Point de vue publié dans l'édition automne 2018 de Gestion

Au printemps dernier, j’ai rencontré le dirigeant d’une grande entreprise canadienne. Avec enthousiasme, je lui ai expliqué l’engouement sans précédent des Montréalais pour l’entrepreneuriat. 

geraldine martin

Géraldine Martin, directrice de l'entrepreneuriat au Service de développement économique de la Ville de Montréal.

–  Saviez-vous que 26 % des adultes montréalais songent à se lancer en affaires ? lui ai-je dit en citant les données d’une toute nouvelle étude1.

Mon interlocuteur m’écoutait sagement. Trop sagement à mon goût. J’ai décidé de renchérir :

–  Et saviez-vous que les intentions d’entreprendre chez les jeunes de 18 à 35 ans sont évaluées à 46 %? C’est près d’un jeune sur deux qui songe à créer une entreprise ou à en racheter une !

Après une courte pause, mon vis-à-vis m’a enfin répondu :

–  Ces données sont en effet très stimulantes et très encourageantes pour Montréal, mais je suis inquiet, a-t-il dit.

–  Ah oui ? Et pourquoi, exactement ? lui ai-je demandé.

–  Eh bien, si tout le monde souhaite se lancer en affaires, qui vais-je réussir à embaucher ou à retenir dans mon entreprise ?


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Excellente réflexion de la part de ce dirigeant d’une des 50 plus grandes entreprises du Québec pour ce qui est du nombre d’employés. Aujourd’hui, la rétention et l’embauche de talents constituent un des principaux enjeux de la croissance économique québécoise et montréalaise. À la fin de décembre 2017, 32 000 postes2 étaient vacants dans la grande région de Montréal. Il s’agit d’une hausse de 50 % depuis le début de 2015.

Ce questionnement m’a fait réfléchir à ces données exceptionnelles reliées à l’entrepreneuriat.

Avant toute chose, il s’agit d’une très bonne nouvelle pour Montréal et pour le Québec : il y a une occasion magnifique à saisir derrière cet enthousiasme historique pour l’entrepreneuriat. Il n’y a pas si longtemps, vouloir créer sa propre entreprise n’était pas perçu comme une option valable. Aujourd’hui, c’est le choix de carrière n° 1 des jeunes. Toutefois, ce n’est pas une avenue à emprunter à la légère. On a tendance à vendre beaucoup de rêve lorsqu’on vante l’entrepreneuriat. « La plupart des jeunes n’ont aucune idée de ce qui les attend », a fait valoir François Plamondon, co-chef de la direction de la firme montréalaise

Lune Rouge Innovation, lors d’un panel organisé à l’occasion du deuxième Sommet international du repreneuriat, en mai dernier. Répétons-le : entreprendre est un véritable parcours du combattant. Entre l’euphorie du premier contrat et le désespoir des problèmes de liquidités à résoudre seul pour payer à temps un fournisseur ou un employé, l’entrepreneur doit constamment gérer ses émotions et faire preuve d’endurance.

Mais revenons à notre dirigeant qui craint de ne plus pouvoir recruter les meilleurs talents ou de perdre d’excellents employés. En fait, il serait très profitable de favoriser l’entrepreneuriat au sein des grandes entreprises elles-mêmes, ce qui pourrait prendre plusieurs formes. La grande entreprise aurait avantage à stimuler de façon plus énergique ce qu’on appelle l’intrapreneuriat, c’est-à-dire permettre aux employés de concevoir et de mener des projets avec une certaine autonomie. Il faudrait aussi nourrir une culture d’entreprise où la confiance trônerait au cœur des valeurs de l’organisation. Cette approche contribuerait à l’attraction et à la rétention du personnel. Il existe toutefois une autre manière d’intégrer des valeurs entrepreneuriales dans les grandes entreprises : il suffirait que celles-ci travaillent davantage avec de petites entreprises. d’une part, les grandes sociétés ont parfois besoin de firmes plus petites pour être plus agiles. d’autre part, derrière cette main tendue vers la petite entreprise, il y a une forme de philanthropie qui stimulerait notre économie locale de manière simple et efficace.


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Sophie Brochu, présidente et chef de la direction de la société québécoise Énergir, l’a très bien illustré récemment : « On peut comparer le monde des entreprises à une grande forêt, une forêt extraordinaire avec des arbres majestueux. Imaginez une forêt de chênes magnifiques avec des branches si massives et si hautes qu’elles accaparent toute la lumière, si bien que plus rien ne pousse à leur pied. Il ne faut pas que le monde des entreprises tel qu’on le connaît aujourd’hui, dans sa grandeur et dans toute sa splendeur, monopolise toute la lumière et empêche l’écosystème de se développer au niveau du sol », a-t-elle expliqué.

Mme Brochu a proposé une idée concrète pour aider les jeunes pousses à grandir. Nous savons tous que les grandes entreprises lancent régulièrement des appels d’offres qui sont remportés par des multinationales. « C’est parfait, car ces grandes entreprises sont compétitives, et nous cherchons des produits et des services compétitifs. Mais parfois, parfois, a-t-elle dit en insistant bien sur ce mot, il faudrait débarquer de notre tapis roulant et dire : “Est-ce que je peux donner un bon coup de pouce à une entreprise naissante d’ici, qu’elle soit locale ou régionale ?” »

Concrètement, Mme Brochu a invité les grandes sociétés à encourager nos petites entreprises. Elles ne sont pas obligées de le faire, bien sûr, mais il suffirait de les encourager à avoir une portée plus significative dans notre société. Et c’est maintenant qu’il faut agir, a-t-elle insisté : « Pendant qu’il fait soleil, pendant que la croissance économique va bien. »

Conclusion ? L’engouement pour l’entrepreneuriat constitue une avenue exceptionnelle pour le développement économique de Montréal et du Québec. Toutefois, les choses iraient encore mieux si les grandes entreprises soutenaient davantage les nouveaux entrepreneurs. Si cette approche toute simple, basée sur l’entraide, n’a rien d’extraordinaire, elle peut donner des résultats absolument extraordinaires.


Notes

1. Portrait du dynamisme entrepreneurial de montréal 2017, Fondation de l’entrepreneurship, Institut d’entrepreneuriat Banque Nationale | HEC Montréal.

2. Statistique Canada, enquête sur les postes vacants et les salaires, avril 2018.