Article publié dans l'édition Hiver 2015 de Gestion

Résumé

Le but de cette étude est de comprendre l’incidence de l’expérience internationale acquise pendant les études sur le type de carrière ultérieure. Il s’agit de souligner l’importance pour l’entreprise de comprendre cette incidence. Quel est le profil de carrière de ceux qui ont vécu une expérience internationale ? Quelle peut être l’utilité de cette expérience pour la carrière en entreprise ? Nous tenterons ainsi d’attirer l’attention des recruteurs, des départements de ressources humaines, mais aussi des gestionnaires de programmes d’institutions d’enseignement et des cadres eux- mêmes sur l’importance de cette expérience internationale pour la carrière et pour l’entreprise.

À l’heure de la mondialisation et de la nécessaire mobilité internationale des cadres, il est intéressant de s’interroger sur l’impact des expériences d’études à l’étranger sur le type de carrière ultérieure. Comment qualifier les carrières ? Comment prendre en considération l’expérience acquise ? Nous tiendrons compte des différentes situations rencontrées : celle des cadres orientés principalement vers l’international et ayant fait plusieurs stages à l’étranger pendant leurs études, celle des cadres qui n’ont pas participé à des échanges internationaux pendant leurs études, mais qui ont une carrière qui les amène à se déplacer à l’étranger, et enfin, celle des cadres ayant vécu une expérience internationale étudiante et qui poursuivent une carrière sédentaire, à l’étranger ou pas.

Chacune de ces situations représente une ressource intéressante pour l’entreprise. Il s’agit de les gérer de manière spécifique en tenant compte des avantages et des contraintes de chacune. Nous montrerons également que le fait de se prévaloir d’une expérience internationale étudiante n’implique pas pour autant qu’on adopte un profil « nomade »; d’autres profils sont susceptibles d’être mis en évidence, d’autres profils peuvent mener à une carrière internationale.

Par « carrière internationale », nous entendons les mobilités géographiques ou l’installation à l’étranger dans le cadre de la carrière. Par « expérience internationale étudiante », nous entendons principalement la participation à un séjour d’échange en Europe (séjour Erasmus), un stage en entreprise à l’étranger, un séjour linguistique complémentaire ou autre expérience d’études à l’étranger. Certains étudiants n’ont vécu aucune de ces situations, d’autres en ont vécu plusieurs.

Précisons également que les personnes rencontrées aux fins de notre étude ont toutes effectué un cursus universitaire en sciences de gestion en Belgique. Notre démarche est qualitative. Nous avons privilégié les questions ouvertes portant sur la description de la carrière, ses étapes et son évolution, sur les expériences d’étude, de stage ou de travail à l’étranger et la manière de vivre ces situations, et enfin sur l’importance accordée à la mobilité internationale et son impact sur la carrière. Une partie du questionnaire, sous la forme d’échelles d’attitudes1, concerne plus particulièrement les ancres de carrière.


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Expérience internationale et acquisition de compétences

Les étudiants, ayant connu une expérience internationale, se distinguent notamment par leur compréhension des autres cultures et leur meilleure connaissance des langues. Ils semblent avoir une attitude moins matérialiste, moins conformiste et plus de facilité à s’exprimer en public2. Ils disposent davantage de compétences telles que la capacité d’adaptation, l’esprit d’initiative, l’assurance et la capacité à planifier. La mobilité semble produire également un effet positif sur les compétences socio-communicatives, la capacité à résoudre des problèmes et le leadership. Les étudiants ayant suivi un programme de mobilité internationale posséderaient aussi de meilleures connaissances académiques3.

Même si ce n’est pas toujours l’objectif, le suivi d’un programme d’échange international peut ainsi avoir une incidence sur la carrière. Bracht et al. (2006) considèrent que 82 % des experts rencontrés estiment qu’un séjour international permet aux étudiants de mieux se préparer pour leur futur emploi4. Une enquête menée par Kelly Services auprès de 90 000 personnes présente les mêmes conclusions5. Plusieurs études ont montré l’impact positif d’une expérience internationale pendant les études sur le fait de travailler par la suite à l’étranger ou dans un autre État. L’enquête REFLEX (Research into Employment and professional FLEXibility), menée en 2005 auprès de 40 000 diplômés provenant de 16 pays différents, cinq ans après l’obtention de leur diplôme, réaffirme que les étudiants mobiles ont plus de chances de trouver un emploi intéressant. De plus, elle met en lumière une forte corrélation entre l’expérience internationale pendant les études et l’occupation d’un poste dans un pays étranger au cours de la carrière6. Nous rejoignons ainsi plusieurs auteurs comme Oosterbeek et Webbink (2011) qui ont souligné que les expériences hors des frontières du pays, pendant les études, augmentent sensiblement les chances de travailler dans un pays étranger après l’obtention du diplôme.

Personnes rencontrées, caractéristiques de l’échantillon étudié et démarche

Les personnes rencontrées

Cette étude a été réalisée en Belgique, auprès d’anciens étudiants ayant obtenu un master en gestion, en Communauté française de Belgique, à HEC, au terme de leur cursus universitaire entre 1979 et 2009. Nous avons ainsi contacté 483 diplômés à partir de leur inscription dans l’annuaire des anciens7 et avons reçu, après rappel, 28 réponses. De plus, lors de chaque entretien, nous avons demandé au répondant s’il pouvait nous mettre en contact avec d’autres diplômés de son année. Nous avons, de cette manière, reçu au total 32 réponses positives. Un rendez-vous a été convenu avec les répondants ayant donné leur accord afin de réaliser l’entrevue en face-à-face ou via « Skype » si la personne se trouvait à l’étranger. Chaque entretien a duré en moyenne une quarantaine de minutes.

Les caractéristiques de l’échantillon étudié

Il est utile de noter que les 32 personnes de notre échantillon sont de nationalité belge, et que 19 des répondants sont des femmes et 13, des hommes. Ces personnes exercent leur activité dans différents pays : 14 d’entre elles travaillent au Luxembourg, 10 en Belgique, 2 en Angleterre, 4 en Espagne, 1 au Canada, 1 en Italie et 1 aux États-Unis. Parmi les 14 personnes travaillant au Luxembourg, certaines y ont établi leur domicile fixe. La personne travaillant en Italie y a rencontré son mari et y vit avec sa famille. Il en va de même pour la personne qui est partie aux États-Unis. Le statut civil et la situation familiale des répondants ont également été observés. Ainsi, 12 personnes sont mariées, 11 sont célibataires, 9 sont en couple. Concernant le nombre d’enfants, 24 des 32 personnes sondées n’ont pas d’enfants, et 8 en ont de un à quatre. Pour ce qui est de l’âge des répondants, il varie de 26 à 55 ans.

En ce qui concerne l’expérience internationale pendant les études, nous avons relevé la durée du séjour et le nombre de personnes concernées. La durée du séjour est en moyenne de 5 mois pour l’Erasmus (système d’échanges étudiants en Europe), de 2 mois pour le stage et de 1 an pour un séjour complémentaire, généralement dans un pays anglophone. Rappelons qu’un étudiant peut cumuler plusieurs types d’expériences. Parmi les personnes rencontrées, 6 n’ont participé à aucune activité internationale pendant leurs études, 26 ont participé à un seul type d’activité (Erasmus ou autre stage ou échange), 12 ont réalisé au moins deux séjours à l’étranger, et enfin, 4 ont fait l’expérience des trois types de cours internationaux, à savoir l’Erasmus, le stage à l’étranger et une formation supplémentaire à l’extérieur de la Belgique. La destination la plus populaire pour le séjour d’échange ou le stage est l’Espagne (8 personnes), suivie de l’Allemagne et du Luxembourg (4 personnes respectivement), des États-Unis et de l’Italie (3 et 3), du Portugal et des Pays-Bas (2 et 2), de l’Angleterre, du Canada, de la Finlande, de la Hongrie, de l’Inde, de l’Irlande et du Mexique (1 personne pour chacun de ces pays). Quant aux destinations choisies pour y suivre une formation supplémentaire, il s’agit essentiellement des pays anglophones comme les États-Unis (6), le Canada (1), l’Angleterre (1) et l’Irlande (1). Les raisons pour vivre une expérience internationale pendant les études varient, la plus souvent évoquée étant l’apprentissage de langues, suivie par le fait de vivre une expérience culturelle différente. Il faut cependant savoir que l’institution où les étudiants ont réalisé leurs études universitaires y est pour beaucoup dans la décision de réaliser un séjour à l’étranger. Cependant, un niveau de langue insuffisant et des problèmes personnels peuvent expliquer le choix de ne pas participer au programme d’échange Erasmus.

Démarche

Notre démarche est qualitative et compréhensive8. Nous avons décidé d’utiliser cette méthode pour recueillir nos données au moyen de questions ouvertes posées en face-à- face ou via Skype. Nous souhaitions mettre en évidence, au- delà des pratiques des acteurs, « les opinions – les jugements de valeurs qu’ils portent sur leurs perceptions –, et leurs imaginaires – le sens qu’ils leur donnent »9. Selon nous, il est fondamental de prendre en considération les perceptions et les ressentis des personnes interrogées afin de permettre une meilleure compréhension des séjours effectués à l’étranger et des liens éventuels entre l’expérience internationale et le type de carrière suivie.

Après avoir recueilli les renseignements personnels sur nos cadres sondés, nous avons concentré notre attention sur les apprentissages liés aux séjours à l’étranger pendant les études et sur les caractéristiques de la carrière menée par la suite. La dernière partie du questionnaire concernait les « ancres de carrière » et se présentait sous la forme d’échelles d’attitudes – échelles de Likert – d’après un questionnaire réalisé par Schein et adapté par Cerdin (2007 : 15). Cette partie du questionnaire pouvait être remplie en ligne avant l’entrevue afin de permettre aux participants de répondre sans précipitation et sans fausser le résultat. Ceci a permis également d’accorder plus de temps lors de l’entrevue aux autres questions.

La formulation des questions est la plus neutre possible. Nous avons pris soin de nous présenter en début d’entretien et de mettre en confiance la personne interrogée10. Nous avons été réactifs et flexibles lors de chaque entretien afin de rebondir sur certaines réponses et de chercher à approfondir des éléments qui n’étaient pas assez développés11. Enfin, nous avons testé le questionnaire et la façon de réaliser l’entrevue auprès de trois personnes qui possédaient les mêmes caractéristiques que les personnes sondées. Pour ceux qui en ont fait la demande, nous avons gardé certains questionnaires anonymes dans le but d’obtenir des réponses fiables et de ne froisser aucun des répondants.

Pour l’analyse des réponses aux questions ouvertes, nous avons, à la suite de lectures successives, repris les propos des répondants distinguant leur « ancre de carrière »12 et leur « type de carrière »13 afin de mieux percevoir les liens entre l’expérience et la carrière. Nous avons également pu cerner la signification que l’expérience internationale présentait. En effet, cette méthodologie nous a permis de préciser les opinions, les sentiments des répondants quant à leur expérience internationale et les bénéfices que celle-ci représentait pour eux. Nous avons effectué une analyse de contenu des réponses aux questions ouvertes et repris les extraits les plus significatifs (dont le contenu revenait à plusieurs reprises ou était particulièrement souligné) permettant de mieux comprendre les thèmes proposés dans le questionnaire. Nous avons enfin réalisé une analyse spécifique des échelles d’attitudes concernant les ancres de carrière en calculant les moyennes pondérées pour chacune des échelles.

Nous allons présenter ce que nous entendons par « expérience internationale », par « ancre de carrière » et « type de carrière », à partir des informations que nous recueillies dans la littérature, avant de présenter les résultats de notre propre recherche ayant trait au vécu de l’expérience internationale et à l’impact de cette expérience sur le type de carrière. Nous terminerons en précisant ce qu’apporte notre étude aux recruteurs, aux gestionnaires en ressources humaines et aux responsables de programmes de mobilité internationale au sein des universités.

Les ancres de carrière et les types de carrière

Les ancres de carrière

Les ancres de carrière, que nous propose Schein (1976), nous permettent d’orienter toutes les décisions importantes de la carrière. La théorie des ancres de carrière se focalise sur la carrière, fondamentale, de chaque personne, ses motivations, ses talents, ses valeurs14. D’après Cerdin (2007), « une ancre de carrière correspond à ce qu’une personne considère de plus important et de non négociable dans sa carrière. Elle guide et contraint toutes les décisions majeures de la carrière »15. Schein (1987 : 158) définit le concept d’ancre de carrière comme : « cet élément essentiel de notre concept de soi auquel on ne renoncerait jamais, même si cela nous obligeait à faire un choix difficile » (traduction libre) ». La métaphore de l’ancre est bien choisie, car comme le formule Schein, il y a certaines valeurs intrinsèques auxquelles on ne peut renoncer même quand on est contraint de faire un choix difficile. Aujourd’hui, on compte huit ancres de carrière dans la typologie de Schein (1990 : 20) auxquelles s’est ajoutée la nouvelle ancre « internationale » mise en évidence en 2004 par Suutari et Taka. Selon Cerdin (2007 : 13), cette dernière est « une nouvelle ancre de carrière dans laquelle les personnes sont particulièrement attirées par de nouvelles expériences impliquant la découverte de nouveaux environnements, pays et cultures ». Nous ne devons pas confondre « ancre de carrière » et « type de carrière » dont nous parlerons par la suite.

Nous reprenons dans le tableau 1 les caractéristiques associées à chacune des ancres de carrière16.

Par ailleurs, Cerdin et Le Pargneux (2008) émettent l’hypothèse que les personnes ancrées « compétence managériale », « créativité entrepreneuriale », « défi pur » et « internationale » sont plus susceptibles de réussir une mobilité sur le plan international. Ces hypothèses ont été testées sur 335 expatriés provenant de 57 pays et il en ressort que l’ancre « défi pur » est celle qui est reliée le plus étroitement avec la réussite de la mobilité internationale.

Plusieurs ancres de carrière

Des auteurs, comme Feldman et Bolino (1996), affirment qu’il peut exister une multiplicité d’ancres de carrière. On note cependant des divergences entre les auteurs sur la compatibilité des ancres17.

Tableau 1

Ancre Description
Sécurité/stabilité

Sécurité d’emploi dans une seule organisation et attachement aux normes et valeurs de l’organisation.

Autonomie/indépendance

Rejet des contraintes organisationnelles et recherche de promotion associée à plus de liberté.

Qualité de vie

Équilibre vie privée/vie professionnelle et recherche d’organisations aux valeurs familiales.

Compétence technique et fonctionnelle

Préférence pour les situations de travail et de progression en rapport avec les compétences techniques dans le domaine d’activités concerné et évitement des
situations jugées trop politiques.

Compétence managériale

Analyse et résolution de problèmes dans un contexte de gestion marqué souvent par un certain degré d’incertitude.

Créativité entrepreneuriale

Création plutôt que gestion de projets.

Service/dévouement à une cause

Attachement aux valeurs de service à la société et obtention d’un emploi qui corresponde à ces valeurs.

Défi pur

Efforts constants en vue de vaincre des obstacles insurmontables, de gagner sur leurs concurrents.

Les travaux sur la multiplicité des ancres de carrière ont également été soutenus par l’étude de Martineau et al. (2005) qui a été réalisée sur un échantillon de 900 ingénieurs québécois. L’enquête visait à collecter des données sur les ancres de carrière à l’aide du questionnaire de Schein. Comme nous pouvons le remarquer dans les résultats de l’étude, « le total de 264 indique que seulement 30,3 % de l’échantillon possède une ancre dominante. Ceci signifie que 69,7 % de l’échantillon possède des ancres multiples»18. Par ailleurs, l’ancre évolue et peut changer au fil du temps, car elle est influencée par les expériences de la vie19. Nous montrerons que plusieurs ancres sont susceptibles d’exister sans que le cadre ne vive une carrière nomade.

Les types de carrière

Arthur, Hall et Lawrence en 1989 définissent la carrière comme « la succession des expériences professionnelles d’un individu»20. On doit cependant constater qu’il n’y a pas unanimité dans la manière de la définir. Si la carrière est « un métier, une profession, le cheminement public d’une personne dans la vie»21, la manière de la gérer dépend davantage des aptitudes des individus, de leur initiative personnelle que des règles définies par l’organisation. Cette gestion de carrière demande des compétences nouvelles22. Gérer sa carrière, c’est « agir pour diriger son parcours professionnel, dans ou hors une organisation spécifique, de façon à atteindre le plus haut niveau possible de compétence et de réussite, hiérarchiquement ou socialement, compte tenu de ses aptitudes et de ses qualifications »23. Il s’agit aussi davantage de penser la carrière en termes d’employabilité24. Nous allons notamment distinguer la « carrière organisationnelle» et la « carrière nomade». À l’exception d’une seule personne de notre échantillon dont on peut caractériser la carrière de « nomade», toutes les autres présentent plutôt une carrière « organisationnelle».

La carrière organisationnelle. La carrière organisationnelle est vue comme un ensemble d’étapes successives, chacune d’entre elles étant associée à un niveau hiérarchique de plus grande importance, le plus souvent au sein d’une même organisation. La gestion de cette carrière ascendante – généralement – est assurée par l’entreprise25. L’ordre de progression est par ailleurs plus ou moins prévisible26. Cependant, certains éléments semblent remettre en cause l’existence de carrières organisationnelles, à savoir la diminution du nombre d’emplois stables, les horizons professionnels de plus en plus courts, l’augmentation du nombre de licenciements pour restructuration, mais également les délocalisations qui se font ressentir de façon toujours plus douloureuse dans nos contrées au profit des pays en voie de développement. De plus, les attentes des employés changent; ils veulent plus de flexibilité et plus de liberté pour pouvoir concilier vie privée et vie professionnelle27. Boltanski et Chiapello (2010 : 112) avancent même un rejet de la hiérarchie, « les motifs… sont souvent d’ordre moral et participent d’un refus plus général des rapports dominants-dominés». Cette évolution nous amène à présenter une autre conception de la carrière, celle de carrière nomade.

La carrière nomade. Douglas Hall, en 1976 dans Careers in organizations, propose un nouveau courant de pensée selon lequel un individu ne passerait pas toute sa carrière au sein d’une même organisation. Selon lui, l’individu est proactif et développe ses compétences en fonction de ses envies et de ses motivations28. C’est ce que Hall (2004 : 2) appellera, la « carrière protéenne», « c’est-à-dire, une carrière gérée par l’individu selon ses valeurs personnelles plutôt que pour des récompenses professionnelles, et qui est en harmonie avec son concept de soi, ses valeurs familiales et ses objectifs de vie» (traduction libre). Le terme « boundaryless career» sous la plume d’Arthur et Rousseau (1996) a été traduit en français par l’expression « carrière nomade»29. Les travaux de ces auteurs s’appuient sur une mobilité physique, c’est-à-dire une mobilité inter organisationnelle ainsi qu’une mobilité géographique. Ils défendent le principe, selon lequel, à travers ce changement de pays et d’organisations, les personnes développent leurs compétences, au gré de leurs valeurs et de leurs motivations30. Plusieurs auteurs partagent le même point de vue et mentionnent l’existence de carrières dont les limites dépassent celles d’une entreprise31.

Les typologies de Cadin

Comme nous le savons, la majorité des études empiriques sur la carrière nomade ont été réalisées en Amérique du Nord. Néanmoins, Cadin et al. (2003 : 111) ont étudié le concept de carrière nomade sur le territoire français. Ils ont interrogé 79 personnes provenant de catégories socioprofessionnelles diverses. Ces recherches ont débouché sur l’élaboration de différentes trajectoires professionnelles qu’ils ont recensées. Ils différencient cinq catégories, dont quatre sont associées à des trajectoires nomades et une, la catégorie des sédentaires, à la carrière organisationnelle (Tableau 2).

Tableau 2

Sédentaires Migrants Itinérants Frontaliers

Nomades ou sans frontière

Carrière organisationnelle
classique : un seul
employeur tout
au long de la vie
professionnelle


Ascension verticale

Un seul employeur,
mais sentiment
d’avoir vécu
une transition
professionnelle
importante et
plusieurs métiers

Plusieurs
employeurs, mais
logique identitaire
autour du métier
ou du secteur
d’activité

Plusieurs employeurs
(parfois son propre
employeur)


Identité autour de
projets associés
au sentiment
d’aventure

Différents employeurs
Différents métiers
Périodes sans emploi
Importance du succès personnel (succès
subjectif)


Aujourd’hui cette situation peut être
imposée

Les résultats de nos recherches

Nous avons tenté de mettre en évidence l’existence de liens éventuels entre l’expérience internationale acquise pendant les études, le type d’« ancre de carrière » et le type de carrière poursuivi par la suite. Nous allons présenter, dans un premier temps, l’importance des acquis liés à une expérience internationale pendant les études puis nous présenterons la situation des personnes rencontrées et l’incidence de l’expérience internationale sur la carrière. Nous nous demanderons enfin si l’existence d’une mobilité internationale signifie la remise en question de la carrière organisationnelle.

Expérience internationale et acquisition de compétences

L’amélioration de la connaissance des langues est l’un des avantages les plus souvent cités par nos répondants à propos de l’expérience internationale pendant les études. L’importance des apprentissages en général est également soulignée : « Oui, j’ai vraiment appris énormément durant chacun de mes voyages et j’ai été conforté dans mon idée d’aller vivre à l’étranger. » Il y a donc l’apprentissage des langues, bien sûr, mais au-delà, il y a aussi l’apprentissage de la mobilité, du changement, de la différence, de la découverte d’autres pays. Plusieurs des personnes interrogées reconnaissent avoir acquis « une meilleure compréhension des différentes cultures ». « Mes séjours aux Pays-Bas et aux États-Unis m’ont donné envie de voyager, de créer des réseaux et d’avancer plus vite dans la réalisation de mes projets. » Un autre cadre estime que le fait d’avoir vécu un séjour Erasmus aux Pays-Bas a été un atout, qui lui a « permis de vivre en étant plus autonome ». Les séjours à l’étranger augmentent la « confiance en soi », ce qui permet, nous dit une des cadres rencontrées, de « partir plus sereine » à l’étranger par la suite.

Les séjours internationaux semblent donc accroître le niveau de « maturité » et l’ « ouverture d’esprit ». Enfin, le stage à l’étranger semble être l’occasion de faire des rencontres intéressantes. « Même si j’ai vraiment adoré mon stage aux États-Unis, je n’aurais pas fait les démarches pour aller travailler là-bas si mon mentor ne m’avait pas proposé un emploi… Plus de perspectives de carrière, plus de valorisation du travail et la chance formidable de mettre à profit toutes les langues que j’ai apprises, car aux États-Unis, il n’y a pas beaucoup de gens qui parlent plusieurs langues », nous dit une des cadres rencontrées. Pour une autre, « c’est la rencontre de mon compagnon pendant mon séjour d’échange qui a été déterminante sinon je n’aurais pas été vivre en Italie […] ».

Lors de notre étude empirique, nous avons ainsi observé que le fait pour les cadres d’avoir vécu un séjour Erasmus, un stage à l’étranger et une expérience internationale complémentaire semble leur avoir donné « l’envie d’aller plus loin » et les « outils » et rencontres favorisant une carrière inter- nationale, et que certains d’entre eux ont aussi été confortés dans leurs choix. « J’ai compris que je ne souhaitais pas travailler à X, puis j’ai connu une autre expérience internationale aux États-Unis, expérience positive qui m’a permis d’améliorer ma connaissance de l’anglais. »

Impacts de l’expérience internationale acquise pendant les études sur la carrière.

Le tableau 3 résume les résultats de notre étude sur les types de carrière selon que les personnes rencontrées ont vécu ou non une expérience internationale pendant leurs études.

Tableau 3

Ancre internationale associée éventuellement
à une autre ancre

Ont tous connu différentes expériences
internationales pendant les études (stage, séjour
d’échange Erasmus, expérience complémentaire)

Travaillent à l’étranger (sont encore prêts à changer de pays)
Ont un métier tourné vers l’exportation et l’international

Ne présentent pas une ancre internationale,
mais une pluralité d’ancres parfois simultanément

Ont connu une expérience internationale
pendant leurs études

Ont une carrière sédentaire à l’étranger
Ont une carrière sédentaire en Belgique et font des séjours à l’étranger
Ont une carrière itinérante et font des séjours fréquents à l’étranger

N’ont pas connu d’expérience internationale
pendant les études

Travaillent en Belgique
Connaissent une certaine mobilité et font des séjours à l'étranger en 
lien avec leur fonction de directeur de service

L’ancre internationale caractérise principalement les personnes qui avaient déjà songé à une carrière internationale avant leur parcours universitaire. « J’ai toujours voulu partir. En fait, j’ai étudié à HEC pour aller à l’étranger et mon stage à l’extérieur m’a tout à fait convaincu dans mes choix et surtout dans le type de fonction que je voulais occuper » (D., homme, 33 ans, en couple, pas d’enfants, directeur général de filiale, Espagne, ancres internationale et autonomie, type de carrière frontalier). « En fait, au fond de moi, j’ai toujours eu envie de quitter la Belgique, donc, en quelque sorte, je m’y préparais depuis pas mal de temps. Mais c’est vrai que mon stage Erasmus a été déterminant, car c’est ce qui m’a fait connaître Séville » (M., Femme, 28 ans, mariée, pas d’enfants, directrice de comptes, Espagne, ancres internationale et qualité de vie, type de carrière frontalier).

Ceux qui présentent une ancre internationale ont tous connu précédemment une expérience étudiante internationale, travaillent tous à l’étranger et sont, pour certains, disposés à changer à nouveau. De plus, ce sont les seules personnes qui ont des métiers en lien avec l’exportation ou tournés vers l’international. Elles ont des carrières de type frontalier. Leur « identité professionnelle » se définit « en fonction des projets et des possibilités qui leur sont offertes. La notion de projet devant être comprise comme un choix impliquant une aventure »32.

D’autres cadres rencontrés ont connu une expérience internationale lorsqu’ils étaient étudiants, mais leurs critères de choix de carrière tiennent davantage compte de leur situation familiale et d’autres événements. Ainsi, l’un d’entre eux précise qu’il fait ses choix de carrière plutôt en fonction du contexte familial et qu’ils sont le résultat d’une succession d’événements personnels. Ses ancres de carrière sont « technique » et « managériale », et son type de carrière est « itinérant ». Il effectue régulièrement des séjours à l’étranger. Les activités des « itinérants » trouvent leur signification « autour d’une logique identitaire, d’un métier ou d’un secteur d’activité »33.

Schein (1990 : 20) considère les personnes dont l’ancre est « qualité de vie » comme étant « surtout motivées à concilier la carrière et le style de vie, attachant une grande importance aux questions comme les congés de maternité et paternité, les offres de garderie, etc., et enfin, comme étant à la recherche d’employeurs qui privilégient les valeurs familiales et les programmes à l’appui » (traduction libre). Par contre, Cerdin nous amène à penser que l’ancre « qualité de vie » n’est pas diamétralement opposée à une mobilité inter- nationale quand on sait qu’elle peut « être perçue comme une opportunité pour améliorer cette qualité de vie […]»34. C’est le cas de ceux qui ont choisi de s’installer dans un pays proche de la Belgique. Ils y sont expatriés et y bénéficient de conditions favorables. Ils privilégient « la qualité de vie » et y mènent pour la plupart une « carrière sédentaire » même si elle se déroule à l’étranger. Ils y ont trouvé, avant même la fin de leurs études, un travail en lien avec leur spécialisation et bénéficient de conditions financières intéressantes. Ils reviennent souvent – parfois chaque semaine – en Belgique où vivent leurs parents. La différence culturelle n’est pas très importante. L’ancre de carrière privilégiée est « qualité de vie » associée à l’ancre « autonomie ». Deux répondants mentionnent l’ancre « technique », deux, le « dévouement à une cause », et un autre, la « sécurité/stabilité ». Le type de carrière est « sédentaire », parfois « frontalier » ou « itinérant ».

Nous avons constaté que la plupart des personnes de cette catégorie avaient effectué un séjour à l’étranger pendant leurs études et que ce séjour leur avait permis de se familiariser avec une nouvelle façon de vivre.

Nous voyons ainsi qu’il est possible de connaître une certaine mobilité dans sa carrière, et ce, sans nécessairement présenter une ancre « internationale ». D’autres préoccupations et critères de choix de carrière existent et sont mis au premier plan. Le fait de présenter, de manière prépondérante, d’autres ancres de carrière comme « qualité de vie », « créativité » ou « technique », n’empêche pas la mobilité et la poursuite de carrières à l’international. Dans ces cas cependant, les choix de carrière à l’étranger dépendent égale- ment d’autres priorités comme, entre autres, du bien-être et des possibilités d’être innovant.

Trois répondants n’ont pas connu d’expérience internationale pendant leurs études. Ils travaillent en Belgique. Une de ces trois personnes explique qu’elle souhaitait travailler dans le pays où elle a fait ses études et où vit sa famille. Elle a préféré accepter un stage dans une entreprise de sa région en espérant accroître ses chances d’y être engagée. Pour elle, l’influence de la famille a été déterminante dans la gestion de sa carrière et l’expérience internationale n’a pas été perçue comme primordiale. Ses ancres de carrière sont « qualité de vie » et « créativité ». Quant aux deux autres personnes, elles ont chacune deux ancres de carrière, soit « technique » et « qualité de vie », et « technique » et « managériale ». Ces deux derniers répondants ont fait beaucoup de voyages dans leur carrière : l’un est aujourd’hui adjoint de direction et a trois enfants; l’autre est directrice d’un service marketing et a un enfant. L’absence de mobilité internationale pendant leurs études ne les empêche pas aujourd’hui de connaître une certaine mobilité dans le cadre de leur métier. Aucune de ces personnes ne se qualifie de « sédentaire ».

Nous remarquons également que les cadres présentant une ancre « internationale » ne sont pas nécessairement des Self initiated35. En effet, ils peuvent avoir bénéficié du soutien de l’organisation dans leur carrière internationale. D’autres, orientés « qualité de vie » ou « créativité », ont décidé, pendant leur stage par exemple, de travailler par la suite à l’étranger, car certaines occasions dans leur vie professionnelle ou privée ou certaines « évidences » en termes d’orientation professionnelle se sont imposées à eux.

Pour conclure, notre étude empirique montre que l’expérience internationale dans un pays peut aider le cadre dans ses choix en lui faisant prendre conscience de ses préférences. Elle nous amène à privilégier l’existence d’une pluralité d’ancres de carrière, certaines des personnes rencontrées présentant deux ou trois ancres de carrière.

La mobilité internationale signifie-elle la remise en question de la carrière organisationnelle ?

Notre étude tend à montrer qu’il n’en est rien, mais notre réponse sera nuancée. La plupart des cadres rencontrés présentent une carrière « sédentaire »; comme nous l’avons évoqué précédemment, ils dépendent d’un seul employeur tout au long de leur vie professionnelle et ne semblent pas vouloir en changer36. Les autres sont « frontaliers », pour certains « itinérants ». Les « frontaliers » connaissent différents employeurs, et peuvent être, à certaines périodes de leur vie professionnelle, leur propre employeur. Leur « identité professionnelle » se définit « en fonction des projets et des possibilités qui leur sont offertes. La notion de projet devant être comprise comme un choix impliquant une aventure »37.

Nous pourrions ainsi dire que les frontaliers, itinérants et les migrants présentent différentes formes de mobilités et de carrières internationales. Ils n’en sont pas pour autant « nomades ». En effet, une seule personne de notre échantillon a une carrière « nomade ».

Notre étude empirique montre la rareté des carrières « nomades » dans notre échantillon même parmi ceux qui ont multiplié les expériences internationales pendant leurs études. La seule personne de notre échantillon qui présente une carrière « nomade » travaille dans un pays proche de son pays d’origine, a 33 ans, est célibataire et occupe un emploi indépendant. Elle estime que son expérience internationale (séjour Erasmus, stage, expérience complémentaire) a eu une incidence sur l’obtention d’un emploi grâce à une meilleure connaissance des langues. Par ailleurs, ces séjours lui ont donné plus de maturité et le goût des voyages. Si, aujourd’hui, elle travaille à proximité de son pays d’origine, elle a toujours comme projet de travailler dans un pays du Sud et est à la recherche active d’un nouvel emploi. Elle a aujourd’hui « ce goût du voyage » et déclare « tout faire en vue d’aller vivre dans un pays chaud ». Les extraits illustrent bien qu’elle exerce une carrière salariée différente du modèle dominant38. L’ancre de carrière « autonomie » se traduit dans ses choix professionnels et notamment son statut d’indépendant. Présentons quelques extraits. « Après mes études, c’est-à-dire en 2002, je suis arrivée à L. par hasard […]. J’ai eu l’occasion de faire un stage intérimaire à X […]. Après 3 semaines, ils m’ont proposé un CDI contrat à durée indéterminée que je n’ai pas pu refuser […] j’ai travaillé à X et j’ai travaillé dans plusieurs services, trois exactement. D’une part, parce que j’avais envie de bouger et d’autre part, parce qu’il y avait des opportunités qui s’ouvraient. Une fois on m’a demandé de changer de poste et on m’a mise en relation internationale, car je parlais trois langues. Ensuite, j’avais envie de voir d’autres choses; donc, je me suis remise sur le marché de l’emploi … j’ai développé plusieurs projets. En 2007 est survenue une autre crise, enfin surtout une crise financière, et donc, ça a touché tous mes clients… En 2010, encore une fois, je me suis retrouvée sur le carreau … j’ai décidé de mettre une corde supplémentaire à mon arc et je suis partie pour Paris faire un Master en gestion de projet informatique. Ensuite, je suis rentrée à L. pour faire un stage » (C., 33 ans, célibataire, pas d’enfants, indépendante, Luxembourg). Son parcours nous montre l’importance de prendre en compte la mobilité psychologique et pas seulement physique39. Nous constatons l’alternance de phases où des décisions résultent de choix personnels et d’autres sont imputables à la situation économique. On trouve ainsi, au sein d’une même carrière, alternance de deux phases de décisions.

Comme nous le voyons, il n’est pas indispensable de présenter une ancre de carrière internationale pour réaliser une carrière à l’étranger et connaître une certaine mobilité. Par ailleurs, la situation de plusieurs cadres rencontrés fait ressortir la multiplicité des ancres de carrière. Enfin, l’ancre « nomade » reste exceptionnelle et n’entraîne pas nécessairement, dans les faits, un parcours de mobilité internationale même si cette mobilité est souvent évoquée comme projet. La conception de « carrière nomade » a par ailleurs évolué d’une conception où l’individu décide de l’évolution de sa carrière et de passer volontairement d’un emploi à un autre à une conception où se mêlent des phases volontaires et des phases imposées. Pour terminer, nous devons souligner que les types de carrière ne peuvent être dissociés de l’identité des cadres et du sens qu’ils donnent à leur mobilité40. Une des cadres rencontrées dans notre étude s’est installée en Italie avec son mari; elle présente à certains égards une identité de « convertie » devant concilier différence et assimilation. D’autres revendiquent leurs différences comme ce jeune cadre, « défensif » qui s’est installé en Chine pendant un an et qui veut bien faire des concessions, mais jusqu’à un certain point.

Apport de l’étude pour les gestionnaires

Notre étude nous amène à penser que pour les gestionnaires de programmes, au sein des institutions d’enseignement, il est avantageux de favoriser l’expérience internationale et que pour les étudiants, il peut être utile de mettre en évidence les acquis de ces expériences lors d’un engagement futur.

Pour les entreprises, il est dès lors important de favoriser l’organisation d’expériences internationales en début de carrière et également par la suite, et ce, même pour les cadres qui ne sont pas amenés à s’installer à l’étranger. Il s’agit d’une expérience de formation enrichissante. Pour les responsables de stages en entreprise, la qualité du suivi des stages est essentielle et peut motiver les étudiants à devenir de futurs cadres dans le pays d’accueil. Pour le stagiaire, le fait de prendre conscience de la richesse des séjours effectués à l’étranger et de réaliser ces stages au mieux peut avoir un impact sur leur future carrière. Pour les recruteurs, l’analyse attentive de l’expérience internationale des candidats à un poste et des apprentissages acquis lors de cette expérience peut aider à l’orientation des carrières. Il peut être utile pour les recruteurs et gestionnaires de la mobilité internationale de prendre en considération plusieurs critères, de ne pas se limiter à une seule ancre de carrière et de tenir compte de la spécificité de chaque situation. Lors de la sélection de candidats en vue d’une mission internationale, il serait intéressant de ne pas rechercher uniquement des cadres orientés principalement vers l’international. Des cadres dont l’ancre est « qualité de vie », voire « stabilité/sécurité », peuvent aussi attacher de l’importance à l’« autonomie », aux « défis », à la « technique » et présenter des compétences utiles pour exercer une mission à l’étranger, et même, si les conditions familiales s’y prêtent, pour s’y installer à plus long terme. Chaque situation est particulière et combine le plus souvent, de manière spécifique, l’expérience internationale, les projets, la situation familiale.

Toutefois, le fait pour les recruteurs et gestionnaires de la mobilité internationale d’identifier parmi les membres du personnel ceux qui possèdent une ancre « internationale » peut permettre de mieux gérer les carrières à l’étranger. Une attitude proactive à l’égard de ces travailleurs peut être utile, notamment en termes de fidélisation. De même, une attention particulière lors de retours de mission est indiquée. Au sein des multinationales, mais aussi des petites et moyennes entreprises, la gestion des carrières des cadres à l’ancre « internationale » doit faire l’objet d’une attention particulière, car ceux-ci sont susceptibles de poursuivre leur carrière à l’étranger, de s’y installer et de s’intégrer dans le pays d’accueil. Ils seront éventuellement de véritables ambassadeurs de l’entreprise. Les exemples retenus ici montrent que ces cadres tournés vers l’international ne présentent pas une carrière de type « nomade », mais plutôt « frontalier » lié à l’identité professionnelle tout comme à un certain goût du risque et de l’aventure.

Nous devons ainsi souligner que la compréhension des carrières internationales doit prendre en compte plusieurs éléments et qu’il faut situer les parcours dans leur contexte afin d’en comprendre la signification et de les gérer au mieux. Les attentes de l’entreprise varieront en fonction des situations. La carrière internationale présentée ici comme le fait de réaliser sa carrière à l’étranger, dans un pays proche ou lointain, peut être associée à des orientations et ancres de carrière différentes : « qualité de vie », « autonomie », « créativité » et pas seulement « internationale ». Elle peut même être celle de « sédentaires » et de cadres à la carrière « organisationnelle ». L’installation d’un cadre à l’étranger qui privilégie la sécurité et la stabilité peut également être une ressource pour l’entreprise à la recherche de nouvelles compétences dans une filiale. Ces cadres auront une connaissance du pays particulièrement précise, pourront répondre au mieux aux demandes des clients et informer le siège social de la situation dans le pays d’accueil. En vue de pourvoir un emploi associé à une grande mobilité internationale, il ne faut pas nécessairement recruter des profils de carrière « nomade ». Au sein d’une carrière jugée plus traditionnelle, la mobilité peut avoir la part belle. Certains peuvent réaliser une carrière sédentaire à l’étranger, et d’autres, frontaliers, connaître une mobilité importante.


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Conclusion

Nos résultats montrent que l’expérience internationale, vécue pendant les études, semble bien avoir eu, aux yeux des personnes rencontrées, un effet favorable sur l’acquisition de compétences et ultérieurement sur la carrière, que ce soit par le développement de réseaux internationaux ou la compréhension des cultures. Nous pouvons également citer le goût des voyages, une plus grande maturité et une capacité d’adaptation au changement.

La conclusion principale de cette recherche est qu’il est très important, pour le gestionnaire de carrière, de tenir compte de la situation des individus, de leurs projets, de leurs différentes ancres de carrière afin de comprendre le potentiel que chacun présente pour l’entreprise en termes de mobilité internationale. Nous avons montré en effet l’existence de plusieurs ancres de carrière. Ceux qui ne présentent pas une ancre internationale peuvent tout de même être de bons candidats à d’éventuels mandats et projets internationaux. En les excluant d’emblée pour ce travail à l’étranger, le gestionnaire perdrait des compétences précieuses. De nombreux parcours et orientations de carrière sont susceptibles de représenter une occasion pour la réalisation de missions internationales. Notre recherche nous amène à préciser que les « carrières organisationnelles » sont loin d’avoir disparu; elles peuvent cependant se décliner différemment à l’étranger.

L’expérience internationale pendant les études peut certainement conduire à une carrière à l’étranger, mais si elle est associée à l’ancre « qualité de vie », cette carrière peut être sédentaire. Enfin, la carrière « nomade » pure où l’individu maîtrise dans les faits toutes ses orientations de carrière n’a pas pu être mise en évidence même si, pour la personne concernée par notre recherche, il s’agit de vivre une succession d’emplois tantôt voulus, tantôt contraints. C’est d’ailleurs une limite de notre étude que de n’avoir rencontré dans notre échantillon qu’une seule situation de carrière « nomade ». Enfin, le type de carrière se réfère à l’identité des expatriés41. C’est une seconde limite de l’étude de n’avoir pas suffisamment exploré cet aspect. Il serait intéressant de faire une recherche plus approfondie à ce sujet. De même, nous avons montré que les séjours internationaux au cours des études universitaires peuvent apporter des compétences et orienter les choix ultérieurs, et une recherche plus poussée portant sur le rôle des universités sur ce plan serait également intéressante. La mobilité internationale peut donc prendre différentes formes et l’expérience étudiante internationale peut avoir un impact positif sur les différentes formes de mobilités internationales. Tous les parcours présentent un potentiel intéressant. À l’entreprise de les considérer comme des occasions et de les gérer en considérant leurs spécificités comme des atouts stratégiques.

Jocelyne Robert est professeure à HEC – École de gestion de l’Université de Liège, [email protected].

Vincenzo Carrabs est Responsable d’équipe chez Blake&Partners, [email protected].


Notes

1 Schein adapté par Cerdin (2007 : 15).

2 Knight (2000), Arthur (2002), Oosterbeek et Webbink (2011).

3 Bracht et al. (2006 : 31).

4 Bracht et al. (2006 : 31).

5 Beyer (2010).

6 Allen et Van der Velden (2007).

7 HEC (2010).

8 Thietart et al. (2007).

9 Alami et al. (2009 : 27).

10 Alami et al. (2009 : 99).

11 Alami et al. (2009 : 99).

12 Schein adapté par Cerdin (2007 : 15).

13 Cadin et al. (2003 : 111)

14 Suutari et Taka (2004).

15 Cerdin (2007 : 8).

16 Schein (1990 : 20).

17 Nordvik (1996), Igbaria et al. (1999), Roger (2006).

18 Martineau et al. (2005 : 470).

19 Cerdin (2007 : 13).

20 Arthur et al. (1989 : 8), El Akremi et al. (2006 : 147).

21 Peretti (2011 : 43).

22 Baruch (2004 : 61).

23 Peretti (2011 : 43).

24 Potel (1997 : 29).

25 Cadin et al. (2007 : 415).

26 Wilensky (1961 : 523).

27 D