d’entrepreneuriat et innovation de HEC Montréal, modérateur de la rencontre pour l’occasion, pense que l’innovation est avant tout un travail collectif contrairement à plusieurs idées reçues.

Pour lui, le dirigeant doit instaurer une culture; il occupe la fonction de « jardinier ». Encore faut-il cependant se nourrir de connaissances pour réussir à susciter de nouvelles idées. Laurent Simon rappelle aussi l’importance de l’ordre dans cet exercice : « L’innovation demeure organisée », se plaît à souligner le chef de Mosaic, un groupe de recherche, transfert et valorisation sur le thème de la gestion et de la création dans la société de l’innovation.

Une autre idée reçue empêche souvent l’innovation de naître d’après lui : la culture du cliché. Qui n’associe pas spontanément l’innovation avec Internet, le numérique, la technologie avancée des mastodontes qui se bombent le torse, des industries culturelles et de leurs créations de masse portant souvent sur les arts de la scène?

« Le travail normal de l’innovation »

L’expression de Peter Drucker, célèbre gourou du management, sied tout à fait au contexte actuel, plaide Laurent Simon. À ce sujet, l’anecdote de Martin Lavoie, vice-président, ventes et marketing, chez Temboard, une division de Tembec, montre bien toute la force de ce travail dit « normal » de l’innovation. Un jour, un client de ce dernier lui demande si Tembec qui œuvre dans les pâtes à papier peut produire un carton plus blanc. Martin Lavoie s’empresse alors d’expliquer à son client que l’entreprise aura besoin de trois à six mois pour parvenir à développer un tel produit.

Coup de théâtre alors dans ses rangs, son directeur technique saisit la balle au bond et parvient à créer le nouveau type de carton en question en moins de trois semaines. Non seulement le succès est immédiat, et les profits sont au rendez-vous, mais le chimiste de l’entreprise qui a trouvé la solution se sent valorisé plus que jamais. Et cet élan de servir de levier à la compagnie entière.

Germain Archambault, président et directeur général du Groupe Lavergne issu de l’industrie du plastique et de l’emballage, estime quant à lui que l’innovation peut être le fruit d’une idée d’apparence banale de prime abord. Réalisant que son entreprise fabrique la résine contenue dans les cartouches d’encre de marque HP, son équipe a l’idée d’inventer une machine inédite pour démanteler les cartouches d’encre périmées. Résultat? Aujourd’hui, 30 % des cartouches d’encre de la planète sont recyclées chez eux. Impossible pour HP de se passer du Groupe Lavergne.

« Pour innover, il faut d’abord dompter le chaos, poursuit avec pragmatisme Germain Archambault du Groupe Lavergne. Il y a souvent du nettoyage à faire. Les forces et les faiblesses de l’organisation doivent être identifiées… » Le PDG ne se gêne pas pour dire que ce sont souvent les gens les plus expérimentés qui peuvent avoir tendance à résister aux changements.

La solution? Dénicher de nouveaux candidats quand le besoin se fait ressentir. Si les personnes en place refusent d’accepter les outils offerts par l’organisation pour progresser, il faut trouver d’autres travailleurs capables d’avancer, plaide-t-il. « Jouer au pompier, c’est bien. Éteindre des feux, c’est bien. Mais s’assurer que le problème ne revienne plus, c’est encore mieux! », partage-t-il avec nous, sourire en coin.

D’où la nécessité de créer un environnement propice à l’ouverture d’esprit, où les gens peuvent s’exprimer, où les remises en question sont non seulement permises, mais encouragées, renchérit Martin Lavoie de Tembec. « L’imprimeur doit aller à l’usine voir ses collègues et vice-versa. L’innovation n’est pas nécessairement l’invention du siècle… elle peut rejaillir d’un tout petit truc », résume-t-il.

Innovation omnisciente

L’innovation n’est toutefois pas l’apanage de nouveaux produits ou de nouvelles machines. « Nous ne fabriquons rien, déclare d’emblée Michèle Meier, vice-présidente, communications, marketing et RSE et Affaires internationales chez Ivanhoé Cambridge. Chez nous, l’innovation est partout. Elle se trouve dans la façon de conclure nos transactions ou encore dans notre programme pour engager nos employés ou même… dans nos communications! » Selon elle, l’innovation se trouve dans l’ADN de l’entreprise, partout, et celle-ci doit être insufflée par une vision claire. Marie-Josée Lareau, fondatrice d’Innove Lab, une compagnie dont l’objectif est de former, d’aider et d’appuyer les dirigeants et leurs équipes pour améliorer notamment leur créativité, privilégie pour sa part « le plaisir ». Mais il faut se méfier du chant des sirènes, prévient-elle, en racontant l’expérience vécue au sein d’une organisation qui avait davantage été marquée par le résultat de la démarche (d’impressionnants hologrammes) que le processus d’apprentissage lui-même, passant ainsi à côté de l’objectif premier.

Manière de voir

« Fonds de pension ne riment pas avec innovation! », lâche en boutade Michèle Meier d’Ivanhoé Cambridge, provoquant les rires dans l’amphithéâtre. « Chez nous, le niveau de marge d’erreur demeure faible… Je peux toutefois vous donner un exemple d’innovation qui nous rend particulièrement fiers », se permet-elle. « Nous transformons en ce moment l’hôtel Reine Elizabeth. Nous souhaitons dépoussiérer ce lieu emblématique pour les Montréalais où John Lennon et Yoko Ono ont séjourné. Pour y arriver, nous avons voulu créer un lieu destiné à la créativité et à l’innovation, explique-t-elle, non sans fierté. Il n’y a pas que la rénovation d’un bâtiment qui crée sa valeur, mais aussi, et surtout, la façon dont il innove ».