Point de vue publié dans l'édition été 2016 de Gestion

L’entrepreneuriat est à la mode, et ce, partout dans le monde. Les gouvernements se rendent compte que l’enrichissement de leurs sociétés et le développement des différentes régions de leur territoire passent nécessairement par l’innovation et par l’audace de leurs entrepreneurs plutôt que par de gros investissements industriels prétendument miraculeux et souvent d’origine étrangère.

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Pierre Duhamel, directeur général de la Fondation de l'entrepreneurship.

Au Canada, par exemple, la firme E&B Data a calculé que 59 % des investissements déjà en cours ont été réduits, reportés ou menacés d’annulation1. La grande majorité de ces investissements sont liés au domaine des ressources naturelles, qui est hautement cyclique. Cependant, on sait aussi que les investissements dans le secteur de la fabrication sont plus rares à l’ère de la dématérialisation, qu’ils sont plus convoités en raison de la mondialisation et qu’ils créent moins d’emplois à cause de la technologie.

Qui va donc créer les emplois du futur ? Les entrepreneurs, évidemment. Voilà pourquoi tout le monde les aime ces temps-ci. On louange leur dynamisme, leur créativité et leur rôle dans l’économie. Les gouvernements de tous les pays cherchent les moyens, les politiques ou les mesures fiscales et incitatives qui pourraient dynamiser l’entrepreneuriat et requinquer leur économie.

Or, il subsiste un mythe aussi étrange que malsain au Québec selon lequel notre société ne serait pas entrepreneuriale. L’entrepreneuriat serait très récent ici et nous serions les cancres absolus en matière de dynamisme entrepreneurial. Les Québécois n’auraient pas la bosse des affaires et seraient moins doués que les autres dans ce domaine. Paradoxalement, on dit aussi que l’entrepreneuriat serait en déclin rapide chez nous.

J’ai déjà expliqué2 qu’il y a eu au Québec, à toutes les générations depuis le début de la colonisation française, des entrepreneurs audacieux et talentueux qui se sont distingués tout en contribuant à l’enrichissement de la société.

Si vous vous promenez parfois sur la rue Masson, à Montréal, sachez que Joseph Masson a été le premier millionnaire canadien-français et qu’il a été un pionnier dans à peu près tous les secteurs économiques les plus stratégiques du début des années 1800. Et si vous aimez la musique et les grandes propriétés de Charlevoix, vous connaissez sans doute le Domaine Forget, à Saint-Irénée. C’était la résidence d’été d’un homme d’affaires, Joseph-David-Rodolphe Forget, le financier le plus puissant de son époque au Canada, qui a été un pionnier dans le transport maritime, les pâtes et papiers, le textile, l’électricité et l’électrification des transports publics… au début des années 1900 !

Non seulement nous souffrons d’amnésie mais nous faisons aussi de l’aveuglement volontaire en ce qui concerne notre présent. L’enquête mondiale Global Entrepreneurship Monitor (GEM), réalisée depuis 17 ans par un regroupement d’universités, porte sur l’entrepreneuriat dans plus d’une centaine de pays. En 2014, elle a permis de constater que le Québec surpasse tous les pays du G8, à l’exception du reste du Canada, pour ce qui est de la proportion d’entrepreneurs parmi sa population3.

Selon l’indice entrepreneurial 2015 de l’organisme que je dirige aujourd’hui, la Fondation de l’entrepreneurship, 69,5 % des Québécois trouvent que l’enrichissement personnel est sain et 67,4 % estiment que l’entrepreneuriat est un choix de carrière désirable4.Ce taux atteint presque les 80 % dans l’enquête GEM. Selon cette même étude, il n’y a pas un seul des pays membres du G7 – Allemagne, Canada (50,5 % !), États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni – où l’entrepreneuriat est à ce point valorisé !

L’ambition d’entreprendre est plus forte au Québec que dans le reste du Canada. Près d’un Québécois sur quatre qui est actif sur le marché du travail a l’intention d’entreprendre ; cette proportion s’élève à 36,6 % dans le cas des jeunes de 18 à 34 ans.

On aime beaucoup se comparer aux États-Unis et au reste du Canada pour nous faire paraître sous notre plus mauvais jour. La création de nouvelles entreprises serait au ralenti au Québec et en croissance fulgurante ailleurs. Or, c’est faux : par exemple, le rythme de démarrage de nouvelles entreprises a baissé de moitié aux États-Unis depuis les années 19805.

En 1980, il s’est en effet créé plus de 450 000 nouvelles entreprises aux États-Unis. En 2013, bien que la population ait augmenté de 40 % dans leur pays, les Américains n’en avaient lancé qu’un peu plus de 400 0006. À vrai dire, je ne connais pas un seul pays industrialisé au monde où on trouve qu’il y a assez de nouvelles entreprises.

Pourquoi observe-t-on un recul relatif de l’entrepreneuriat au moment où il est à ce point valorisé ? Il y a moins de nouvelles entreprises parce que la croissance de la population est moindre, que la population vieillit et qu’elle est plus sensible au risque. La croissance économique est, du coup, plus chétive. Pour contrer ces facteurs, on compte sur les entrepreneurs. Hélas, les conditions démographiques et économiques rendent l’entrepreneuriat encore plus difficile. C’est encore plus vrai au Québec, où le vieillissement global de la population est plus prononcé.

Retenons cependant que le Québec entrepreneurial est bien vivant. Parmi des dizaines de métropoles, la firme de recherche Compass a placé Montréal au 20erang au monde pour la qualité de son écosystème d’entreprises en démarrage et au 13e rang pour la qualité des ressources. On évalue qu’il y a entre 1 800 et 2 600 entreprises technologiques en démarrage à Montréal. Certaines de ces entreprises sont aujourd’hui cotées en Bourse, comme Lightspeed et Stingray Digital. Les propriétaires de ces nouvelles entreprises technologiques ont 32 ans en moyenne et 22 % de ces entreprises ont été fondées par des femmes. À cet égard, Montréal se situe au cinquième rang mondial, pas très loin de Chicago, qui occupe le premier rang à 30 %. J’insiste : l’entrepreneur québécois est un champion… et une championne !


Notes

1. Perspectives mégaprojets – Canada, février 2016, E&B Data.

2. Pierre Duhamel, L’Avenir du Québec – Les entrepreneurs à la rescousse, Montréal, Les Éditions La Presse, 2012, 238 pages.

3. Global Entrepreneurship Monitor 2014, Canada.

4. Fondation de l’entrepreneurship, Indice entrepreneurial 2015.

5. Dane Strangler, The Looming Entrepreneurial Boom: How Policymakers Can Renew Startup Growth, Ewing Marion Kauffman Foundation.

6. Ben Casselman, The Next Amazon (Or Apple, Or GE) Is Probably Failing Right Now, FiveThirtyEight, mars 2016.