Article publié dans l'édition Automne 2016 de Gestion

Pierre Duhamel est directeur général de la Fondation de l’entrepreneurship.

Je croyais la cause entendue. Chacun à sa manière, Richard Branson, Steve Jobs, Bill Gates et Mark Zuckerberg ont fait l’éloquente démonstration selon laquelle un diplôme universitaire est superflu pour le véritable entrepreneur.

L’entrepreneuriat a en effet eu le pouvoir magique de faire de Richard Branson, qui n’a même pas terminé ses études secondaires, un milliardaire et une véritable icône de la réussite. Pourquoi perdre son temps sur les bancs d’école quand il y a tant à créer et à réaliser ailleurs?

Qu’importe l’absence de diplôme : rien ne serait plus important que la passion et la ferveur de bousculer le statu quo et de vouloir bâtir un monde meilleur. Rien ne serait plus déterminant que la capacité de prendre des risques et de tout miser sur une idée, un projet ou un produit auquel on croit plus que tout.

Ces entrepreneurs milliardaires sans diplômes sont devenus les exemples absolus d’une théorie voulant que ce soient les vertus et les caractéristiques propres aux entrepreneurs, plutôt que leurs connaissances ou leurs aptitudes en matière de gestion, qui assurent leur succès. C’est un peu comme la Force dans Star Wars : il s’agirait d’un don particulier qui permet d’incarner l’avenir et de bouleverser le présent.

Certes, la passion et le goût du risque ont toujours caractérisé l’entrepreneur. Ces qualités font partie de son ADN. Et la réussite de ces drop-outs célèbres s’explique aussi parce qu’ils étaient extraordinairement intelligents et futés et parce qu’ils ont été capables d’apprendre rapidement à gérer dans l’exercice même de leurs fonctions. Mais ma préoccupation est la suivante : bien que nécessaires, ces caractéristiques sont-elles suffisantes? Garantissent-elles, à elles seules, le succès?

En effet, malgré tout, l’entrepreneuriat n’est pas seulement un trait de caractère ou une disposition naturelle. Il ne suffit pas de vouloir réussir pour y parvenir. Tous les jours, des entrepreneurs nous prouvent le contraire en se cassant les dents sur les forces du marché. Plusieurs connaissent l’échec avant de réussir, et cette victoire n’est jamais tout à fait acquise.

Il faut donc peut-être en finir avec le mythe de l’entrepreneur drop-out. Ces immenses réussites pourraient en effet être davantage les exceptions qui confirment la règle.

J’ai commencé à m’interroger sur ce sujet en examinant la participation de certains jeunes entrepreneurs à succès à un événement organisé par la Fondation de l’entrepreneurship. En consultant LinkedIn, je suis tombé sur le nom de Louis-Philippe Maurice, qui a fondé Busbud, un site de réservations qui amalgame plusieurs services de transport collectif. Louis-Philippe Maurice est pourtant l’antithèse du drop-out.

Il a obtenu une maîtrise en droit de l’Université de Montréal et un MBA de l’université Harvard. Ses études supérieures l’ont aussi conduit au MIT, à la City University de Londres et à l’Université chinoise de science politique et de droit, à Pékin.

J’ai poursuivi ma recherche. Pascal Pilon, président de la firme montréalaise Landr, est un ingénieur en informatique diplômé de l’École polytechnique qui a obtenu un MBA de HEC Montréal. Solenne Brouard Gaillot, présidente de Polystyvert, une jeune entreprise qui a mis au point une technologie capable de recycler le polystylène, a un diplôme en commerce de l’Université de Rennes et a commencé un MBA à l’Université de Sherbrooke.

Je me suis alors dit : allons voir dans des secteurs plus traditionnels. Ma curiosité m’a conduit sur la page d’Elizabeth Stefanka, dont le succès a notamment été reconnu par la Fondation Montréal Inc. et par le Défi OSEntreprendre. Son entreprise utilise des technologies 3D pour fabriquer des soutiens-gorge sur mesure.


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En plus de vouloir entreprendre, Mme Stefanka s’est donné les moyens de la réussite. Elle est titulaire de trois diplômes universitaires, dont un de deuxième cycle à HEC Montréal. De plus, elle a travaillé dans sept pays et parle cinq langues, dont le mandarin.

 L’entrepreneuriat est un système ouvert pour tous ceux qui veulent exploiter un talent ou un savoir. L’ébéniste ou le pâtissier qui se lance en affaires a besoin de maîtriser son art et d’offrir des produits de qualité s’il veut réussir. Il y a des écoles pour apprendre à le faire et il y a aussi l’école de la vie, appelée plus prosaïquement « expérience ».

Mais si l’entrepreneur veut dépasser les limites de son propre talent et bâtir une entreprise solide et durable, il aura besoin de chance et d’autres ingrédients. L’un d’eux est l’éducation.

François Gilbert est le PDG d’Anges Québec, un regroupement de 180 investisseurs individuels, la plupart étant eux-mêmes des entrepreneurs. Ces personnes ont mis leurs ressources en commun pour investir dans près d’une centaine d’entreprises innovantes.

Ces « anges » n’ont pas fait vœu de pauvreté : en effet, ils doivent détenir un actif net d’au moins cinq millions de dollars pour faire partie de ce groupe. Quand je lui ai parlé de mon sujet de chronique, François Gilbert a confirmé haut et fort mon intuition.

Il s’avère que ses « anges » ont beaucoup étudié pour obtenir leur place au paradis. 34 % d’entre eux ont un baccalauréat, 52 % une maîtrise et 8 % un doctorat. Seuls 6 % d’entre eux n’ont pas de diplôme universitaire de premier cycle. On trouve d’ailleurs une foule d’exemples allant dans ce sens chez les grands entrepreneurs de notre époque.

Le fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, est titulaire d’un diplôme en génie. Ceux de Google, Larry Page et Sergueï Brin, ont des maîtrises en informatique. Peter Thiel, de PayPal, et Pierre Omidyar, d’eBay, ont eux aussi des diplômes universitaires en informatique.

Même Sam Walton, le fondateur de Walmart, avait un diplôme universitaire. Eh oui : Sam Walton a non seulement été le propriétaire d’un 5-10-15 (les ancêtres des Dollarama d’aujourd’hui) mais aussi... un économiste !

Certes, on peut réussir sans diplôme : de fabuleux exemples en font foi. La complexité du monde des affaires, la financiarisation de l’économie et la vive concurrence qui règne partout m’amènent cependant à penser que l’entrepreneur d’aujourd’hui doit être particulièrement bien outillé et maîtriser plusieurs compétences utiles.