Article publié dans l'édition printemps 2016 de Gestion

Écofiscalité. Un terme légèrement rébarbatif, encore mal connu, mais qui s’infiltre peu à peu dans les mentalités. En mettant un prix sur l’utilisation de nos précieuses ressources, l’écofiscalité influence efficacement le virage vers une économie verte et incite à intégrer de nouvelles habitudes ainsi qu’à réduire les comportements indésirables. Alliance entre l’économie et l’environnement, elle pourrait bien représenter le moyen d’une révolution dont tout le monde ressortirait gagnant.

Au Québec, dans le village de Potton, une citoyenne s’est inspirée des pratiques de son pays d’origine, la Belgique, où on paie pour ses déchets en fonction du nombre de sacs déposés pour la cueillette. Avec beaucoup de détermination, elle a convaincu ses concitoyens et lancé un programme de tarification des déchets de 3 $ le sac. Il faut cependant dire qu’au préalable, le terrain avait été minutieusement préparé pour faciliter la transition : chaque ménage avait reçu un contenant de compostage ou un bac brun pour la collecte des déchets organiques. Du jour au lendemain, la collectivité a adopté — non sans quelques heurts — de nouvelles habitudes : compostage, recyclage accru... et 40 % de déchets en moins au site d’enfouissement !


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La congestion routière, quant à elle, coûte des millions de dollars chaque année en raison du temps perdu, de l’essence gaspillée et de la pollution atmosphérique. Pour remédier à ce problème, Londres l’a attaqué de front en imposant un péage routier dans une des zones les plus achalandées de la ville, affectant surtout au financement des transports collectifs les revenus tirés de cette nouvelle politique. En dix ans, la circulation dans cette zone a baissé de 36 %.

Toutes ces initiatives, petites et grandes, ont des effets bénéfiques sur l’environnement et sont de bons exemples d’écofiscalité.

Refléter les coûts d’utilisation

L’utilisation de nos ressources naturelles n’est pas tarifée, et il est vrai qu’il est difficile d’attribuer leur droit de propriété. L’air, l’eau et la nature appartiennent peut-être à tout le monde – ou à personne –, mais leur utilisation a un coût réel pour la société. En les utilisant à coût nul, on accroît la pollution sans en mesurer l’ampleur et sans prendre conscience de l’impact de notre consommation quotidienne des ressources, puisque rien ne nous y incite. L’imposition de frais, comme le tarif de 3 $ pour chaque sac de déchets dans le village de Potton, a pour effet bénéfique de faire réfléchir les citoyens sur ce qu’ils jettent aux ordures, et ce, qu’ils décident de recycler ou de composter ! Quand le prix change, les habitudes changent. Dérangeant, peut-être. Mais désarmant d’efficacité.

C’est ici qu’entre en scène le gouvernement, qui se doit d’intervenir afin que le coût environnemental soit pris en compte pour permettre de réduire la pollution à un niveau acceptable. Il a à sa disposition deux outils aux conséquences distinctes : la réglementation et la tarification.

Contrairement à la réglementation, la tarification encourage une amélioration continue des comportements. L’exemple suivant l’illustre bien. Une loi qui impose à toutes les entreprises polluantes une réduction de 20 % de leurs émissions de carbone ne les incite aucunement à déployer davantage d’efforts une fois ce seuil atteint. Par contre, la tarification motive les pollueurs à dépasser cette cible puisque, d’un point de vue financier, ils y gagneront. La tarification donne le choix au pollueur : il peut ou bien payer la taxe, ou bien changer ses habitudes. À lui de voir si le coût du changement de ses habitudes en vaut la peine.

Dans les années 1970, quand le choc pétrolier a fait doubler le prix de l’essence, le format des voitures a diminué. De nos jours, en Europe, l’essence coûte environ 50 % plus cher qu’en Amérique, ce qui incite les automobilistes à faire des choix et à modifier leurs habitudes : conduire moins vite, opter pour une voiture qui consomme moins, songer à utiliser un autre moyen de transport pour couvrir de longues distances. L’idée du recours à la tarification pour diminuer la pollution peut se décliner avec créativité.

De bonnes et de mauvaises taxes

En Colombie-Britannique, entre 2008 et 2013, la consommation de carburant a diminué de 16 % par habitant alors qu’elle a augmenté de 3 % dans le reste du Canada. La clé de ce petit miracle ? Une taxe sur le carbone touchant les principaux combustibles fossiles, la loi prévoyant qu’aux revenus générés par cette taxe doit correspondre une réduction équivalente des impôts sur le revenu des particuliers et des entreprises1.

En tant que « bonne taxe », l’écofiscalité se distingue des « mauvaises taxes ». En effet, les revenus provenant des taxes sur les combustibles fossiles ou sur les émissions de GES permettent de réduire les mauvaises taxes, celles qui introduisent des effets indésirables dans l’économie. Au Québec, où les citoyens sont surtaxés, la tentation de l’évasion fiscale ou du travail au noir est forte. Pour les employeurs, les taxes démesurées sur la masse salariale freinent le développement de l’emploi. Bref, la tarification de la pollution pourrait également servir à diminuer ce qui engorge l’économie. Le résultat ? Un double dividende : un environnement plus sain et une économie redynamisée.

Et ce qui est vrai pour l’ensemble de l’économie peut l’être aussi pour chaque entreprise. Malheureusement, la croyance encore répandue chez les chefs d’entreprise et les dirigeants selon laquelle investir dans des pratiques vertes n’est pas profitable freine considérablement les initiatives et les innovations environnementales. Pourtant, une meilleure performance environnementale peut mener à une augmentation des revenus en ouvrant les portes à de nouveaux marchés grâce à la différenciation de produits ou à la vente de technologies innovantes tout en réduisant les coûts liés aux matières premières et à l’énergie. De plus, l’adoption de pratiques vertes innovatrices dans le cadre d’une stratégie de différenciation peut accroître l’engagement des employés envers leur entreprise, facilitant ainsi l’embauche et augmentant la rétention du personnel. Il est plus que jamais essentiel de mobiliser les entrepreneurs et les dirigeants en misant sur des changements réalistes qui leur permettront d’accroître leur compétitivité. L’écofiscalité devrait leur donner un bon coup de pouce !

En matière d’innovation et de progrès sur le plan environnemental, le Canada accuse un retard par rapport à plusieurs de ses partenaires commerciaux.

816 G $ : Valeur annuelle prévue du marché mondial des écotechnologies en 2015. Des 65 sociétés inscrites en Bourse composant l’indice Cleantech, une seule est canadienne.



Le retard du Canada : l’urgence d’agir !

En Europe, l’espace et les ressources, beaucoup plus restreints qu’ailleurs, ont forcé les habitants à utiliser intelligemment le territoire à leur disposition. On y a donc recours à l’écofiscalité depuis longtemps et sa popularité s’accroît sans cesse. Au Danemark, entre 1996 et 2000, les taxes sur l’énergie et sur le dioxyde de soufre (SO2) ont grandement augmenté, entraînant la réduction des contributions au régime des rentes et à la sécurité sociale. En Allemagne, une taxe sur l’essence instaurée en 2002 a permis de diminuer l’impôt sur le revenu. Le Canada, quant à lui, traîne la patte, privilégié par ses ressources naturelles abondantes, son énergie hydroélectrique qui coule à flots et ses vastes horizons. L’écofiscalité s’impose aussi comme une occasion d’investir dans des technologies innovatrices, un domaine où le Canada a encore du rattrapage à faire. En effet, les revenus qui résultent des politiques écofiscales peuvent servir à réduire d’autres taxes, mais ils peuvent également être utilisés comme investissement dans de nouvelles technologies.

succes tarification routiere
*Article écrit en collaboration avec Claudine Auger, rédatrice-journaliste

Note