Les biais cognitifs sont à l’œuvre dans des domaines insoupçonnés. Ainsi, ils peuvent aussi influencer le processus d’idéation. Voici comment les reconnaître et surtout les déjouer.

Lorsqu’il est question de faire preuve de créativité, certains biais cognitifs peuvent se manifester, que l’on soit seul devant sa planche à dessin ou en groupe dans un processus de remue-méninges.

Dans ce contexte, l’effet de fixation est particulièrement présent. À cause de celui-ci, on a tendance à revenir aux solutions habituelles et usitées. «C’est pourquoi il est difficile de sortir de la ‘’boîte’’ et de générer des concepts novateurs, car les premières idées qui viennent en tête sont généralement recyclées ou réutilisées», prévient Marine Agogué, professeure agrégée au Département de management à HEC Montréal et détentrice d’un professorship en créativité organisationnelle.

Elle précise que si l’on se trouve dans l’urgence, l’effet de fixation sera plus puissant encore puisque lorsque le temps presse, on se raccroche davantage à ce qui nous vient spontanément à l’esprit.

Annie Boilard, CRHA et présidente du Réseau Annie RH, ajoute que le biais du consensus de groupe – lequel est également en cause dans la prise de décision – peut aussi entrer en ligne de compte. À cause de celui-ci, les personnes autour de la table vont avoir tendance à aller dans le même sens que le reste du groupe. Car le désir de consensus a le pouvoir de nous faire mettre de côté nos propres opinions et de nous pousser à adopter celles de la majorité.

Série Biais cognitifs

Des activités encadrées

Alors, comment renouer avec un processus d’idéation véritablement créatif? Marine Agogué indique qu’au niveau individuel, il existe un mécanisme grâce auquel il est possible d’empêcher l’activation spontanée de pensées ou d’actions automatiques. Il s’agit du contrôle inhibiteur. «Plus ce contrôle est développé chez nous, et plus on sera en mesure de résister à la tentation de réutiliser des idées recyclées», explique-t-elle.

Le test de Stroop par exemple, du nom du psychologue américain John Ridley Stroop, permet d’évaluer sa propre capacité d’inhibition. Il consiste à indiquer la couleur de l’encre avec laquelle des mots sont écrits, sachant que ces mots sont eux-mêmes des noms de couleur qui ne correspondent pas à l’encre utilisée. Ainsi, le mot «bleu» peut être écrit en vert ou inversement. Pour réussir ce test et nommer la bonne couleur, on doit parvenir à inhiber les automatismes de lecture.

Sur le plan collectif, différentes méthodes permettent de dépasser l’effet de fixation. «Une activité de brainstorming non encadrée fait invariablement émerger des idées recyclées. Certaines techniques permettent cependant de contourner cet obstacle», mentionne la professeure. Par exemple, en préparant l’activité de remue-méninges en amont et en chargeant un facilitateur formé pour ce rôle de diriger celle-ci. Enfin, une étape de debriefing aidera à faire en sorte que les idées produites soient effectivement utilisées.

Annie Boilard abonde dans le même sens. Elle recommande la rigueur et le recours systématique à une méthodologie, car il ne sortira pas grand-chose de neuf d’un brainstorming improvisé.

Pour écarter les solutions recyclées qui reviennent le plus souvent au début d’un remue-méninges, l’une des méthodes possibles est de gérer le plein et le vide. «En notant les idées sur des post-it et en les collant au fur et à mesure sur un tableau, les participants auront l’impression que leur travail est terminé lorsque toute la surface est recouverte», illustre Marine Agogué. Autrement dit, les propositions qui arrivent en début de processus, les idées réutilisées, vont rapidement occuper le terrain. En revanche, si dès le départ, on place les post-it uniquement sur une moitié du tableau, on aura alors tendance à continuer à se creuser la tête puisqu’il reste encore un espace vide à combler.

Autre écueil à éviter : la trop grande homogénéité des intervenants autour de la table. Lorsque les profils se ressemblent trop, des biais identiques seront probablement à l’œuvre. «Il faut de la diversité. Quand il y a uniformité, on aboutit souvent aux mêmes conclusions», soutient Annie Boilard.

Cette diversité génère toutefois un risque : celui d’en arriver au plus petit dénominateur commun, c’est-à-dire que la collaboration est difficile et la réflexion, appauvrie. Pour contrer cette difficulté, Marine Agogué suggère que le facilitateur mette en place des mécanismes de «traduction» afin que tous puissent se comprendre.

Elle rappelle aussi que le syndrome d’aversion à la créativité n’est jamais bien loin. Or, pour être créatif, il faut réussir à sortir de sa zone de confort, se montrer ouvert aux idées des autres et accorder un poids identique à toutes les propositions. Là encore, le rôle de l’accompagnateur demeure primordial pour déjouer les pièges. Un dernier conseil : éviter les groupes de trop grande taille, car au-delà de 10 personnes, le processus devient moins productif.