À l’heure où l’incarnation d’un capitalisme pur et dur, avec Donald Trump, triomphe aux États-Unis, trois entrepreneurs montréalais défendent une tout autre vision, progressiste et engagée dans la cité. Invités à une « classe de maître » à l’occasion des 29es Entretiens Jacques-Cartier, à Lyon, du 21 au 23 novembre 2016, Alexandre Taillefer, Bertrand Cesvet et Stephen Bronfman ont brillamment démontré que business et conscience citoyenne n’étaient pas antagonistes, bien au contraire. Morceaux choisis. 

Les entrepreneurs ont-ils à jouer un rôle politique?

« Nous avons l’obligation de faire du lobbying positif pour améliorer la société. Sinon, nous sommes coupables de ce qu’il s’y passe! » Les trois hommes d’affaires ne se revendiquent pas comme « antisystème ». Ils défendent bien au contraire les institutions démocratiques, sans lesquelles, croient-ils, il est difficile de changer la société. Alexandre Taillefer le clame haut et fort : « Le libertarisme prôné par des gens comme Donald Trump n’est pas le saint Graal, c’est même un énorme danger qui nous guette et nous avons, nous, entrepreneurs et citoyens, un rôle à jouer ». Stephen Bronfman confirme cette posture de « lobbyiste du bien ». Il se félicite de vivre dans un pays, le Canada, qui prône la tolérance et la liberté. « Comme la France, appuie Bertrand Cesvet, ce sont des sociétés qui réfléchissent, et c’est essentiel. » Et d’ajouter qu’il est fier de se comporter comme un bon citoyen, qui paye ses impôts et respecte les règles… « Il faut néanmoins se méfier d’une trop grande proximité avec les politiques, ajoute Taillefer, mais les entrepreneurs ont leur mot à dire sur ce qui se passe dans leur communauté. » Comme les citoyens-clients, rappelle-t-il, qui doivent comprendre aussi que « acheter, c’est voter ! ».


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Quelle peut être l’influence sociale des entrepreneurs ?

Les trois hommes d’affaires québécois se revendiquent comme étant des « entrepreneurs progressistes ». « Je suis fier de faire vivre 1 700 familles dans le monde », explique Bertrand Cesvet, qui trouve ainsi du sens à son activité. Alexandre Taillefer, lui, se bat avec son entreprise de taxis électriques contre la précarité des emplois générés par des entreprises comme Uber, « l’incarnation du capitalisme le plus sauvage qui soit ». Quant à Stephen Bronfman, il revendique le fait d’investir uniquement dans des projets porteurs de valeurs qu’il partage. Tous défendent une éthique de l’entrepreneuriat et affirment que le « retour sur investissement » n’est pas uniquement financier. « Lorsque nous avons lancé C2 Montréal, nous avons créé de la valeur pour la ville, dit Cesvet, ce n’est pas toujours quantifiable, mais lorsqu’on donne, on reçoit toujours en retour, d’une manière ou d’une autre. » Taillefer, qui a le sens de la formule, le martèle : « D’ici dix ans, l’économie sera sociale ou elle ne sera plus! » Et de défendre l’idée d’une « fiche nutritionnelle des entreprises », à l’image des étiquettes pour produits alimentaires, qui détaillerait pour le consommateur les valeurs respectées par l’entreprise. La génération du millénium ne veut d’ailleurs plus, croit-il, travailler uniquement pour l’argent, mais vendre du lien social autant que des biens matériels.


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Les jeunes sont-ils bien formés à l’entrepreneuriat?

« Non!, affirme Stephen Bronfman, on devrait enseigner les vertus de l’entrepreneuriat dès l’école primaire. » « Le problème, poursuit Bertrand Cesvet, c’est qu’au Québec comme en France, nous considérons que l’argent est vulgaire. On n’explique pas aux enfants qu’il est utile et sert à payer les impôts comme l’épicerie ou à créer des entreprises et de l’emploi. » Les deux sociétés ont aussi en commun la peur de l’échec. « Il faudrait donner des cours sur l’échec, dit Taillefer, en faire la promotion, même! Les Américains l’ont bien compris : quelqu’un là-bas qui fait faillite retrouvera immédiatement du boulot, car les meilleurs entrepreneurs sont les plus balafrés. Notre MBA à nous, c’est de se casser la gueule et de se relever! La résilience est l’une des plus grandes qualités qui soit dans ce domaine. » Et Bronfman de confirmer que : « après avoir pris de nombreux risques, le jour où tu réussis enfin, il n’y a rien de mieux! » Les trois Québécois rappellent aussi aux jeunes entrepreneurs que les idées et les compétences, c’est bien, mais que leurs projets risquent de ne jamais voir le jour s’ils ne savent pas transmettre leur passion. « Le business plan, ce n’est pas suffisant… », disent-ils. « Je ne crois pas non plus au mythe de l’entrepreneur solitaire, à l’image d’un Steve Jobs, complète Cesvet, je pense au contraire que le collectivisme, loin des références datées du marxisme, est devenu une véritable valeur des affaires. » Et Alexandre Taillefer de conclure avec humour qu’il est aussi indispensable « de savoir s’entourer de gens plus intelligents que soi, ce qui n’était pas très difficile pour moi! »