Article publié dans l'édition hiver 2019 de Gestion

Fini, le temps de la seule performance économique ! L'entreprise doit impérativement étendre sa mission à la création de valeur partagée. L'entreprise progressiste (EP) incarne cette nouvelle éthique d'entreprise et ce nouveau modèle d'affaires à but hautement sociétal, et ce, de façon parfaitement rentable. Description et sources d'inspiration. André CoupetRobert G Eccles

L’EP se caractérise comme une entreprise qui allie l’économie et l’humanisme dans son éthique et dans sa stratégie1. Elle contribue à la création d’un monde meilleur en intégrant une préoccupation sociétale au cœur de sa raison d’être. Par exemple, les entreprises progressistes du secteur agroalimentaire et du commerce alimentaire peuvent favoriser le bien-être de leurs clients grâce à leurs produits et à des activités pédagogiques portant sur la santé et sur les meilleures façons de se nourrir. Elles souscrivent d’abord à la mission plutôt qu’au résultat financier ou aux moyens : « purpose before profit », selon l’expression de John mackey, fondateur de l’entreprise américaine de distribution alimentaire Whole Food market.

La création de valeur partagée

L’entreprise progressiste crée de la valeur au bénéfice de cinq parties prenantes principales : ses clients, ses salariés, ses fournisseurs, ses actionnaires et la société au sens large. Sa stratégie ne se cantonne pas à l’énoncé d’une seule proposition de valeur au profit des clients : elle définit cinq propositions de valeur.

Comme deux chercheurs de l’université Harvard l’ont montré récemment, ce nouveau modèle influe sur la façon dont les différentes parties interagissent. en effet, selon Joseph Bower et lynn paine2, les dirigeants d’entreprise devraient non plus faire de la valeur actionnariale leur principale préoccupation mais plu- tôt centrer leur attention sur l’adhésion des parties concernées et sur l’investis- sement dans l’avenir.

Une autre recherche de la Harvard Business school3 a montré que 180 entreprises américaines engagées dans une politique de développement durable dégagent une rentabilité nettement supérieure à celle de leurs concurrentes. en effet, un dollar investi en 1992 dans une de ces entreprises a généré un revenu cumulé de 15,8 $ en 2010 au lieu de seulement 9,3 $.

Pour l'hamonisation des intérêts 

l’EP capitalise sur l’intelligence collective. Ce pari sur le talent, accompagné d’une philosophie participative, débouche sur une gouvernance collaborative et sur l’élargissement du conseil d’administration aux parties prenantes. La recherche de cette harmonie entre les différents intérêts n’est absolument pas incompatible avec l’objectif de performance économique, hormis celle centrée sur le très court terme. En fait, la performance sociale et la performance économique sont corrélées. Autrement dit, la valorisation de l’intérêt commun et des décisions « durables » pour l’humanité – plutôt que les décisions non soutenables et le profit immédiat – favorise la productivité, l’efficacité et surtout l’efficience de l’entreprise.


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Une étude4 réalisée en 2015 auprès de 8 500 entreprises françaises pour le compte du centre d’analyse France stratégie, qui relève du gouvernement français a révélé un écart de performance économique positif de 13 % entre les entreprises qui mettent en œuvre des pratiques de RSE et celles qui ne le font pas. L’investissement social rendrait plus productifs les salariés en plus de les fidéliser et de les motiver. Cette étude a également démontré que plus ces pratiques sont intégrées au sein d’une vision d’ensemble cohérente, meilleure est la performance économique.

Connectée aux valeurs des milléniaux

l’EP propose une éthique empreinte de respect, d’équité, d’honnêteté et d’ouverture à l’autre. Les générations montantes adhèrent à ces valeurs humanistes qui correspondent à une nouvelle étape vers une plus grande conscience sociale. À l’inverse, l’entreprise « financière » n’attire pas les jeunes générations, plus sensibles aux valeurs de solidarité, d’humanité et d’épanouissement, qui s’expriment aussi par une plus grande diversité au sein des équipes de travail. Ainsi, une étude de la firme mcKinsey menée auprès de 366 entreprises basées au Royaume-Uni, au Canada, aux états-unis et en amérique latine a démontré l’effet de la diversité en entreprise sur l’attraction des talents et sur la mobilisation des employés. Des équipes de direction et des conseils d’administration plus diversifiés en matière de genre, d’origine culturelle, de couleur de la peau, etc., donneraient un avantage concurrentiel aux entreprises5.

Une nouvelle stratégie s’impose

Toute entreprise motivée par une éthique au service du bien commun aurait avantage à atteindre cette synergie entre l’économie et le social, notamment lorsqu’elle établit sa stratégie. Le concept de l’EP propose une approche inclusive de l’entreprise qui rallie la pluralité des répercussions (économiques, sociales et environnementales) de ses activités et qui les intègre dans une optique globale de la performance d’entreprise.


À retenir

  • Les gestionnaires doivent créer un environnement favorable aux comportements éthiques plutôt que de multiplier les systèmes de contrôle.
  • L’internalisation d’une éthique de l’entreprise au cœur de la mission de l’organisation n’est pas contraire aux objectifs économiques, bien au contraire.

Notes

1. Coupet, A., et Dormagen, E., « Au-delà de la RSE – L’entreprise progressiste »,  Gestion, vol. 41, n° 3, automne 2016, p. 25-29.

2. Bower, J. L., et Paine, L. S., « The Error at the Heart of Corporate Leadership – Most CEOs and Boards Believe their Main Duty is to Maximise Shareholder Value. It’s Not », Harvard Business Review, vol. 95, n° 3, mai-juin 2017, p. 50-60.

3. Eccles, R. G., Ioannou, I., et Serafeim, G.,  « The Impact of Corporate Sustainability on Organizational Processes and Performance », Management Science, vol. 60, n° 11, novembre 2014, p. 2835-2857.

4. Benhamou, S., Diaye, J.-M.-A., et Crifo, P., « Responsabilité sociale des entreprises et compétitivité – Évaluation et approche stratégique » (document d’étude publique), Paris, France Stratégie, janvier 2016, 146 pages.

5. Hunt, V., Prince,  S., et Layton, D., Diversity Matters, Londres, McKinsey & Company, février 2015, 20 pages.