Article publié dans l'édition printemps 2016 de Gestion

Loin d’être cachés, les détails d’un échec sont désormais bien en vue sur un curriculum vitæ. La déduction est la suivante : ces épisodes qui éprouvent l’individu prouvent également sa valeur. Cette conception à la mode, admise d’emblée, s’exprime avec une force particulière dans le secteur des entreprises en démarrage au potentiel élevé. Mais l’échec n’est-il pas sublimé ? Est-il vraiment un passage obligé vers l’apprentissage ? Et pour que ce soit le cas, ne faut-il pas avant tout savoir en tirer les leçons appropriées ?

De plus en plus d’entrepreneurs se lancent de nouveau en affaires après une ou plusieurs expériences infructueuses. Entêtement ou persistance ? L’échec permet-il vraiment de rebondir si on ne prend pas le recul nécessaire pour comprendre ce qui a conduit à la faillite du projet ? En admettant qu’un entrepreneur talentueux connaisse l’échec dans sa première entreprise mais que, persévérant, il décide d’en créer une nouvelle, voici comment il peut véritablement tirer profit de son expérience précédente.


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1 - Se poser les bonnes questions

→ Paul, entrepreneur enthousiaste

Paul, architecte de formation et auteur d’une thèse consacrée à la 3D, fonde avec Pierre, ingénieur, une entreprise de services et de technologie en informatique. Les deux jeunes entrepreneurs, confiants dans le potentiel technologique qu’ils développent et forts des concours qu’ils ont gagnés, ce qui leur a apporté un soutien financier, sont grandement motivés. Mais une vision divergente, un modèle d’affaires instable, une définition floue des rôles et un contexte économique incertain ont usé les partenaires, qui se séparent en mauvais termes au bout de quatre ans. Après ce premier échec, Paul, persuadé de savoir capitaliser et apprendre de ses erreurs, balaie rapidement ses doutes. Entre sa perception et la réalité, il néglige de creuser les véritables motifs qui l’ont mené dans une impasse et n’ose pas examiner sa part de responsabilité dans sa difficile relation avec son associé.

→ Quelles leçons en tirer ? 

Après l’enthousiasme d’une première aventure exaltante en affaires, un échec est inévitablement douloureux pour un entrepreneur et le deuil peut occulter l’analyse de la situation. Il faut une lucidité et une humilité remarquables pour se remettre en question. Pourtant, une posture réflexive et un bilan critique permettront de cerner les facteurs qui ont freiné le développement du projet et constituent deux éléments indispensables de l’apprentissage. Il importe de comprendre les failles de l’expérience précédente : que manquait-il à l’entreprise en matière de compétences ? Ai-je su écouter mes collaborateurs et mes clients, leurs besoins, leurs idées ? Quel est le rôle que je veux vraiment jouer ? Évidemment, il s’agit d’un processus de conscientisation complexe, où divers facteurs peuvent entrer en ligne de compte. Mais l’entrepreneur qui désire se distinguer, viser grand, doit capitaliser sur chaque mouvement et apprendre de tout : il n’y a pas de place pour les demi-apprentissages. Un tiers extérieur (coach, mentor, etc.) peut alors accompagner la réflexion sur des thèmes qu’on préférerait parfois éviter.

2 - Prendre le temps d’établir des balises

→ Quand Paul replonge tête baissée

Convaincu du potentiel de son produit, Paul crée rapidement une nouvelle entité. Sa technologie est prometteuse, sans aucun doute, mais il n’a clairement défini ni son marché ni la direction la plus rentable pour son entreprise. Obnubilé par la technologie qu’il a conçue et développée – qui attire d’ailleurs l’attention des médias – et à force de remplir les dossiers exigés par les banques, il néglige une clientèle qui n’est pas assez nombreuse. Après quelques années, l’entreprise de Paul fonctionne toujours et compte cinq employés, mais elle n’a toujours pas réussi à prendre son envol. En fait, étrangement, Paul a davantage retenu les erreurs à éviter que les apprentissages à concrétiser. Il a sans doute exploré des avenues différentes afin de ne pas revivre le déraillement de l’expérience précédente, mais il n’a pas fixé efficacement les rôles de chacun. Il n’a pas établi les bases solides qui auraient permis à son entreprise de se développer à son plein potentiel.

→ Quelles leçons en tirer ? 

Une première expérience entrepreneuriale permet de traverser des situations utiles aux apprentissages : la résilience, indispensable pour affronter les temps de crise qui parsèment le chemin de l’entrepreneuriat, la tolérance au doute et au risque ainsi que la capacité à décoder l’environnement. Toutefois, une seconde création d’entreprise requiert une structure revue et corrigée, et l’entrepreneur ne doit surtout pas sous-estimer le temps nécessaire pour établir les balises de son entité, par exemple en définissant une convention d’actionnaires. C’est là qu’il peut justement apprendre du passé. Surtout, agir vite, mais sans précipitation. Plus facile à dire qu’à faire ? Peut-être. L’entrepreneur est par définition un être passionné, enthousiaste et débordant d’énergie.


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3 - Revenir aux sources

→ Le retour en force de Paul

Devant le lot quotidien de doute, de stress et de précarité liés à une survie à court terme, Paul, surmené, a finalement fermé les portes de cette seconde entreprise. Il prend alors le temps de porter un regard vraiment lucide sur ses expériences antérieures et conclut que la réussite tient à peu de choses, ce qui oriente et nourrit sa réflexion. Il reprend alors contact avec Pierre, à qui il n’a pas parlé depuis une dizaine d’années, afin de faire le point. Avec honnêteté et recul, il lui expose ses erreurs et sa compréhension de ce deuxième échec et, par ricochet, du premier. Pierre, qui fait volontiers état de ses propres conclusions, enrichit la discussion. Renouant avec ce qui les avait animés au départ, les deux entrepreneurs mettent enfin en lumière l’esprit, l’inspiration et l’organisation de leur parcours respectif. Trois ans plus tard, tout pourrait même être relancé, mais, cette fois-ci, avec maturité.

→ Quelles leçons en tirer ? 

L’échec découle généralement d’une ou de deux erreurs principales qui ont entraîné une série de mauvaises décisions. Une fois l’échec admis, il importe que la réflexion permette d’en trouver la source véritable. Ne pas avoir su construire une équipe équilibrée et complémentaire au début du projet, avoir opté pour une mauvaise voie de développement, avoir refusé un investisseur clé ou être passé à côté d’un recrutement stratégique : toutes ces décisions peuvent avoir eu un impact relatif mais, au bout du compte, dévastateur sur un projet. Et pour y voir clair et apprendre, encore une fois, on doit se poser les questions essentielles : en tant qu’individu et entrepreneur, qu’est-ce que je désire vraiment réaliser ? Quelle est l’entreprise qui me ressemblerait ? Quelle est la trajectoire que je veux suivre ? Quel est le niveau de croissance que je veux atteindre ? Est-ce que je désire avoir des associés ? Est-ce que je recherche une certaine pérennité, une entreprise familiale, voire un legs pour mes enfants ? Bref, quel est le lien avec ce que je suis ? Mais attention : ce n’est pas le cumul d’entreprises qui permet de devenir meilleur mais bien la capacité de réviser les séquences tout au long du parcours de l’entreprise.

L’entrepreneuriat est un style de vie en soi. Il propose un univers de possibilités, un environnement non imposé, mais il peut devenir une prison, une illusion de liberté. On en revient donc à cette essentielle prise de conscience et à l’importance de la lucidité. L’échec permet certainement d’apprendre de ses fragilités et de son degré de résilience. Au vu du parcours de nombreux entrepreneurs, cette étonnante capacité façonne les épreuves, transforme l’inertie et la douleur d’un échec en action et en innovation pour permettre de repousser les limites et de rebondir. Au final, les trois pistes évoquées sont en interrelation. En effet, retenons que l’enthousiasme est une énergie compatible avec la capacité de prendre de la hauteur. Établir des balises et revenir aux sources permet de reformuler les intentions, de les préciser et de tester différents scénarios.

*Article écrit en collaboration avec Claudine Auger, rédactrice-journaliste