Pendant la pandémie de COVID-19, les gouvernements et les directions de santé publique à travers le monde se sont efforcés de communiquer leurs différents messages. Leur but : inciter la population à adopter les mesures sanitaires nécessaires pour stopper la propagation du virus et diminuer les comportements inadéquats. Or, il s’avère que l’exposition aux médias et l’esprit critique ont un rôle important à jouer dans l’équation.

Dans les premiers mois de la crise sanitaire, les moyens de lutter contre la COVID-19 se résumaient à la distanciation sociale, au port du masque et au lavage des mains. À l’époque, les seules données disponibles sur le virus étaient celles que diffusait la santé publique et que relayaient les médias.

L’exposition à ce type d’information a pu susciter de la peur au sein de la population. Cette peur et le niveau de celle-ci ont alors donné lieu à certains comportements adaptatifs ou, au contraire, inappropriés. Les premiers consistaient à adhérer aux mesures sanitaires recommandées, alors que les seconds ont pris la forme d’une panique, poussant par exemple les gens à faire des achats impulsifs et à stocker en grande quantité des produits de consommation courante. Les pénuries de papier de toilette que l’on a connues en 2020 sont d’ailleurs une parfaite illustration de cette dérive.

Pour mieux comprendre la dynamique à l’œuvre dans un tel contexte, nous avons réalisé une recherche¹ qui nous a permis de recueillir 2 269 réponses au Québec sur une période de six mois. Les résultats lèvent le voile sur les relations entre le sentiment de peur, l’exposition aux médias, l’esprit critique et les comportements de la population. On y apprend aussi de quelle façon les autorités pourraient diffuser leurs messages plus efficacement.

Différents types de comportements

Notre analyse repose sur le modèle des croyances relatives à la santé (Health Belief Model), une théorie qui permet d’expliquer de quelle façon notre attitude par rapport au risque de contracter une maladie influe sur nos comportements.

Ainsi, lorsqu’on estime qu’on risque d’attraper la COVID-19 et que les conséquences de celle-ci sont graves, on sera plus enclin à adopter les mesures sanitaires recommandées, comme la distanciation sociale, surtout si la santé publique a bien expliqué quels en sont les bienfaits.

Ce comportement responsable s’oppose au comportement inadéquat développé par une partie de la population : ainsi, certains individus ont appliqué les mesures sanitaires par crainte de contracter la maladie, mais ont aussi stocké certains produits de façon compulsive.

Pour mieux illustrer ce principe, on pourrait faire un parallèle avec la gestion du stress. Alors que certains pratiquent un sport pour se détendre (comportement adaptatif), d’autres ont plutôt recours à l’alcool ou à d’autres substances telles que la drogue et peuvent même abuser des médicaments (comportement inadapté).

Nous avons découvert que ce qui fait la différence entre ces deux réactions, c’est l’esprit critique manifesté par rapport à l’information diffusée par les médias, car il aide à réduire les comportements inadéquats tout en favorisant les comportements sains.

Les effets bénéfiques de l’esprit critique

L’esprit critique représente une façon d’avoir une «bonne hygiène» sur le plan de l’information. Ainsi, il permet à la population de se poser des questions, de réfléchir par elle-même et de consulter d’autres sources afin de valider les renseignements reçus. Cela peut consister, par exemple, à se renseigner en visitant plusieurs sites, comme celui de l’Institut national de santé publique du Québec.

Au bout du compte, nous avons également constaté que plus les individus font preuve d’esprit critique, plus ils ont tendance à appliquer les mesures sanitaires, et ce, tout effectuant moins d’achats compulsifs.

Ces résultats sont éclairants et la méthode est novatrice, car c’est la première fois que l’indicateur de la pensée critique est utilisé dans le cadre d’une recherche sur les comportements en santé lors d’une pandémie. Il en ressort clairement que lorsque les individus sont capables de faire la part des choses, ils sont en mesure de prendre de meilleures décisions.

Des alliés pour communiquer

Autre constat : au sommet de la vague de contamination, la population s’est beaucoup renseignée. Preuve en est que le fil Twitter du premier ministre François Legault a affiché en avril 2020 plus de 111 180 réactions à ses gazouillis relatifs à la pandémie, un chiffre qui a décru progressivement au fur et à mesure que le nombre de cas déclinait.

On peut donc en déduire que lors d’une crise, les autorités publiques ont tout intérêt à diffuser leurs messages au plus fort de celle-ci, car c’est à ce moment-là que la population est la plus attentive et la plus réceptive. Durant cette période, on maximise l’impact des informations diffusées. Il faut aussi miser sur des communications instructives et constructives afin de rassurer la population. Ce faisant, on évite que des individus soient pris de panique et adoptent des comportements inadéquats.

À cet égard, les médias peuvent agir comme des alliés et des courroies de transmission dont le rôle est primordial pour relayer les messages. Compte tenu de leur influence, ils devraient aussi garder en tête qu’il est important de ne pas verser dans le sensationnalisme, qui risque d’entraîner des conséquences néfastes sur la compréhension que la population a de la situation.

Dans nos sociétés occidentales, les gouvernements ne peuvent contrôler les médias, ce qui est une bonne chose. Cette liberté d’action a toutefois un effet pervers si certains organes d’information diffusent des nouvelles faussées ou erronées. D’où l’importance d’inciter les individus à cultiver leur esprit critique, afin qu’ils soient en mesure de séparer le bon grain de l’ivraie et de faire le tri parmi le flux de nouvelles auquel ils sont exposés.

Cultiver son esprit critique

Mais comment développer cette fameuse aptitude intellectuelle? Il est possible d’y parvenir de deux façons. Il y a tout d’abord la médiation parentale. Les parents peuvent en effet dialoguer avec leurs enfants pour les aider, entre autres, à distinguer le vrai du faux et à vérifier la source des informations qu’ils consomment et leur crédibilité.

On peut aussi s’appuyer sur une formation en littératie médiatique. À cet égard, on pourrait envisager une collaboration avec des organismes comme la National Association for Media Literacy Education, une communauté d’éducateurs, d’universitaires et d’étudiants qui veulent mieux comprendre comment les médias affectent nos vies, MediaSmarts, un organisme canadien pour l’éducation numérique et médiatique, News Literacy Project, une organisation américaine non partisane vouée à faire progresser la pratique de la culture de l’information, ou même des groupes médiatiques. Ces organismes proposent de nombreuses ressources, notamment des capsules vidéo et des outils de développement offerts en ligne pour améliorer les compétences liées à l’esprit critique. Les gestionnaires de crise et les autorités publiques pourraient notamment intégrer ces outils à leur campagne de communication et de marketing.

Maintenant que la pandémie semble être chose du passé, les responsables en santé publique et les gestionnaires de crise ont compris qu’ils ne représentent qu’une voix parmi tant d’autres. L’émergence de théories du complot, la désinformation croissante et les fausses nouvelles de plus en plus nombreuses font en sorte qu’il sera plus important que jamais de déployer des outils de formation en littératie médiatique pour améliorer le niveau d’esprit critique des gens vis-à-vis des médias.

Article publié dans l’édition Printemps 2023 de Gestion


Note

1 - Radanielina Hita, M. L., Grégoire, Y., Lussier, B., Boissonneault, S., Vandenberghe, C. et Sénécal, S., «An extended health belief model for COVID-19: Understanding the media-based processes leading to social distancing and panic buying» (article en ligne), Journal of the Academy of Marketing Science, 16 mai 2022.