L’incertitude en héritage
2024-09-21

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2024-09-12
L’incertitude en héritage
Opinion , Leadership , Management

La rentrée scolaire est toujours synonyme d’appréhension et d’espoir. Et, chaque fois, les premiers jours d’excitation passés, les choses sérieuses commencent. Les groupes se font, les balises académiques se précisent. On évalue les nouveaux professeurs avec soin. Les anciens aussi. Pas de doute, c’est du sérieux.
Chacun et chacune des profs – spécialement en marketing et communication – ne manquent pas d’insister sur les profonds changements qui bouleversent le monde, où s’impose le numérique dans chaque strate de la société humaine, complexifiant l’enseignement de la matière.
Ne nous cachons pas la vérité, la rentrée vient aussi avec son lot de stress pour les profs. La raison est simple à comprendre. Les générations nouvelles ont développé des habiletés dans la maîtrise du numérique et de toutes ses plateformes. Des jalons que les profs ne maîtrisent pas forcément avec le même talent. Professeurs et étudiants sont maintenant dans le même bateau. D’où l’appréhension et l’espoir. Les adeptes de la pédagogie inversée se régaleront de ce nouvel état de l’enseignement universitaire.
Chaque rentrée fut pour moi, prof depuis 23 ans, cette source chérie à laquelle je me suis abreuvé. À l’aube de ma retraite, je réalise que ce que j’ai le plus apprécié fut sans contredit la rencontre et le dialogue avec mes étudiants. Établir un échange franc, sans complaisance sur le plan des apprentissages, toujours avec un maximum d’écoute et de compassion. J’ai, de ce point de vue, été mille fois récompensé par leurs aimables mots d’appréciation à la fin de chaque session. Un vrai salaire pour moi.
Le bout du chemin
Comment ne pas avouer un peu de nostalgie rendu au bout de ce chemin? Ce serait malhonnête d’affirmer que je quitte l’école la joie au cœur et la fleur au fusil. Je ferai, avec le temps, cet autre deuil nécessaire. Mais je ne suis pas homme à m’apitoyer sur mon sort. Regarder en avant, même au seuil de ma 80e année, ne me fait non seulement pas peur, mais m’excite quelque peu, sachant qu’une aventure nouvelle se profile déjà à l’horizon.
De quoi sera faite cette «retraite»? Je l’ignore. De voyages, de rencontres, de temps savouré avec mes proches, que sais-je? Alors, ne me cherchez pas sur les greens de la Floride, je n’aime ni le golf ni la Floride! Je suis un contemplatif de naissance et je peux m’émerveiller devant les paysages riches d’histoire, des rives de la Loire à celles de l’Harricana ou du Saint-Laurent. Là, c’est certain, je trouverai la plénitude.
Incorrigibles boomers
Mon histoire est aussi celle des boomers. Une génération née d’une volonté et d’une énergie indicible de refaire le monde. Un monde alors cassé par cinq années de guerre, anéanti et humilié par l’horreur et la haine nazie. Tétanisé par deux frappes nucléaires sur le Japon. Le monde du «plus jamais ça». Mais un monde rassemblé qui redéfinira le cadre d’un nouvel ordre mondial, un monde unifié, décidé à s’entraider selon des lois universelles et des routes économiques nouvelles.
Naîtront alors des organisations juridiques, culturelles, militaires et politiques internationales pour défendre ces lois et ces routes nouvelles de la liberté. Liberté de penser, d’éduquer et d’entreprendre. Un univers où la technologie, les sciences, la culture et les artistes s’exprimeront avec un talent si vaste que chacun y trouvera une place tant la demande est alors considérable. Mais tout, hélas, n’alla pas pour le mieux.
Appréhension et espoir
Tout motivés qu’ils furent, les boomers ont commis bien des erreurs. Ils ont confondu le monde et l’Occident, les riches et les pauvres, les hommes et les femmes. Ils ont laissé pour compte celles et ceux qui ne s’apparentaient pas à leur façon d’être, de penser, de croire. Pire, ils les ont même montrés du doigt, créant des clivages aujourd’hui quasi ingérables. Ils ont laissé à la relève le soin de se former elle-même. Sans pudeur, ils ont dévié le sens de la réussite; l’argent et le patrimoine individuel devenant les critères de ce succès. Bref, ils n’ont pas laissé la maison aussi propre qu’ils l’avaient imaginée.
La planète, en proie aux grandes catastrophes climatiques, est mal en point, sale, souillée, vidée de ses richesses naturelles, toujours en guerre et larvée par les montées de l’extrême droite et du populisme, les dictatures, la violence et la criminalité. Leur héritage n’est pas richesse, il est incertitude.
Certes, comme disait Leonard Cohen, il reste bien quelques brèches pour laisser pénétrer la lumière. Et je sais que les jeunes générations s’emploient avec courage, vigueur et intelligence à corriger les égarements de toutes sortes. De tout cœur, je souhaite à mes étudiants, comme à mes enfants et petits-enfants, d’être animés de la même soif de changements que celle qui anima jadis les boomers. Avec un sens plus marqué de la justice pour tous et toutes.
Article publié dans l’édition Automne 2024 de Gestion
Opinion , Leadership , Management